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ScénographieS d'objets (Rennes)

ScénographieS d'objets (Rennes)

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Clémentine Cluzeaud)

La scénographie organise, agence l’espace de l’œuvre tout autant que l’espace entre l’œuvre et le public. Par les moyens de l’espace et du temps, elle a la capacité d’orienter le regard et le corps, que ce soit dans le cadre du spectacle vivant ou d’installations d’art contemporain. 

Dans son ouvrage Le Théâtre Postdramatique, Hans-Thies Lehmann[1] rend compte d’une montée en puissance de la scénographie dans les dramaturgies qualifiées de postdramatiques dont les expressions « théâtre concret », « théâtre de la forme », « dramaturgie visuelle », « théâtre de scénographie » rendent compte. C’est également ce qu’Arnold Aronson affirme dans la préface de l’ouvrage Scenography expanded: an  introduction to contemporary performance design : « la scénographie ne passe pas seulement de l’arrière-plan au premier plan, mais très souvent de l’accessoire au contenu : la scénographie comme élément générateur de la performance aussi bien que son sens premier ainsi que sa signification première »[2].

La présence sur les scènes contemporaines de scénographes se chargeant de la mise en scène (Philippe Quesne, Aurélien Bory), celle de plasticiens qui passent indifféremment du white cube à la black box (Théo Mercier, Miet Warlop), marque de façon évidente cette attention.

Un des meilleurs témoins de cette situation est sans doute l’objet, cette « chose solide, maniable, généralement fabriquée, une et indépendante, ayant une identité propre, qui relève de la perception extérieure, appartient à l’expérience courante et répond à une certaine destination »[3]. Bien loin d’être un simple accessoire ou un indice spatio-temporel, l’objet se fait partenaire de jeu, et même actant. De ready-made à transfiguré, analogique ou connecté, silencieux ou bruyant, de manipulé à autonome, remuant ou immobile, altérable ou immuable, l’objet est spectacularisé et sa capacité narrative mise en valeur.

Cette perspective qui s’intéresse aux expériences de la scène contemporaine des arts du spectacle, se veut également rassembler des pratiques issues de l’art contemporain, notamment concernant les installations d’objets.

En effet, ces objets ordinaires, tirés du réel ou « vrais » pour Monika Pormale[4] et Jean-Luc Mattéoli[5], nous les retrouvons dans les installations d’objets narratives (Pierre Ardouvin, Erwin Wurm, Grout & Mazeas, Kristof Kintera). Souvent disposés pour évoquer un environnement familier, l’agencement extra-ordinaire de ces objets provoque une inquiétante étrangeté, mêlée d’émerveillement, de stupeur et de nostalgie. La modification de leur forme liée à une mise en scène spécifique fait dévier leur habituelle monotonie et déclenche une narration pour les spectateur·trice·s.

Cette journée d’étude se propose ainsi d’engager la réflexion autour de ce que l’on conviendra d’appeler les scénographies d’objets. Quel(s) regard(s) porte-t-on sur ces objets agencés ? Quelles relations s’installent entre ces objets, non plus accessoires de la scène mais parfois véritables partenaires de jeu ? Quelle place laissent-ils au public comme à celui ou à celle à ses côtés sur la scène ? Comment agencer l’espace de l’œuvre et l’espace du public ?

 Dans le cadre de notre recherche, nous ne tracerons pas de ligne franche entre la scénographie théâtrale et la scénographie d’une installation. Plutôt que d’agiter les oppositions, nous préférons voir cette belle dialectique comme une possibilité de s’interroger avec des chercheur·euse·s venant d’horizons différents.

Le S majuscule du titre insiste sur la multiplicité des manières de faire, de spectaculariser l’objet dans l’espace ou sur scène. La perte progressive de l’interaction entre l’artiste et l’objet définit trois axes de recherche, sans que ceux-ci ne définissent une quelconque échelle de valeur ni ne soient limitatifs:

·       Jouer avec l’objet

L’interaction est pleine, l’acteur·trice évolue dans une scénographie et joue avec l’environnement. Au lieu d’être un simple décor, chaque objet trouve une place particulière dans le jeu, sans prendre pour autant la place de l’acteur. Dans les propositions d’Aurélien Bory, de Camille Boitel ou dans celles des artistes performeurs Erwin Wurm ou Fabrice Hyber, la manipulation de l’objet devient un spectacle. Les objets ne figurent plus en tant que simples accessoires, mais comme des partenaires de jeu. Comment penser l’intégration des objets dans une scénographie dont le rôle importe autant que le jeu de l’acteur·trice ? Quels nouveaux enjeux en termes de production ou de diffusion cela engendre-t-il ? Ce rôle de l’objet renouvelle-t-il les places traditionnellement assignées des scénographes et metteur·teuse·s en scène ? En tant que partenaire de jeu, l’objet manipulé fait émerger une nouvelle dramaturgie qui n’est plus construite autour de mots, mais du geste. Comment analyser ces  modèles dramaturgiques ?

·       Chorégraphies d’objets / objets actants 

Lorsque les objets prennent peu à peu la place de l’acteur·trice, pour le détrôner, nous parlons d’objets “actants”. Les yeux sont tournés exclusivement vers la chorégraphie de l’objet, comme personnage principal de la scène, seul dans la lumière. Bien que présents sur scène, les acteurs sont oubliés, à l’instar du théâtre d’objet où l’objet transformé dissimule les agissements du manipulateur (« objecteur » chez Christian Carrignon[6]). Anthropomorphisés et/ou robotisés, les objets pourront ainsi présenter leur propre spectacle, comme dans les créations du groupe Reflective Interaction de l’EnsadLab, à l’instar du projet Fauteuil handicapé (2014-2018) ou dans les propositions spectaculaires de Rabih Mroué et Lina Saneh (33 Tours et quelques secondes) ou de Rebecca Horn (Concert for Anarchy). Comment penser alors la disparition progressive de l’acteur·trice ?

·       Spectacles imaginaires

Le dernier axe questionne le spectacle mental, sans présence de narrateur ni d’interprète, sans mouvement. L’interaction avec l’objet s’est perdue, il n’y a plus aucune présence humaine hormis celle du public. Les objets sont posés, immobiles, silencieux, mais paradoxalement très bavards. Dans les installations d’objets, le récit ne se passe pas sous les yeux du spectateur, mais dans son imaginaire. Comme nous pouvons le voir dans les œuvres de Pierre Ardouvin (La tempête) et Grout & Mazeas (Mobilier Baveux et Untitled before Christ), la seule présence d’objets mis en scène suffit à déclencher une fiction d’objets. Grâce à des ressorts dramaturgiques (lumière accentuée, situations dramatiques), l’objet devient théâtral, spectaculaire. Nous pourrons également nous intéresser aux formes installatives liées à des performances (par exemple, Tell Me de Guy de Cointet exposé au Centre Pompidou à Paris). Comment penser ces installations une fois les acteurs et actrices parti·e·s ?

 

Modalités de participation

Les propositions de communication, comprises entre 500 et 1 000 mots et accompagnées d’une bibliographie indicative et d’une courte biographie, sont à envoyer en pdf pour le mardi 15 mai 2024 au plus tard à l’adresse mail : scenographiesdobjets@gmail.com

La journée d’étude se déroulera en octobre 2024, à l’Université Rennes 2, en partenariat avec le laboratoire PTAC de l'Université de Rennes 2 et ARTES, laboratoire des arts de l’Université Bordeaux-Montaigne.

Nous acceptons les propositions de communications issues du champ des arts plastiques, de l’histoire de l’art, de la scénographie, des arts du spectacle, du design, danse, etc. Elles ne devront pas dépasser 25 min.

 

Comité d’organisation 

Angélique Mangeleer, doctorante en Arts Plastiques, PTAC, Rennes 2

Clémentine Cluzeaud, docteure et chercheuse associée ARTES, Bordeaux Montaigne 

 

Bibliographie indicative :    

Ouvrages et catalogues d’exposition : 

A Theater Without Theater, Bernard Blistène, Yann Chateigné Manuel J. Borja-Villel avec la collaboration de Pedro G. Romero, catalogue de l’exposition A Theater Without Theater, Barcelone, éditions MACBA, 2007.       
DONAGAN Jean, Raconter avec les objets, une pratique du récit vivant, Aix-en-Provence, éditions Edisud, 2001.      
DESANGES Guillaume, Pierre Ardouvin : eschatologie park, Dijon, éditions Les Presses du réel, 2011.          
LEHMANN Hans-Thies, Le Théâtre Postdramatique, Paris, L’Arche, 2002.                    
MATTÉOLI Jean-Luc, L’objet pauvre, mémoire et quotidien sur les scènes contemporaines françaises, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.   
MC KINNEY Joslin et PALMER Scott (dir.), Scenography expanded: an  introduction  to contemporary performance design, Londres, Bloomsbury, 2017.     
SEMET-HAVIARAS Marie-Noëlle, Les plasticiens au défi de la scène (2000-2015), Paris, L’Harmattan, 2017.          
TISSERON Serge, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, éditions des Presses Universitaires de France, 2016. 

Revues :

Agôn, n° 4, « L’Objet », Émilie CHARLET, Aurélie COULON et Anne-Sophie NOËL (dir.)  [en ligne], 2011, URL de référence : https://journals.openedition.org/agon/1668 , consultée le 2 juin 2021.       
Pavillon, n° 5, « L’objet scénique », 2014, Monaco, Pavillon Bosio.
 
[1] Hans-Thies LEHMANN, Le Théâtre Postdramatique, Paris, L’Arche, 2002.
[2] Arnold ARONSON « Foreword », dans Joslin MC KINNEY et Scott PALMER (dir.), Scenography expanded:  an introduction to contemporary performance design, Londres, Bloomsbury, 2017, p. XIV « The scenography moves not merely from background to foreground, but very often from accessory to content:  scenography as the generative element of performance as well as its primary meaning. » [traduction personnelle Cl. Cluzeaud].
[3] Définition d’« objet » issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consultée le 15 octobre 2023.
[4] Monika PORMALE, « Arts visuels et scénographie », Études théâtrales, vol. 54-55, n°2 et 3, 2012, pp. 139-140.
[5] Jean-Luc MATTEOLI, L’objet pauvre, mémoire et quotidien sur les scènes contemporaines françaises, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011. 
[6] Christian CARRIGNON, « Le théâtre d’objet : mode d’emploi », Agôn [en ligne], 2011, 25 janvier 2021, n°4, URL de référence : https://journals.openedition.org/agon/2079 ; consulté le 1er novembre 2023.