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Les bibliothèques multilingues des écrivains (revue Manuscrítica)

Les bibliothèques multilingues des écrivains (revue Manuscrítica)

Publié le par Marc Escola (Source : Olga Anokhina)

« Les bibliothèques multilingues des écrivains » - Manuscrítica, dossier 54

La bibliothèque a été traditionnellement considérée comme une image et un dépôt de connaissances et, à l’époque moderne, comme un espace de création littéraire. Bien avant La bibliothèque de Babel de Borges et l’encyclopédie du savoir contemporain deBouvard et Pécuchet, les bibliothèques ont souvent joué le rôle d’un moteur de la création littéraire. Déjà dans Don Quijote –livre né d’autres livres et dans lequel les bibliothèques abondent– sont représentées la bibliothèque démesurée d’Alonso Quijano (transformée par l’effet de ses lectures en Don Quijote) et la bibliothèque minimale, composée de trois livres, que contient la valise de l’Aubergiste  (I, 32). Comme Cervantes, qui a écrit une œuvre qui tire sa texture de la matière même des livres, nous savons que Borges et Flaubert ont beaucoup lu pour écrire leurs œuvres. Les bibliothèques des écrivains sont donc, à la fois, atelier et réceptacle de l’œuvre à venir. 

Outre les travaux spécifiques sur les bibliothèques de certains auteurs illustres, il existe quelques études générales sur les bibliothèques des écrivains et des traducteurs et sur les différentes pratiques de marginalia, qui montrent l’importance du rapport au livre et à la bibliothèque dans les processus de création1. Par ailleurs, les recherches menées par l’équipe Multilinguisme, traduction, création de l’ITEM2 ont montré que, très souvent, « le monolinguisme apparent peut cacher le multiculturalisme et le plurilinguisme »3 des créateurs, y compris des écrivains nationaux les plus emblématiques. Le plurilinguisme de ces écrivains reste donc caché, peu connu du public et des critiques et ne peut être révélé que par les documents de travail (les brouillons, les notes, les scénarios), la correspondance et la bibliothèque de l’écrivain. 

Les brouillons et la correspondance4 nous renseignent sur les langues les plus « actives », pratiquées au quotidien et lors du processus créatif par des écrivains plurilingues car le bilinguisme largement (re)connu –comme celui de Nabokov, de Beckett ou de Tolstoï– peut, en réalité, cacher le véritable plurilinguisme. Les bibliothèques des écrivains offrent, quant à elles, une vision du spectre linguistique du créateur encore plus large, encore plus ouvert en donnant les informations sur les langues « lues » et « comprises » par un écrivain, qui participent de sa formation intellectuelle et qui peuvent l’influencer dans ses pratiques créatives dans une langue « nationale ».  

Ainsi, la bibliothèque d’Haroldo de Campos, composée de plus de 20 000 livres dans au moins 37 langues5, et celle d’Umberto Eco qui contient plus de 45 000 volumes en plusieurs langues, plutôt que de donner forme à un universalisme monolingue, comme cela se produit souvent dans la littérature d’aujourd’hui6, incarnent un espace de tensions multiples et fracturées, dans lequel il est possible de lire l’inscription de certaines langues dans les autres, de certaines œuvres dans les autres.

Ce dossier de Manuscritica se propose donc d’étudier les bibliothèques à partir de la problématique d’un multilinguisme tiraillé entre le mythe de Babel et le mythe de la Pentecôte. Les contributions à ce numéro, qu’il s’agisse des études de cas concrets ou des réflexions plus globales et transversales, vont aborder de nombreux questionnements. Qu’est-ce qu’une bibliothèque multilingue ? Quel est le rapport entre les bibliothèques et le multilinguisme ? Quelle est la relation entre le multilinguisme des bibliothèques et le travail créatif des écrivains ? Comment les annotations que le lecteur marginaliste inscrit dans les volumes de sa bibliothèque mettent-elles en contact des langues différentes ? Quelles informations sur la maîtrise des langues offrent les marginalias des écrivains ? Quelle est la place qu’y occupe la traduction ? 

Dans la mesure encore plus grande que le font les brouillons (qui révèlent le véritable processus créatif et le rôle de différentes langues lors de la création d’une œuvre chez des écrivains plurilingues) et la correspondance (qui permet d’avoir un aperçu très précis des langues pratiquées par un écrivain et du niveau de leur maîtrise), les bibliothèques d’écrivains imposent une réflexion essentielle : est-ce qu’il existe, au fond, des bibliothèques monolingues ? Et, par extension : est-ce qu’il existe des écrivains monolingues ? En effet, tout écrivain crée à l’intérieur d’un système qui pourrait être désigné comme Weltliteratur7 dont il est le produit et qui l’inspire et le guide dans sa propre création. Qu’il lise en original ou en traduction les œuvres littéraires et critiques provenant d’autres horizons linguistiques, géographiques et culturelles, tout écrivain, quelle que soit sa langue d’expression, s’inscrit dans cette cosmologie culturelle universelle qui inclut toutes les langues du monde.

Manuscrítica - Revista de Crítica Genética accueille des contributions en portugais, espagnol, français et anglais.

Pour connaître les sections de la revue et les directives aux auteurs, veuillez consulter : https://www.revistas.usp.br/manuscritica/about/submissions