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Appels à contributions
Réécrire le voyage (Rabat, Maroc)

Réécrire le voyage (Rabat, Maroc)

Publié le par Marc Escola (Source : Saloua El Oufir)

Université Mohammed V de Rabat

Faculté des Lettres et des Sciences humaines

 Laboratoire Langues, Littératures, Arts et cultures

 Journée d’étude 

« Réécrire le voyage » 

 16 mai 2024 

Appel à contributions 

À l’heure où les voyages dans l’espace donnent une nouvelle signification à l’exotisme, où la singularité des cultures cède de plus en plus devant la mondialisation, repenser le voyage et son écriture devient un impératif devant lequel nombre de nos certitudes s’évaporent. Car après avoir été longtemps fortement délimités dans nos imaginaires, l’ici et l’ailleurs déplacent leurs frontières nous invitant à réduire l’écart entre nous et les autres mais, de plus en plus aussi, entre le nord et le sud, l’Orient et l’Occident. Par ailleurs, la banalisation du voyage qui se consomme aujourd’hui virtuellement par la force de l’image avant même le déplacement effectif, laisse désormais peu de place à la découverte et à l’étonnement. Plus que jamais, le déplacement dans la hiérarchie sociale, condition sans laquelle il ne pouvait y avoir de voyage pour Claude Lévi-Strauss1, fait défaut à des expéditions que le savoir-faire des voyagistes balise et rend plus sûres. Qu’est-ce donc le voyage aujourd’hui pour celui qui entend maintenir ses privilèges sur le territoire de l’autre ? Qu’est-ce que le voyage à l’ère des cartes numériques et des applications spécialisées ? Quel sens donner encore à l’exploration quand les images satellitaires renseignent le voyageur en amont sur les contrées qu’il entend visiter ? Qu’est-ce qu’écrire le voyage quand celui-ci– comme le dit si bien Jean-Marc Moura – n’est qu’« usage et usure du monde »2 ? 

Si ces interrogations discréditent le voyage dans son acception commune ou du moins le placent nécessairement aujourd’hui sous le signe de la répétition (on voyage désormais pour (re)découvrir), elles rendent caduque la volonté d’en rendre compte par écrit dans un récit qui serait à vocation essentiellement référentielle ou testimoniale. Ce n’est pas pour rien que la littérature de voyage, genre qui a toujours inspiré sous-estime et suspicion, n’a pas attendu l’avènement du tourisme de masse pour rompre avec le diktat de l’exactitude et se renouveler. Soit très tôt, en mêlant faits réels et intrusions fabuleuses, soit plus tard, en misant sur son aspect protéiforme, le récit de voyage a toujours tourné l’hybridité générique qui le caractérise en atout. Une singularité sans laquelle l’expérience viatique n’aurait pas pu donner lieu à des récits utopiques, des voyages imaginaires ou encore des voyages littéraires. Dans ces cas précisément, écrire le voyage revient systématiquement à le réécrire. 

Aujourd’hui encore, réécrire le voyage, c’est essentiellement le réinventer. Si d’aucuns délinéarisent le récit qui le transpose pour se raconter et s’épancher, d’autres en font le point de départ d’une expérience littéraire à part entière. Dans Extérieur monde d’Olivier Rolin, l’écriture fragmentaire se saisit avec brio des notes de voyage de l’auteur, de ses souvenirs littéraires mais aussi des pauses introspectives qu’il s’accorde. La réécriture du voyage peut aussi, par l’entremise de la fiction, redonner vie à des récits de voyage poignants. Mbougar Sarr fera des témoignages de migrants africains la matière première de son roman Silence du choeur. Sous le titre Mardochée, Kébir M. Ammi réécrit Reconnaissance au Maroc du prêtre explorateur Charles de Foucauld et réhabilite la figure du rabbin, voyageur de second ordre, qui lui a servi de guide. Ce faisant, l’écrivain réécrit aussi l’histoire. 

Mais loin des perspectives romanesques, la réécriture du voyage peut aussi prendre la forme d’une exploration critique des récits du passé. Réécrire des pages de la littérature de voyage occidentale, c’est questionner les ressorts ethnocentriques de textes qui ont été le plus souvent l’oeuvre de représentants d’un colonialisme militaire, spirituel ou commerçant3 et qu’on a longtemps appréhendés comme des « énoncés transparents »4. 

C’est à toutes ces formes de réécriture du voyage – qu’elles empruntent la voie de la fiction ou de l’essai – que se consacreront les travaux de cette journée d’études. Fortes d’une approche pluridisciplinaire, les différentes interventions devront contribuer à faire avancer la réflexion critique autour des axes suivants : 

Voyage et réception 
Voyage et réécriture
Récits de voyage à l’épreuve de l’histoire 
Voyage et conscience écologique aujourd’hui 
Voyage, narration et médias 
Voyage et ethnocentrisme 
Le voyage dans la fiction et la fiction dans le voyage 
Voyage et (ré)écriture de soi 
Voyage, utopie et uchronie 
Poétique du voyage et art du fragment 
Récits de voyage et généricité 

Les propositions de communication (environ 300 mots) – comportant un titre, un résumé et une courte notice bio-bibliographique– doivent être envoyées avant le 15 mars à l’adresse suivante : reecrirelevoyage@gmail.com.

Les auteurs des propositions retenues recevront un avis d’acceptation avant le 15 avril.

À l’issue de la journée d’études, le comité scientifique sélectionnera les communications qui feront l’objet d’un collectif. 

Coordination :

Saloua El Oufir 

Comité scientifique : 

François-Jean Authier (CPGE- Poitiers) 

Abdelmajid Azouine (Université Mohammed V de Rabat) 

Houda Benmansour (Université Mohammed V de Rabat) 

Mickaelle Cerdegren (Université de Stockholm) 

Saloua El Oufir (Université Mohammed V de Rabat) 

Youssef Ouahboun (Université Mohammed V de Rabat) 

Touria Oulehri (Université Moulay Abdallah de Fès)

Bibliographie :

Duchet, Michèle, Le Partage des savoirs : Discours historique et discours ethnographique, 
La découverte, Paris, 1985. 
Hartog, François, Le Miroir d’Hérodote : Essai sur la représentation de l’autre, Gallimard, coll. Folio Histoire, Paris, 1991. 
Hugon, Anne, L’Afrique des explorateurs : Vers les sources du Nil, Gallimard, Paris, 1991. 
Lejeune, Dominique, Les Sociétés de géographie en France et l’expansion coloniale au XIXe siècle, Albin Michel, Paris, 1993. 
Lévi-Strauss, Claude, Tristes tropiques, Ed. Plon, Paris, 1955. 
Moura, Jean-Marc, « Reprise, répétition et réécriture des voyages dans la fiction européenne contemporaine », in La Littérature dépliée. Reprise, répétition, réécriture, Jean-Paul Engélibert et Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), Presses universitaires de Renne, Renne, 2008. 
Moureau, François, Métamorphoses du récit de voyage, Paris, Ed. Champion, 1986. 
Pour une littérature voyageuse (ouvrage collectif), Complexe, coll. Le Regard littéraire, Paris, 1999. 
Todorov, Tzvetan,  La Conquête de l’Amérique : La Question de l’autre, Seuil, Paris, 1982. 
Todorov, Tzvetan, Les Morales de l’Histoire, Grasset, Paris, 1991. 
Todorov, Tzvetan, Nous et les autres : La Réflexion française sur la diversité humaine, Seuil, Paris, 1989. 
Todorov, Tzvetan, Baudot, Georges, Récits aztèques de la Conquête, Seuil, Paris, 1983. 
Wolfzettel, Friedrich, Le Discours du voyageur. Pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen Âge au XVIIIe siècle, coll. « Perspectives littéraires », Paris, 1996. 

[1] Pour Claude Lévi-Strauss, il ne peut y avoir de voyage sans déplacement dans le temps, dans l’espace et dans la hiérarchie sociale. V. Tristes tropiques, Plon, Paris, 1955.

[2] V. Jean-Marc Moura, « Reprise, répétition et réécriture des voyages dans la fiction européenne contemporaine », in La Littérature dépliée. Reprise, répétition, réécriture, Jean-Paul Engélibert et Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), Presses universitaires de Renne, Renne, 2008, pp. 49-59.

[3] Pour Todorov, « il faut pour assurer la tension, nécessaire au récit de voyage, la position spécifique du colonisateur : curieux de l’autre et sûr de sa propre supériorité ». V. Les Morales de l’Histoire, Grasset, Paris, 1991, p. 136. Cette condition qui voudrait que l’auteur du récit de voyage soit un guerrier conquérant, un missionnaire ou un marchand place en dehors des frontières du genre les récits des voyageurs orientaux en Europe.

[4] Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique : La Question de l’Autre, Seuil, Paris, 1982, p.72.