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Manger ou ne pas manger la chair. Sociabilité et éthique autour de la table (Rennes)

Manger ou ne pas manger la chair. Sociabilité et éthique autour de la table (Rennes)

Publié le par Marc Escola (Source : Sophie Mesplède)

Appel à communications

« Manger ou ne pas manger la chair.

Sociabilité et éthique autour de la table »

 Organisation :

Florence Magnot-Ogilvy (Laboratoire CELLAM)

et Sophie Mesplède (Laboratoire ACE)

Jeudi 6 juin 2024, Université Rennes 2

Cet évènement est soutenu par le GIS Sociabilités/ Sociability. 

Depuis le tournant non humain du début du 21ème siècle, de nombreux travaux critiques se sont penchés sur la question animale au XVIIIe siècle, époque où la place de l’humanité dans le monde, le rapport des êtres humains aux animaux non humains, la sensibilité de ces derniers et les débats sur l’âme sensorielle sont au cœur des réflexions des philosophes, des médecins, des naturalistes et des pédagogues[i].   

Peu d’études ont cependant exploré la question des modes d’alimentation carnés ou non carnés spécifiquement sous l’angle de la sociabilité[ii]. Or il s’agit bien de l’une des lignes de partage de la sociabilité, entre hommes et femmes, entre jeunes et moins jeunes, entre personnes d’horizons divers, mais aussi, de façon nouvelle, entre humains et non humains, dans un siècle où les animaux dits « de compagnie » se font une place de choix au sein même des sociabilités humaines[iii]. Dès lors que de plus en plus d’êtres humains développent des relations affectives privilégiées avec des chats, des chiens, des singes, des oiseaux, pour ne citer que quelques espèces compagnes, la réflexion s’engage sur le fait de consommer ou non le corps d’animaux doués de sensibilité et à qui certains naturalistes ou écrivains, tels l’Anglais Lord Monboddo ou le chasseur-philosophe Charles Georges Leroy, auteur de Lettres sur les animaux, reconnaissent la capacité de s’agréger en communautés qui leur semblent proches des sociétés humaines. La tradition du récit à métempsicose, relancée par la vogue de l’orientalisme, s’articule alors, d’une manière inédite, à des réflexions sur le point de vue, la sensibilité et à des réflexions sur l’individualité. 

À l’abstinence de viande pratiquée pour des raisons religieuses[iv] à celle portée par des préoccupations médicales (chez George Cheyne, par exemple, où la question du régime se trouve également articulée à un imaginaire du pouvoir ) vient désormais s’adjoindre, au cours du 18ème siècle, celle qui naît de considérations éthiques sur les devoirs des humains envers les autres animaux et interroge en profondeur la ligne de partage entre humanité et animalité dans des cultures européennes gagnées par les impératifs de la sensibilité. Les écrits philosophiques de Voltaire, Diderot, Condillac ou Rousseau sur la nature de cette frontière et les conséquences à en tirer en matière d’alimentation allaient être lus dans toute l’Europe tandis que leurs fictions s’adossent à un imaginaire alimentaire lesté de valeurs morales et politiques, du souper de Zadig aux habitudes alimentaires genrées de Clarens telles qu’elles sont exposées par Saint-Preux dans l’une des lettres de La Nouvelle Héloïse. De l’autre côté de la Manche, ce sont souvent des hommes de foi qui s’élèvent contre les cruautés infligées aux autres espèces et appellent à une réflexion sur les modalités de leur mise à mort tout autant que sur sa finalité. Si la barbarie des traitements de certains animaux mettait en danger la fibre morale des êtres humains, comme la série de gravures de William Hogarth intitulée The Four Stages of Cruelty (1751) contribua à le mettre en lumière auprès d’un large public anglais, qu’en était-il de la consommation de leur chair ? Le « végétarisme », terme qui n’apparaîtra pour autant qu’à la moitié du 19ème siècle, paraît à de plus en plus d’hommes et de femmes une option vertueuse qui, à défaut d’être toujours pratiquée, est l’objet de réflexions et de discussions dans le cadre d’une sociabilité éclairée.

Cette journée d’étude, consacrée aux débats entourant la consommation des animaux à l’époque des Lumières et aux reconfigurations des positions qui ont lieu durant cette période, invite à se pencher sur la question de l’alimentation carnivore des êtres humains en tant qu’elle croise l’émergence de nouvelles formes de sociabilité en Europe. Elle s’intéressera à la façon dont les interrogations quant au statut ontologique d’animaux non humains participèrent à la redéfinition de sociabilités européennes où la consommation de chair constituait une pratique régulière encouragée par l’aventure commerciale du long 18ème siècle.

Les débats actuels autour du végétarisme, du véganisme, de l’anthropocentrisme ou encore de la nature genrée de l’alimentation nous invitent à remonter aux origines de la modernité, et à réinterroger les Lumières sur la place et le rôle des animaux non humains dans ce qui constitue la société. Dans cette optique, on pourra donc s’intéresser aux nombreuses représentations, textuelles ou picturales, évoquant la question de la consommation des corps animaux dans divers contextes sociaux et littéraires : 

·      Dans les arts visuels : représentations iconographiques d’animaux tués ou engraissés pour la consommation humaine (tableaux de chasse, portraits d’animaux de rente, natures mortes), de carcasses d’animaux, de préparations culinaires les incluant de façon visible, d’étals de marchés et de tables de cuisine, de présences d’animaux dans des scènes de banquets, scènes de nourrissage, association visuelle entre féminité et chair animale, caricatures et représentations satiriques, illustrations de fables, de textes pédagogiques ou de  publications scientifiques, etc. 

·      En littérature, comment sont représentées les discussions (discussions de table, conditions matérielles des débats sur la question, modalités des conversations, des disputes et des débats) à propos de ce que l’on mange ou de ce que l’on boit, les considérations hygiénistes sur l’alimentation des enfants, sur l’influence de la consommation de chair sur les mœurs humaines, sur le lien entre ce que l’on mange et ce que l’on est, comment ce type de propos est- il infléchi par les différents genres littéraires, etc. ? 

·      Dans la presse périodique, les essais, les écrits politiques et pamphlétaires, on pourra se demander comment la question est mobilisée pour servir à telle ou telle argumentation.

·      Dans quelle mesure les écrits scientifiques font-ils place à la modification en cours des mœurs et de la sensibilité par rapport aux animaux (écrits naturalistes, hygiénistes, vétérinaires, médicaux) ?

Les propositions (avec un titre provisoire, un résumé en 250 mots et une brève biobibliographie de l’auteur) pour la journée d’étude sont à envoyer avant le 15 mars 2024 à 

 Florence Magnot-Ogilvy  florence.magnot-ogilvy@univ-rennes2.fr

et Sophie Mesplède sophie.mesplede@univ-rennes2.fr

Les communications pourront avoir lieu en français ou en anglais. 

Bibliographie indicative

·      Arena, Francesca, Yasmina Foehr-Janssens, Irini Papaikonomou et Francesca Prescendi (eds.), Allaitement entre humains et animaux : représentations et pratiques de l’Antiquité à aujourd’hui, Anthropozoologica 52/1, 2017

·      Berchtold, Jacques, "Julie et l'âme des poissons du Léman dans La Nouvelle Héloïse de Rousseau", De l'animal-machine à l'âme des machines : querelles biomécaniques de l'âme XVIe-XXIe siècles, Paris, éditions de la Sorbonne, 2010, disponible en ligne . ISBN : 9791035102562. DOI : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.17541.

·      Berchtold Jacques et Jean-Luc Guichet (ed.), « L’animal des Lumières », Dix-huitième siècle 42, 2010

·      Blackwell, Mark, The Secret Life of Things: Animals, Objects, and It-Narratives in Eighteenth Century England (Bucknell University Press, 2007)

·      Burgat, Florence, L’humanité carnivore (Seuil, 2017)

·      Guerrini, Anita, “A Diet for a Sensitive Soul: Vegetarianism in Eighteenth-Century Britain.” Eighteenth-Century Life 23.2, May 1999: 34-42 

·      Guichet, Jean-Luc, Rousseau, l’animal et l’homme. L’animalité dans l’horizon anthropologique des Lumières (Cerf, 2006) 

·      Guichet, Jean-Luc (ed.), De l'animal-machine à l'âme des machines : querelles biomécaniques de l'âme XVIe-XXIe siècles, Paris, éditions de la Sorbonne, 2010

·      Gregory, James, “Vegetable Fictions in the Kingdom of Roast Beef: Representing the Vegetarian in Victorian Literature”, in Tamara S. Wagner and Narin Hassan (dir.), Consuming Culture in the long Nineteenth Century. Narratives of Consumption, 1700-1900 (Lexington Books, 2007): 17-34

·      Larue, Renan, Le Végétarisme des Lumières. L’abstinence de viande dans la France du XVIIIème siècle (Garnier, 2019)

·      Magnot-Ogilvy, Florence, « Instabilité énonciative et hiérarchie des valeurs dans l’Histoire véritable : l’effet-personnage et la projection sensorielle chez Montesquieu », Montesquieu et la fiction : autour des Lettres persanes, Aurélia Gaillard (dir.), Lumières, 2022: 145-159

·      Morton, Timothy, “Joseph Ritson, Percy Shelley and the Making of Romantic Vegetarianism”, Romanticism 12.1, 2006: 52-61 

·      Page-Jones, Kimberley, “From Buffon to Coleridge. Sociability and Humanity in Eighteenth- and Nineteenth-Century Comparative Anatomy”, Literature & History 32(2), 2023: 110-128

·      Puskar-Pasewicz, Margaret, Cultural Encyclopedia of Vegetarianism (Greenwood, 2010)

·      Richardot, Anne (dir.), Bestiaire des Lumières, Revue des sciences humaines 296, 2009

·      Serna, Pierre, L’Animal en République (Anarchasis, 2016)

·      Serna, Pierre, Comme des bêtes (Fayard, 2017)

·      Spencer, Colin, The Heretic’s Feast: A History of Vegetarianism (UPNE, 1996)

·      Strivay, Lucienne, « Manger juste. Les droits de l’animal dans les encyclopédies de 1750 à 1800. De l’éthique au politique », in Bodson, Liliane, Le Statut éthique de l’animal : conceptions anciennes et nouvelles (Université de Liège, 1995): 61-99

·      Stockhorst, Stefanie, Jürgen Overhoff and Penelope J. Corfield, Human-Animal Interactions in the Eighteenth-Century. From Pests and Predators to Pets, Poems and Philosophy (Brill, 2021)

·      Wolloch, Nathaniel, Subjugated animals. Animals and Anthropocentrism in Early Modern European Culture (Humanity Books, 2006)

Comité scientifique

·      Jacques Berchtold (Sorbonne Université/ Fondation Bodmer)

·      Valérie Capdeville (Rennes 2)

·      Émilie Dardenne (Rennes 2/ IUF)

·      Jean-Luc Guichet (Université de Picardie)

·      David Mc Callam (University of Sheffield)

·      Florence Magnot-Ogilvy (Rennes 2)

·      Sophie Mesplède (Rennes 2)

·      Kimberley Page-Jones (UBO)

·      Sophie Vasset (Université Paul Valéry)

·      Phil Withington (University of Sheffield)

 — 
[i] Voir en particulier L’animal des Lumières, Jacques Berchtold et Jean-Luc Guichet (dir.), DHS, 42, 2010 ; Bestiaire des Lumières, Anne Richardot (dir.), Revue des sciences humaines 296, 2009 ; Figures animales, Annie Duprat (dir.), Sociétés et représentations 27, 2009 ; Jean-Luc Guichet, Rousseau, l’animal et l’homme. L’Animalité dans l’horizon anthropologique des Lumières (Cerf, 2006). Ainsi que les travaux de Pierre Serna, L’Animal en République (Anarchasis, 2016) et Comme des bêtes (Fayard, 2017).
[ii] A l’exception notable de l’ouvrage Le Végétarisme des Lumières. L’abstinence de viande dans la France du XVIIIème siècle de Renan Larue (Garnier, 2019) qui s’emploie à explorer les racines de la pensée végane et végétarienne dans les écrits des Lumières. Renan Larue a fondé un programme d’études véganes à l’université de Californie où il enseigne, élargissant la perspective jusqu’aux débats actuels sur les questions du végétarisme et des modes d’alimentation comme prises de positions politiques. 
[iii] Voir la thèse récemment soutenue en 2023 par Tomohiro Kaibara sous la direction d’Antoine Lilti : « Le Grand sacre des chats : l'invention d'un animal de compagnie en France (1670-1830) ». 
[iv] On peut songer au cas de Thomas Tryon, mais aussi aux interdits alimentaires de toutes les religions qui retiennent l’attention de philosophes comme Voltaire en France.