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Enjeux écologiques des littératures du travail françaises et francophones

Enjeux écologiques des littératures du travail françaises et francophones

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Aurore Labadie)

Enjeux écologiques des littératures du travail françaises et francophones

 

Colloque coorganisé par Alice Desquilbet (Université Sorbonne Nouvelle), Xavier Garnier (Université Sorbonne Nouvelle) et Aurore Labadie (Université Sorbonne Nouvelle)

Les 10-11 octobre 2024

Université Sorbonne Nouvelle, Paris

En octobre 2022, le colloque “Les fables du tri. Travail, entreprise et conflits éthiques dans la littérature et le cinéma du XXe siècle1” organisé à l'Université de Strasbourg a fait émerger des questions liées aux enjeux écologiques du travail, sur lesquels le colloque "Enjeux écologiques des littératures du travail françaises et francophones" souhaite à présent se pencher.

De l’agriculture industrielle à l’abattage animal, nombreux sont les secteurs professionnels touchés par des dynamiques écocides auxquelles les littératures françaises et francophones d’aujourd’hui s’intéressent. Terre, animaux humains et non humains sont présentés dans ces oeuvres récentes comme les victimes de pratiques professionnelles relevant de l’exploitation. La surpêche dans Le Règne du vivant d’Alice Ferney fait écho aux productions animales du Chant du poulet sous vide de Lucie Rico, l’extractivisme dans Généalogie d’une banalité de Sinzo Aanza et Le Gros carat de Mweru Nzumwa aux ravages humains de l’agrochimie dans La Malchimie de Gisèle Bienne, les scandales du nucléaire dans Partout le feu d’Hélène Laurain et La Pierre jaune de Geoffroy Le Guilcher aux forages pétroliers dans Puissions-nous vivre longtemps de Imbolo Mbue et le Journal intime d’une prédatrice de Philippe Vasset. Au-delà de ces quelques exemples dans lesquels les contributeurs et contributrices pourront puiser, on s’interrogera : quels enjeux écologiques sont soulevés par les fictions et non-fictions actuelles qui s’intéressent aux exploitations humaines et non humaines ? Comment ces oeuvres représentent-elles le travail en lien avec ses conséquences écologiques, dans la mesure où il repose sur la transformation des ressources naturelles ? Quelles exigences et réflexions éthico-politiques sont ainsi générées ?

Si les recherches sur la littérature du travail et le roman d’entreprise ont déjà pointé les enjeux linguistiques, sociologiques, économiques et politiques de ce champ2, elles ont moins envisagé les liens entre travail et écologie. Or, une frange de la littérature d’aujourd’hui s’ouvre à ces problématiques citoyennes très contemporaines, en rompant avec une forme d’impensé - sur lequel le colloque invite précisément à réfléchir, en privilégiant un dialogue avec les sciences humaines.

Ces ouvrages, qui pointent pour certains la responsabilité écologique des grandes entreprises et la portée réelle de leurs pratiques expurgées du discours du greenwashing, entrent en effet en connivence avec les préoccupations les plus actuelles des sciences humaines. Les Mondes du travail consacre ainsi un numéro récent de leur revue à cette question3. De même, dans son dernier opus, Exploiter les vivants. Une écologie politique du travail, Paul Guillibert développe l’idée que “l’exploitation du travail est au coeur de la crise écologique” (p.18-19). Considérant à la fois le travail humain et “la mise au travail de la nature” (p. 122), le chercheur en philosophie montre alors que “s’approprier la nature pour la transformer suppose toujours un ensemble de médiations techniques qui informent le procès de travail lui-même” (p. 28) et suggère que ce système de production qui exploite à la fois la nature et le travail - ce qu’il propose d’appeler “le prolétariat des vivants” (p. 132) - est au coeur de la crise écologique. Il s’agira de voir comment la littérature représente l’exploitation des vivants et ses conséquences : par quels moyens l’écriture peut-elle faire advenir un prolétariat des vivants dans les textes ?

De fait, la mise en relation des ravages humains et écologiques de grande ampleur est caractéristique de ce qu'on peut appeler notre ère du Capitalocène. De plus en plus fréquemment employé dans la critique écologique, le Capitalocène est un terme qui vise à insister sur le fait que les bouleversements actuels sont le fait de ce que l'historien britannique Eric Hobsbawm a appelé "l'âge du capital4", bien que plus que celui de "l'âge de l'homme en général" comme le suggère le terme "Anthropocène". Comme le montrent entre autres les historiens Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, le concept de Capitalocène met l'accent sur le fait que "cette dynamique d'accumulation du capital a sécrété une “seconde nature” faite de routes, de plantations, de chemins de fer, de mines, de pipelines, de forages, de centrales électriques, de marchés à terme et de porte-conteneur5. Il s'agira donc aussi de montrer en quoi cette "seconde nature" caractéristique du Capitalocène est représentée dans les oeuvres, en lien avec la thématique du travail.

Les propositions de communication pourront analyser, dans une dynamique d’intersectionnalité, la façon dont les oeuvres relient les dominations du vivant (humain et non-humains) dans le monde : ouvriers et bêtes de rente dans les littératures d’abattoir6, paysans et terre dans les oeuvres du monde agricole, et double exploitation des casseuses de pierre et des sols dans les textes sur l’extractivisme7 (la liste gagnera naturellement à être complétée). Il faudra analyser en particulier la façon dont le lien entre les êtres vivants exploités (les animaux, les arbres, les êtres humains, la terre...) se fait par la poétique, la façon dont ces enjeux nouveaux génèrent un renouvellement esthétique, pour ne pas penser les uns sans les autres et interroger les formes de l’implication politique des écrivain.e.s. Quelles éventuelles inventions formelles soutiennent ces textes ? Quel type de responsabilité l’auteur s’octroie-t-il à travers la représentation de ces désastres écologiques liés à la façon dont l’humain exploite le vivant ?

En somme, il s’agira ici de faire un premier état des lieux sur la question, dans la lignée de celui proposé par le volume Ecologia e lavoro. Dialoghi interdisciplinari8 sur les littératures du travail italiennes, et nourrir ainsi les travaux de l’OBERT (Observatoire Européen des Récits du Travail). Nous aimerions également, ce faisant, contribuer à alimenter les réflexions collectives en écopoétique9 et en zoopoétique10 en les entrecroisant avec le champ des littératures du travail. Nous cherchons, enfin, à nous inscrire dans le sillage du nouveau séminaire Thalim « La littérature : nos vies en actes ? » qui entend réfléchir à l’esquisse d’ “un nouveau régime littéraire qui réclame une littérature chevillée aux expériences que nous vivons et inscrite dans des contextes intimes et collectifs [...] en un mot, une littérature action”.

 

Pistes de réflexion possibles :

 

● Le travail dans des domaines liés aux préoccupations écologiques (l'industrie, les abattoirs, le monde paysan, les centrales nucléaires, les mines, les chantiers de construction, les transports, les déchets...)
● La littérature paysanne / rurale : les pesticides, la pollution de la terre, les conséquences de l'agriculture intensive...
● Le travail en lien avec l'écologie (guérisseurs, agriculteurs du bio...)
● Les entreprises et le greenwashing
● La figure du militant écologiste et son rapport aux travailleurs·euses (les actions de la confédération paysanne, les saboteurs de méga-bassines ou d’infrastructures minières, les militants anti-OGM, le conflit avec les éleveurs sur la réintroduction du loup dans les Alpes ou de l’ours dans les Pyrénées…
● Le travail et ses conséquences écologiques (pollution, déchets, consommation d'énergie...)
● Le croisement des questions écologiques et des questions sur le travail (la consommation, l’exploitation conjointe des travailleurs et des ressources, les cadences de production...)
● Travail et éthique animale (déforestation et dégradation de la biodiversité, abattoir et “bien-être” animal…)

 

Modalités de participation

Les propositions de communication, d’une longueur maximale de 500 mots et accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à adresser avant le 30 mars 2024 à Alice Desquilbet (alice@desquilbet.org) et Aurore Labadie (labadie.aurore@hotmail.fr).

 

1. L’appel à communication et le programme sont consultables sur le site de LETHICA, de l’université de Strasbourg, URL : https://lethica.unistra.fr/evenements/evenement/les-fables-du-tri-travail-entreprise-et-conflits-ethiques-dans-la-litterature-et-le-cinema-des-xxe-et-xxie-siecles, consulté le 11/12/2023.
2. Voir Aurélie Adler et Maryline Heck (dir.), Écrire le travail au XXIe siècle. Quelles implications politiques ?, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2016 ; Corinne Grenouillet, Usines en textes, écritures au travail. Témoigner du travail au tournant du XXIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2014 ; Aurore Labadie, Le Roman d’entreprise au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2016.
3. Les Mondes du travail, Dossier “Travail et écologie”, n°29, mars 2023.
4. Eric J. Hobsbawm, L'Ère du capital. 1848-1875, [1975], Paris, Fayard, 2010.
5. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène. La terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013, p. 247.
6. Voir, par exemple, Aurore Labadie, “L’expérience limite de l’abattoir dans le récit d’immersion journalistique”, in Explorations anthropologiques de la littérature contemporaine, Aurore Labadie et Alice Laumier (dir.), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2021.
7. Voir, par exemple, Alice Desquilbet, “Enjeux éthiques et stylistiques de l’anthropomorphisme minéral”, XXI/XX - Reconnaissances littéraires, n° 3 : “Faut-il en finir avec l’anthropomorphisme ?”, 2022.
8. Carlo Baghetti, Mauro Candiloro, Jim Carter, Paolo Chirumbolo, Maria Luisa Mura, Ecologia e lavoro. Dialoghi interdisciplinari, Eterotopie, 2023.
9. Voir, par exemple, Pierre Schoentjes, Ce qui a lieu, Marseille, Wilproject, 2015. Voir aussi “Zones à dire. Pour une écopoétique transculturelle”, dossier coordonné par le collectif ZoneZadir dans la revue Littérature, n°201, 2021.
10. Voir, par exemple, Anne Simon, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Marseille, Wildproject, 2021.

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Bibliographie indicative :

- BAGHETTI Carlo, CANDILORO Mauro, CARTER Jim, CHIRUMBOLO Paolo, MURA Maria Luisa, Ecologia e lavoro. Dialoghi interdisciplinari, Eterotopie, 2023.
- CONTI Laura, Qu'est-ce que l'écologie ? Capital, travail et environnement, Paris, Maspero, 1978.
- DARDENNE Emilie, Introduction aux études animales, Paris, PUF, 2020.
- DEL AMO Jean-Baptiste, L214. Une voix pour les animaux, Paris, Flammarion, 2017.
- DESPRET Vinciane, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte, 2014.
- DESPRET Vinciane et PORCHER Jocelyne, Être bête, Paris, Actes Sud Nature, 2007.
- DESQUILBET Alice, « De la matière et des trous. L'envers du décor de la coopération sino-congolaise contemporaine », Études littéraires africaines, n° 52, 2022, p. 103-117.
- FERDINAND Malcom, Une écologie décoloniale, Paris, Seuil, 2019.
- FRESSOZ Jean-Baptiste et LOCHER Fabien, Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2021.
- GARNIER Xavier, Écopoétiques africaines. Une expérience décoloniale des lieux, Paris, Karthala, 2022.
- GORZ André, Métamorphoses du travail, quête du sens, Paris, Galilée, 1988 ; Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2004
- GRENOUILLET Corinne, Usines en textes, écritures au travail. Témoigner du travail au tournant du XXIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2014.
- GUILLIBERT Paul, Exploiter les vivants. Une écologie politique du travail, Paris, Editions Amsterdam, 2023.
- GUILLIBERT Paul, Terre et Capital. Pour un communisme du vivant, Paris, Editions Amsterdam, 2021.
- LABADIE Aurore, Le Roman d’entreprise au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2016.
- MALM Andreas, L'Anthropocène contre l'histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017.
- PORCHER Jocelyne, Éleveurs et animaux, réinventer le lien, Paris, PUF, 2002.
- ROMESTAING Alain, Mondes ruraux, mondes animaux. Le lien des hommes avec les bêtes dans les romans rustiques et animaliers de langue française (XXe - XXIe siècle), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014
- ROMESTAING Alain et SCHAFFNER Alain (dir.), “Approches de l’animal”, Elfe XX-XXI, n°5-2015, Paris, Classiques Garnier, 2016.
- SCHOENTJES Pierre, Ce qui a lieu, Marseille, Wilproject, 2015.
- SCHOENTJES Pierre, Littérature et écologie. Le mur des abeilles, Paris, Corti, 2020.
- SIMON Anne, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Marseille, Wildproject, 2021.
- EcoRev', 2013/2 (N° 41), “Produire autrement”, en ligne, URL : https://www.cairn.info/revue-ecorev-2013-2.htm, consulté le 01/12/2023.
- EcoRev', 2017/2 (N° 45), “Autour d’André Gorz”, en ligne, URL :https://www.cairn.info/revue-ecorev-2017-2.htm, consulté le 01/12/2023.
- “L’écologie dans le roman d’aujourd’hui”, BNF, en ligne, URL : https://www.bnf.fr/fr/lecologie-dans-le-roman-daujourdhui, consulté le 01/12/2023.
- Les Mondes du travail, Dossier “Travail et écologie”, n°29, mars 2023, en ligne, URL : https://lesmondesdutravail.net/n-29-travail-et-ecologie-mars-2023/, consulté le
01/12/2023.
- “Zones à dire. Pour une écopoétique transculturelle”, dossier coordonné par le collectif ZoneZadir dans la revue Littérature, n°201, 2021.