Actualité
Appels à contributions
Tracées tricontinentales de Daniel Boukman Marronnage poétique et militance culturelle

Tracées tricontinentales de Daniel Boukman Marronnage poétique et militance culturelle

Publié le par Léo Mesguich (Source : YELLES Mourad)

Colloque international

Tracées tricontinentales de Daniel Boukman

Marronnage poétique et militance culturelle

Université des Antilles - Campus de Schœlcher, Martinique

7-9 nov. 2024

__________

Il ne faut pas que l’écho soit plus fort que le bruit
Daniel Boukman 

Flanm-difé pa ka dòmi anba sann
Daniel Boukman, Labim Solo

Le présent colloque est consacré à une personnalité martiniquaise dont l’itinéraire humain, le cheminement intellectuel, la production artistique comptent incontestablement parmi les plus remarquables de sa génération. De fait, si l’intitulé évoque les « tracées tricontinentales » de Daniel Boukman, c’est pour faire référence à un parcours poétique et politique exceptionnel, situé à la fois dans la mémoire longue (celle des Nègres marrons inscrivant les « traces » de leur résistance jusque dans la profondeur des mornes) et dans une temporalité relativement plus récente (celle du combat tiers-mondiste, en écho à la fameuse « Tricontinentale » qui réunit symboliquement les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine en 1966 à La Havane). Cette manifestation scientifique vise donc à explorer les différentes facettes de la contribution de Daniel Boukman à la littérature antillaise, à la créolité, aux mouvements anticoloniaux et à la désaliénation culturelle, entre trois continents aux résonnances historiques emblématiques : les Antilles (Amérique), la France métropolitaine (Europe) et l’Algérie (Afrique).

S’il est vrai que l’expansion coloniale de l’Occident lui a largement permis d’assurer les bases matérielles d’un développement économique sans précédent, on sait les conséquences tragiques de ce processus historique. En soumettant à la violence de ses lois et de ses intérêts d’immenses parties du monde, en asservissant et en exploitant par toutes formes de moyens des millions d’hommes, de femmes et d’enfants à l’échelle planétaire, l’Occident a d’abord déstructuré des sociétés entières, suscitant par là même de multiples formes de résistance. À cet égard, les exemples ne manquent pas de ces figures d’exception qui ont incarné, à travers l’histoire récente ou plus lointaine, l’esprit de révolte et de résistance patriotique. On pense évidemment, pour l’Afrique, à l’Émir Abdelkader, à Samori Touré ou, plus près de nous, à Patrice Lumumba, Nelson Mandela. Pour les Antilles, on se rappellera bien sûr de l’admirable épopée de Toussaint Louverture.

Mais en se lançant dans son aventure impérialiste, l’Occident a aussi précipité brutalement ce qui deviendra le « Tiers- Monde » dans les turbulences de l’Histoire moderne. Force est alors de constater que c’est précisément dans l’expérience de la terreur et de la souffrance imposée par l’Occident que se forgeront les « armes miraculeuses » (Césaire) de la résilience culturelle. On pense ici à des parcours emblématiques, tels ceux de W. E. B. Du Bois, Alioune Diop ou Cheikh Anta Diop ou encore Léopold Sédar Senghor. Et comment ne pas évoquer ici le nom de Frantz Fanon. Autant de figures dont il importe - surtout dans le contexte mondial actuel - de transmettre la mémoire active aux jeunes générations. Toute une lignée de rebelles aux « tracées »  lumineuses, à l'image de celles de Daniel Boukman.

Depuis près de sept décennies, l’œuvre de Daniel Edmond Athanase Blérald, alias Daniel Boukman, né en 1936 à Fort-de-France en Martinique, n’a cessé d’illustrer les multiples aspects d’une identité forgée dans le creuset de la résistance poétique, de la lutte politique et du militantisme culturel. À commencer par l’emprunt d’un nom de plume à celui du héros nègre-marron de l’insurrection de Bois Caïman à Saint-Domingue en 1794.

Daniel Boukman incarne à merveille la figure du rebelle intrépide (figure chère au Césaire de Et les chiens se taisaient), résolument opposé à toute forme de répression. En témoigne, de manière admirable, du côté algérien notamment, son refus assumé d’obéir à l’ordre d’appel durant la guerre en Algérie et sa décision de rejoindre les rangs de l’Armée de Libération Nationale (ALN) en 1961. Avec les conséquences judiciaires de cette insoumission qui l’amèneront à s’installer durablement en Algérie où il résidera jusqu’en 1981. Cette période décisive dans la biographie personnelle de Daniel Boukman, - évoquée dans Du Morne-des-Esses au Djebel (2021), l’un des derniers romans de Raphaël Confiant - coïncide avec le début de son exploration de l’écriture dramaturgique. Une dramaturgie qui, comme le rappelle Alvina Ruprecht, « est le produit d'un  ensemble de  stratégies textuelles et esthétiques tributaires d'une vision idéologique  qui ne  recèle aucune  ambiguïté.  Sans  prétendre renouveler  la  forme  du  théâtre  politique,  il s'inscrit  dans le courant  des discours anticoloniaux  et nationalistes  d'inspiration fanonienne (...). » ("Stratégies d’une dramaturgie politique : le théâtre anticolonial de Daniel Boukman", L’Annuaire théâtral, Revue québécoise d’études théâtrales, 28/2000). À côté du cinéma (qui fera chez lui l’objet d’une longue passion), le théâtre devient un vecteur essentiel de sa quête poétique et politique, dans la mesure où elle le pousse à élaborer de nouvelles formes d’expression engagées. À travers ses différentes pièces, Daniel Boukman expose ainsi ses positions politiques, ses visées idéologiques ainsi que ses valeurs éthiques.

Au fur et à mesure de ses années d’exil algérien, se constitue ainsi le noyau dur d’une œuvre marquée par un engagement total et sans compromis en faveur de la justice et de la liberté mais aussi par un appel constant à la désaliénation politique et à la vigilance idéologique. Le premier exemple que l’on pourrait citer se trouve déjà dans son Orphée nègre (1962) - troisième et dernier texte du recueil Chants pour hâter la mort du temps des Orphée ou Madinina île esclave - à travers le cri de révolte du militant appelant à une nécessaire prise de conscience : Alors camarades, le temps des Orphées est mort ! Nous voyons assez clair, maintenant, pour aller plus loin… Nous ne sommes pas seuls sur le chemin… La LIBERTE, c'est avant tout de vos mains qu'elle sortira, camarades ? ». En réalité, cette exhortation signifie avant tout la remise en question d’une certaine « négritude », incapable de dépasser le stade de la dénonciation pour accéder à celui de la rupture définitive d’avec l’ordre ancien. Comme le note Jack Corzani dans Littérature des Antilles-Guyane françaises (1978), Daniel Boukman adopte donc une posture singulière relativement au « mythe » de la Négritude dans le contexte historique de l’évolution de ce vaste mouvement.

De même, s’agissant de mythologie, comme l’observe la critique et universitaire Christina Oikonomopoulou (« La réception des mythes et du théâtre hellénique antique à la production dramaturgique de la Caraïbe insulaire francophone », Parabasis, 17-18/1, 2023), si l’œuvre de Daniel Boukman peut se référer à l’univers culturel des classiques grecs et, plus généralement, au théâtre antique, il est évident que ces références sont retravaillées et refaçonnées de manière à produire un discours artistique et politique là encore très singulier au sein de la Caraïbe francophone. On pourrait sans doute en dire autant à propos des influences du théâtre brechtien sur son écriture théâtrale.

On note une prise de distance critique du même type dans La Véridique histoire de Hourya, écrite au milieu des années 1960 pendant le séjour algérien. Daniel Boukman y dénonce l’injustice qui est faite aux Algériennes dans l’Algérie indépendante, et ce à partir d’une recontextualisation de La Mégère apprivoisée de Shakespeare. Pour lui, il est inacceptable que la femme algérienne se retrouve dans une position d’éternelle soumise alors même que la révolution l’a poussée à se joindre à ses frères dans les maquis pour libérer leur pays de la domination coloniale. Autre exemple, la pièce Et jusqu'à la dernière pulsation de nos veines (1976) où il exprime sa solidarité envers les victimes des massacres en Jordanie et au Liban en août 1976 et, surtout, où il témoigne de la volonté farouche et inébranlable des Palestiniens de résister face à la terreur et à la répression de l’ennemi sioniste.

Outre ses récentes incursions dans le domaine de la sculpture (avec ses mas-kokos), la production artistique de Daniel Boukman comprend plus d’une quarantaine de publications et se caractérise par sa grande diversité générique. En effet, on y trouve du théâtre mais aussi de la poésie, des essais, des manuels et un nombre appréciable de contes (originaux, traduits ou adaptés). On remarque au passage sa préférence pour les formes orales et, plus généralement, l'oraliture, ainsi que sa prise de distance vis-à-vis du roman. Autant de choix de création révélateurs d’une certaine vision de la « militance culturelle » qui mérite d’être explorée plus avant. Surtout à la lumière de son engagement en faveur du créole.

En effet, de retour en Martinique à la fin des années 1990, Daniel Boukman va développer un ensemble d’actions et d’initiatives visant à promouvoir une véritable prise en charge de la problématique linguistique en Martinique. Son retour coïncide aussi avec son implication au GEREC aux côtés des éminents défenseurs du créole à l’instar de Jean Bernabé et de Raphaël Confiant. Un contexte où la reconnaissance et la normalisation de la langue créole commencent à émerger dans le paysage culturel antillais, rappelant l'époque où Daniel Boukman lui-même réapprivoisait sa langue maternelle. Dans un entretien accordé à Félix-Lambert Prudent, auteur de l'Anthologie de la nouvelle poésie créole (1984), Daniel Boukman explique « Je suis en train d'apprendre à écrire en créole ». Son affection profonde pour le créole s’illustre à travers l’affirmation passionnée des liens consubstantiels de la langue et de l’expression littéraire : « La littérature a besoin du créole ; le créole a besoin de la littérature » écrit-il dans la préface de son recueil de poésie Migannaj Mélanges (2005).

L'illustration et la défense de la langue créole deviennent ainsi le leitmotiv et l'obsession de Boukman, conscient des risques de son enfermement dans la seule oralité, voire d’une extinction qui serait préjudiciable au peuple antillais. Pour Boukman, le créole doit emprunter la même voie que le français qui a acquis sa légitimité historique en tant que langue. Son objectif est non seulement de développer le fond littéraire en créole, mais aussi de travailler à assurer les conditions d’une relation équilibrée (et donc d’une possible coexistence pacifique) entre les deux langues, s'inscrivant ainsi dans la perspective évoquée par l'éminent linguiste Jean Bernabé qui prônait la fin du « duel » entre le français et le créole et l’avènement d’un « duo des langues » (Jean Bernabé). Pour ce faire, le poète-dramaturge se consacrera également, corps et âme, à un véritable "sacerdoce pédagogique" qui mobilisera toutes sortes de médias (émissions de radio, conférences, interventions dans la presse, sur Internet, etc.).

En conclusion, ce colloque apparaît à la fois comme un projet utile et nécessaire. Utile pour mieux comprendre et apprécier la diversité et la richesse des écritures caribéennes à travers un itinéraire de vie et un parcours de création emblématiques, au carrefour d’au moins trois continents. Nécessaire compte tenu de l’actuel contexte économique, politique, idéologique, culturel. Un contexte dans lequel s’exacerbent les contradictions d’un système mondial globalisé, décidément hors de contrôle et où il devient plus qu’urgent d’écouter les voix de ceux et celles qui, à l’instar de Daniel Boukman, appellent au grand « marronnage » politique, éthique et poétique.

Axes thématiques

1. Engagement et identité : explorer les modalités d'engagement politique et culturel exprimées et prises par Daniel Boukman à travers son œuvre littéraire, et comment cette dernière contribue à façonner une identité caribéenne résistante et plurielle.

2. Langue et créolité : analyser comment Daniel Boukman "navigue" entre les langues (française et créole), en examinant la diversité des interactions et en quoi celles-ci nous informent sur sa vision de la créolité et de son expression à travers les arts caribéens.

3. Écriture théâtrale : analyser les pièces de théâtre de Daniel Boukman tant du point de vue de l’écriture que des choix dramaturgiques mais aussi en tant qu’expressions de diverses formes de résistance, de contestation et d'affirmation culturelle.

4. Dialogue culturel et influences littéraires : étudier les interactions, les intertextualités, les formes de réécritures (traduction, adaptation) et résonnances entre les références antillaises et les influences extérieures à la Caraïbe, spatiales et temporelles (Algérie, antiquité grecque) dans l’œuvre tout en mettant en lumière le dialogue (constant ou non) avec la culture antillaise et d'autres traditions littéraires.

5. Langue et transmission : rendre compte de la contribution de Daniel Boukman à la préservation de la langue créole à travers ses œuvres de littérature de jeunesse, et son rôle dans la transmission intergénérationnelle de la culture.

6. L'Art comme langage de résistance : analyser les différentes pratiques artistiques congruentes à l’œuvre littéraire de Daniel Boukman et les liens qu’entretiennent ces créations, par exemple les mas-koko (masques-coco) avec le créole. Comment ce masque traditionnel de la culture afro-caribéenne est-il utilisé dans une perspective de réappropriation culturelle et de marquage idéologique ?

7. Perspectives postcoloniales / décoloniales : mettre en évidence la manière dont l'œuvre de Daniel Boukman reflète les dynamiques du colonialisme, de la résistance et de la construction des identités dans les Caraïbes francophones. Il est possible d’examiner plusieurs axes mettant en évidence les éléments qui participent à la création d’un imaginaire baroque, réel merveilleux ou utopique dans son œuvre.

* Références bibliographiques : https://www.potomitan.info/bibliographie/boukman/

Responsables scientifiques

Patricia Conflon (Université des Antilles - Pôle Martinique / CRILLASH) / MICELA (Maison InterCulturelle des Ecrivains et des Littératures d'Américaraïbe)
Gerry L'Étang (Université des Antilles - Pôle Martinique / CRILLASH)
Mourad Yelles (INALCO / LACNAD - Langues et Cultures du Nord de l'Afrique et Diasporas - Paris )

Modalités de participation

Résumé

300 mots maximum. Indiquer les coordonnées complètes (y compris l’adresse électronique), l’affiliation institutionnelle et une brève bio-bibliographie.

Échéancier

Date limite de réception des propositions : 1er août 2024

Date limite de réponse (uniquement acceptation) : 1er septembre 2024

Modalités d’envoi

Les propositions, rédigées en anglais et/ou en français, sont à envoyer à : colloquedanielboukman@gmail.com

Contacts

Patricia Conflon : p.conflongd@gmail.com
Mourad Yelles :  mourad_yelles@yahoo.fr