Dossier critique 2020Juin 2020 (volume 21, numéro 6)

Romain Bionda
Naissance d’une discipline. Sur la « séparation » des études théâtrales d’avec les études littéraires
1Au lendemain d’un dossier de la revue Registres consacré aux « origines » des études théâtrales françaises (2015)1, le volume Genèses des études théâtrales en France (xixe‑xxe siècles) (2019), supervisé par Catherine Brun, Jeanyves Guérin et Marie‑Madeleine Mervant‑Roux, vient offrir un ensemble d’articles qui, par l’empan chronologique considéré et l’ampleur du travail effectué, notamment en archives, marqueront pour longtemps les études théâtrales françaises et plus largement européennes. Agréable à lire et bien conçu, l’ouvrage est une véritable mine, tant les informations qu’il recèle sont pléthoriques et peu connues des spécialistes : il mérite assurément la plus grande attention.
2Les lignes qui suivent chercheront à en dégager les lignes de force, à la faveur d’une (longue) discussion de l’hypothèse principale du livre, explicitement opposée au « récit de genèse qui circul[e] parmi les chercheurs », selon lequel les études théâtrales seraient nées d’une « séparation » d’avec les études littéraires2. Catherine Brun, Jeanyves Guérin et Marie‑Madeleine Mervant‑Roux posent en effet qu’un tel « récit de genèse » s’apparenterait à une « fable » :
Infondée, mais portée par le vif besoin qu’avait la jeune discipline d’imposer sa spécificité, la fable sur les origines fondamentalement anti‑littéraires des études théâtrales s’est imposée3.
3Or si l’on doit absolument relativiser l’idée d’une « séparation », en effet, on gagnerait à se demander ce que veut dire « littéraire », de 1880 à nos jours, pour s’assurer que les fondements des études théâtrales ne sont pas « anti‑littéraires ». Car on doit rappeler une idée qui se trouve déposée au seuil de très nombreux ouvrages de la nouvelle discipline, bien avant sa fondation officielle et jusqu’à aujourd’hui — idée que Genèses des études théâtrales en France laisse de côté : celle qu’on ne saurait lire comme de la « littérature » la « littérature dramatique » (cette dernière appellation tombe d’ailleurs progressivement en désuétude), qu’un texte de théâtre ne se lirait pas « comme un roman », ou du moins qu’on ferait bien de ne pas le lire comme tel si l’on désire étudier… le « théâtre ». À cet égard, il semble que les promoteurs des études théâtrales aient, avec constance, écarté de leur champ la lecture littéraire, c’est‑à‑dire non pas les textes ni même les « études littéraires », mais l’une des pratiques qui fonde la « littérature » au xxe siècle, dès lors que celle‑ci n’est pas comprise dans son acception ancienne de « savoir des lettres » ni dans son acception plus récente de « belles‑lettres »4, mais comme désignant plus spécifiquement l’art livresque de l’écriture. Sous cet angle, « la fable sur les origines fondamentalement anti‑littéraires des études théâtrales » n’apparaît plus si « infondée ». Bien que la question de la lecture (i.e. des manières de lire les textes) puisse sembler périphérique à qui s’occupe d’études théâtrales, elle s’avère ici d’importance.
Impertinence de la lecture « comme un roman »
4Ce principe — ne pas lire le théâtre comme de la littérature — est inlassablement répété dans les introductions ou avant‑propos de nombreux livres que Genèses des études théâtrales en France liste à bon droit comme appartenant aux « travaux majeurs dans le processus de genèse des études théâtrales en France », à l’instar d’études aussi diverses que : L’Essence du théâtre (1943, 1968) de Henri Gouhier, La Dramaturgie classique en France (1950) de Jacques Scherer, Le Langage dramatique (1972) de Pierre Larthomas et Lire le théâtre I et II (1977, 1996 et 1981, 1996) d’Anne Ubersfeld.
[Gouhier.] Un texte dramatique, c’est un jeu en puissance.
Vous avez le droit de dire que la représentation extérieure n’ajoute rien à certaines œuvres, qu’elle gâte même, pour vous, la perfection de Bérénice ou d’une comédie de Musset. Une représentation intérieure sera pourtant l’accompagnement spontané de votre lecture. On ne lit pas Bérénice ou une comédie de Musset comme un roman ; même un lettré qui n’aurait nul besoin de voir pour sentir et dont l’intelligence ne solliciterait dans ses plaisirs aucune complicité de l’imagination, comment n’entrerait‑il pas alors dans un monde où glissent des fantômes d’acteurs ?
La « chose théâtrale » n’est pas « chose littéraire » précisément parce que ce n’est pas une chose : même dans le livre, c’est toujours l’acteur5.
[Scherer.] Enfin, la littérature dramatique n’est pas seulement de la littérature : c’est aussi du théâtre ; on ne saurait étudier sa technique en faisant abstraction des conditions matérielles de la représentation. Au contraire, bien des problèmes dramaturgiques qui seraient insolubles si l’on considérait les pièces de théâtre comme des livres parmi d’autres, s’éclairent si l’on reconstitue le spectacle dont elles ne sont que le support6.
[Larthomas.] Faisons cette remarque très simple qu’un roman est fait pour être lu, une pièce, au sens vrai du terme, pour être jouée et donc pour être vue ; l’entendre simplement l’appauvrit déjà ; la lire risque de la rendre méconnaissable, si les lecteurs se contentent de lire et ne recréent pas la pièce, par un effort d’imagination dont beaucoup sont incapables7.
[Ubersfeld, I.] Si l’on peut lire Racine comme un roman, l’intelligibilité du texte racinien ne s’en porte pas bien8.
[Ubersfeld, II.] Contrairement à un préjugé fort répandu et dont la source est l’école, le théâtre n’est pas un genre littéraire. Il est une pratique scénique. Nous avons pu ailleurs tenter la tâche paradoxale de dire le texte de théâtre comme illisible et d’essayer de le lire comme le socle d’une pratique ou, plus exactement, d’un réseau de pratiques signifiantes. Il nous sera donc impossible de considérer la « représentation » comme la traduction d’un texte qui serait complet sans elle et dont elle n’apparaîtrait que le double ou la doublure9.
5En avant‑propos de son manuel Le Théâtre (1988), Marie‑Claude Hubert avertit d’emblée :
Le théâtre, art de l’éphémère, ne s’accomplit vraiment que dans la représentation […]. Le texte, lui, n’est qu’une partition. Sa lecture nécessite une réflexion, qui est, pour le lecteur, la plupart du temps sans qu’il s’en doute, une tentative de mise en scène, de reconstruction intérieure de ce monde en mouvement10.
6Aujourd’hui, c’est souvent sous la forme d’une évidence qu’on le rappelle, à l’instar de Bénédice Louvat‑Molozay qui, dans l’introduction à Le Théâtre (2007), remarque en passant qu’il « n’est désormais plus possible de “lire le théâtre” sans prêter attention à la théâtralité qui en constitue l’essence distinctive11 », ou de Jean‑Pierre Sarrazac qui fait commencer Poétique du drame moderne (2012) par ces lignes :
Certains trouveront le propos dépassé, à moins qu’ils n’y voient une provocation, mais je ne pense pas qu’il soit trop tard pour parler encore de littérature dramatique. À condition, bien sûr, de ne jamais séparer cet objet — le texte de théâtre dans son existence littéraire — de ce que j’ai depuis longtemps appelé son « devenir scénique » : ce qui, en lui, en appelle au théâtre, à la scène. Au point même que ce qui fait l’enjeu du texte en question, à savoir le drame — la forme dramatique dans son ensemble —, peut devenir second par rapport à son existence scénique. Pirandello emploie l’expression « pièce à faire » avec cette arrière‑pensée, symptomatique de la modernité du théâtre, que c’est seulement sur le plateau que le drame peut, littéralement, avoir lieu12.
7Le caractère souvent liminaire de ces rappels est significatif : il s’agit d’une précision circonscrivant un objet (le texte écrit dans sa relation au spectacle et plus généralement l’art théâtral), ciblant une méthode adaptée à cet objet (une lecture qui n’est pas littéraire, ou pas exclusivement) et s’adressant à une communauté (les personnes que cet objet et cette méthode intéressent). Ce sont là, diversement, des remarques qui prolongent telle mise en garde d’Eugène Rigal, par exemple, déposée au seuil de son livre Le Théâtre français avant la période classique (1901) :
L’évolution de la littérature dramatique ne pouvant être bien comprise que par qui connaît les transformations du théâtre considéré dans sa constitution, dans son organisation, dans sa mise en scène, c’est à l’état du théâtre même, pendant une période obscure et, comme transition et préparation, fort importante, que ce livre est consacré13.
8Un siècle plus tard, à la fin du xxe siècle, on se demande frontalement (et souvent) si l’« on peut lire le théâtre », à l’instar de Florence Dupont dans un article (1995) fréquemment listé dans les bibliographies des chercheurs, qui pose d’ailleurs d’entrée de jeu que l’accès « à la comédie romaine suppose […] de reconstituer son énonciation ludique, ce qui est incompatible avec une simple lecture littéraire14. » On verra même apparaître en plusieurs endroits l’idée que les textes de théâtre seraient « illisibles », ou plus exactement « comme illisibles » — idée déjà énoncée par Ubersfeld (citée plus haut), qui se comprend mieux lorsqu’on la relie aux discours qui l’ont précédée de longue date, quant à la nécessité de ne pas lire les textes de théâtre comme de la simple « littérature ».
Sur les « origines anti-littéraires » des études théâtrales (& un sérieux problème d’esthétique)
9Le rapide survol qui précède montre bien que, comme le rappelle Genèses des études théâtrales en France, les textes n’ont en aucun cas été exclus des études théâtrales. Peut‑on pour autant pleinement souscrire à la remarque qui suit, déposée dans la conclusion de l’ouvrage ?
Le schéma binaire « texte/mise en scène » ne saurait […] rendre compte de ce qui s’est passé. […] La variété et l’ampleur de ces entreprises intellectuelles [dans les années 1940 et 1950] échappe au débat devenu canonique « du texte et de la scène »15.
10Il n’y a certes pas eu, à large échelle, d’un côté les tenants du texte et de l’autre les tenants de la scène, comme on l’entend parfois. Mais il faut peut‑être le rappeler : l’opposition « texte/mise en scène », qui a tant polarisé la pensée française, s’est moins jouée sur le plan des objets physiques (le livre vs le spectacle) ou même idéaux (le texte commun à plusieurs livres vs la mise en scène commune à plusieurs spectacles) que sur celui des œuvres (l’œuvre littéraire vs l’œuvre spectaculaire). L’objet texte, s’il est lu dans l’optique de « sa » représentation théâtrale, participe de l’œuvre spectaculaire : même si l’on a pu se demander comment fonctionne cette participation, le fonctionnement théâtral des textes n’a posé dans son principe aucun problème aux promoteurs des études théâtrales. En revanche, le possible fonctionnement littéraire du texte — l’objet texte en tant qu’œuvre littéraire — en a posé un (et continue, par endroits, d’en poser).
11Sans réduire « ce qui s’est passé » à cela, ce fait empêche de considérer le « récit de genèse » contre lequel s’érige Genèses des études théâtrales en France [i.e. la séparation d’avec les études littéraires] comme complètement « infondé ». Ce « mythe d’origine que nombre de personnalités emblématiques de la discipline [des études théâtrales] diffusent par la suite », pour reprendre les termes d’un récent article (2018) de Danielle Chaperon16, n’est pas totalement un « mythe » ou, s’il en est un, n’est pas diffusé sans raison. Il serait faux de dire que les études théâtrales se sont séparées des études littéraires, tout simplement parce que le théâtre n’était pas étudié seulement par des « littéraires » avant l’hypothétique « séparation », et qu’il n’y a pas eu ensuite de partage (p. ex. le spectacle aux théâtrologues, le texte aux littéraires) : il y a là un « faux divorce », comme le résume Danielle Chaperon, estimant par ailleurs que « [l]es tensions entre la littérature et les études théâtrales ne deviennent […] problématiques qu’au début des années 197017 ». Mais il reste que, dès le début du xxe siècle, la possibilité de considérer le texte de théâtre comme de la « littérature » a gêné de nombreux chercheurs désireux d’étudier (notamment) les spectacles.
12Étant donné que cela concerne moins les objets eux‑mêmes que leur interaction sur les plans artistique et opéral (i.e. la manière dont ils fonctionnent en tant qu’œuvres d’art), on ne doit pas s’étonner que les discussions aient souvent été emmenées par des philosophes intéressés par l’esthétique, dont l’un des buts, tels que les fixe par exemple Victor Basch en 1920 dans « L’esthétique et la science de l’art » (il sera titulaire dès 1921 de la première chaire d’esthétique de la Sorbonne), est précisément de s’occuper du « système des arts18 ». Lorsque Tadeusz Kowzan livre Littérature et Spectacle dans leurs rapports esthétiques, thématiques et sémiologiques (1970), dans le moment « sémiologique » qui a tant marqué la discipline des études théâtrales, il commence justement par essayer d’« éclaircir la situation esthétique du spectacle », en revenant sur « la tradition — mauvaise mais solidement implantée — de considérer le théâtre comme une forme particulière de littérature, de voir dans le spectacle la matérialisation […] de la parole du poète. Issus de la littérature et existant par elle, le théâtre et certaines autres formes de spectacle ne seraient donc qu’un art auxiliaire et hybride. » Kowzan voit dans cette « tradition » un obstacle sérieux pour le développement de l’étude des arts du spectacle — et un écueil, qui concerne cette fois les textes :
Ce qui est commun (du moins à première vue) à l’art littéraire et à l’art du spectacle, c’est la littérature dramatique. Mais, le terme de « littérature dramatique » une fois prononcé, surgissent les premières difficultés. Qu’est‑ce que la littérature dramatique ? Qu’est‑ce que c’est, en fait, un ouvrage dramatique19 ?
13Sans se positionner clairement sur la question de la lecture — est‑on autorisé à lire ces textes comme de la littérature ? est‑ce utile aux études théâtrales ? —, Kowzan affirme : « Ce qui semble manquer aux défenseurs de l’autonomie du spectacle en tant que phénomène artistique, ce sont les bases philosophiques et esthétiques20. » Quoi qu’on en pense, il est vrai qu’on trouve ci et là des remarques de cette sorte, ici dans La Correspondance des arts (1947) d’Étienne Souriau :
L’une [des « synthèses » artistiques] est celle du théâtre, qui englobe, dans son complexe le plus riche (celle du théâtre lyrique, de l’opéra par exemple) […] : musique, poésie, mimique et danse ; et s’étend même au‑delà, jusqu’à la peinture et l’architecture (avec le décor et l’arrangement scénique). Mais si l’on ôte la musique, c’est une prédominance de l’art littéraire qui le caractérise. De là vient qu’on peut le réduire, en son corps physique, au livre, et laisser l’imagination refaire la synthèse et reconstruire décors, mimique, bref, tout ce qui exigera, pour la théophanie matérielle totale, l’exécution scénique21.
14Languages of Art (1968, 1976) de Nelson Goodman, qui témoigne du virage analytique de l’esthétique, n’est pas en bibliographie chez Kowzan22.
15En France, outre Souriau dont l’œuvre s’avère centrale et à laquelle Aline Wiame consacre d’ailleurs quelques pages de Genèses des études théâtrales en France23, la position théorique de Gouhier a eu une importance majeure. Or la question du texte est précisément l’un des centres de la pensée du philosophe qui, dès avant L’Essence du théâtre (publié dans les années auxquelles se réfère la conclusion de Genèses des études théâtrales en France24), réfléchit au théâtre comme « art à deux temps », où l’œuvre serait « créée » à l’écrit, puis « re‑créée » sur scène : il y aurait pour Gouhier deux objets (texte et spectacle), mais une seule œuvre25. Cette idée, que nous synthétisons un peu vite, certes, s’inscrit bien sûr dans un contexte. Il peut être important de remarquer, à ce titre, que Louis Becq de Fouquières ne pose pas les choses ainsi quelque soixante ans plus tôt dans L’Art de la mise en scène (1884)26. Hors des frontières françaises, Roman Ingarden conclut dans son très célèbre Das literarische Kunstwerk (1931) que « la pièce de théâtre [Schauspiel] présente [d]es différences structurelles […] qui en font une nouvelle œuvre — comparée à l’œuvre purement littéraire correspondante » ; une nouvelle œuvre, malgré le fait qu’il existe « une étroite relation entre une pièce de théâtre et l’œuvre purement littéraire correspondante, si elle existe, ce qui — soulignons‑le — n’est pas nécessairement le cas27. » Pour Gouhier, c’est parce que « l’œuvre dramatique est faite pour être représentée » qu’on ne la lirait pas « comme un roman » : « la possibilité » de sa représentation « dessine la scène dans le dialogue et pousse les personnages hors du livre28. » Lorsqu’on lit le texte « comme un roman », on le ferait en « littéraire », ce dernier terme venant qualifier le domaine des textes « faits pour être lus » et les instances qui s’y intéressent, et alors on raterait « l’œuvre dramatique » qui serait « faite pour être représentée29 » : on ferait en somme fonctionner (à tort) le texte comme littérature, en tant qu’il participerait d’une œuvre littéraire. C’est cela — entre autres — que les études théâtrales françaises entendent laisser de côté : non pas le texte lui‑même, mais son possible fonctionnement littéraire sur les plans artistique et opéral30.
16Mildred Galland‑Szymkowiak le formule ainsi dans son chapitre consacré à Gouhier :
On voit qu’en partant de la présence [scénique], Gouhier ancre dans le texte dramatique lui‑même la nécessité de la représentation. Cela revient, tout en reconnaissant la centralité du texte, à fonder en droit la nécessité de dépasser une approche textuelle du théâtre31.
17Il faudrait dépasser l’« approche textuelle » ou, parce qu’on peut « approcher » un « texte » de plusieurs manières, il faudrait dépasser la lecture littéraire32.
Dépasser la lecture littéraire
18Dans son chapitre, Colette Scherer rappelle l’importance, dans le cadre de la création de l’Institut d’études théâtrales en 1959, de l’existence d’un fonds documentaire qui serve notamment à accueillir « mémoires de DES, thèses, diapositives réalisées à partir d’éditions illustrées […], photographies de spectacles récents et disques […], archives sonores », etc. Elle remarque (nous soulignons) :
Puisqu’il étudie le texte de théâtre, non pas comme objet littéraire mais comme objet de représentation, Jacques Scherer a besoin de documents iconographiques, sonores et photographiques33.
19De la même manière, et contrairement à ce qu’en dit la conclusion de Genèses des études théâtrales en France, le rapport d’activité 1978‑1980 du GR 27, ou Groupe de recherches théâtrales et musicologiques fondé en 1965 au CNRS par Jean Jacquot (présenté dans le livre par Isabelle Schwartz‑Gastine34) et répondant auparavant au nom de ER 31 — rapport rédigé par Denis Bablet, qui y dresse la liste des « méthodes » nécessaires à l’étude du théâtre « comme un phénomène global » —, ne garantit pas que le texte soit considéré comme un « objet littéraire » :
On notera que dans cet inventaire des disciplines appelées à se compléter pour appréhender « théâtrologiquement » le fait théâtral, inventaire effectué par l’un des grands spécialistes en arts du spectacle, figure « l’analyse littéraire » — ce qui aurait dû inviter, s’il en était besoin, à nuancer l’idée d’une opposition fondamentale entre deux camps35.
20En l’occurrence, il n’est pas certain que par « analyse littéraire » le GR 27 entende procéder à une réhabilitation de la lecture littéraire. Dans ce rapport, « analyse littéraire » est directement coordonné à « et esthétique36 », ce qui semble en fait plutôt désigner la « critique » en général (par exemple d’inspiration thématique), au sens que celle‑ci prend dans la triade « critique », « histoire » et « théorie » — où la critique se veut « commentaire » d’une œuvre, sans faire porter son horizon de pertinence principal sur les plans historique ou théorique37. D’ailleurs, la « théâtrologie » de Bablet ne se voulait‑elle pas, comme Béatrice Picon‑Vallin le rappelle dans son chapitre, « [i]ndépendante du discours littéraire », dans la mesure où il s’agissait de « prend[re] pour objet la représentation : autrement dit, le théâtre comme manifestation scénique de la combinaison de différents moyens artistiques » ?
Quelques mois après l’entrée de Denis Bablet au CNRS [en 1966], est lancée la RCP 125 (Recherche coopérative sur programme du CNRS) qui […] s’intitule « Du texte à la scène ». Il s’agit d’étudier les opérations spécifiques et complexes par lesquelles un texte passe à sa réalisation scénique. […] Il s’agira d’étudier ces pièces en répétitions ou à l’état de spectacle, et il est prévu de traiter plusieurs mises en scène pour une même pièce38.
21Si Bablet, comme Sally Jane Norman le rappelle, voulait « proposer d’autres voies que l’analyse des textes dramatiques qui dominait jusqu’alors les études théâtrales39 », cela ne signe pas pour autant le retour de la « littérature ».
22Bref : les textes de théâtre doivent dès lors être lus… comme du théâtre, tantôt à la lumière de leur origine scénique, tantôt en fonction de leur devenir scénique — i.e. en fonction du projet de mise en scène qui semble être celui de l’auteur ou de mises en scène effectives, ultérieures et/ou antérieures à la publication livresque, voire de spectacles qui n’existent pas encore au moment de la lecture40. Ce phénomène s’avère en rapport avec le déplacement de l’intérêt « from text to performance », selon le titre d’un article célèbre d’Erika Fischer‑Lichte41 — plus que ne paraît vouloir le concéder Genèses des études théâtrales en France42. Il gagne à être directement mis en lien avec le « repositionnement médiatique43 » du théâtre au tournant du xxe siècle vis‑à‑vis des autres arts (le cinéma, mais aussi la « littérature »), dans le cadre duquel la spécificité de l’art théâtral est désormais explicitement comprise comme consistant dans un « présent » et une « présence » scéniques — revoilà Gouhier.
23Si, comme le rappelle Genèses des études théâtrales en France, de nombreux promoteurs des études théâtrales proviennent bien des « études littéraires », cela ne les empêche pas d’avoir eu une manière d’ennemi commun plus ou moins déclaré : la lecture littéraire. Loin d’être anecdotique, cet « ennemi commun » a semble‑t‑il eu un effet structurant dans l’émergence de la discipline des études théâtrales — effet structurant parmi d’autres, bien sûr, que Genèses des études théâtrales en France met d’ailleurs fort bien en lumière.
Une pétition de principe
24Il n’a pas fallu attendre le xxe siècle pour que des voix se fassent entendre, partout en Europe, qui imposent à la lecture des textes de théâtre des conditions (il faudrait lire le texte en pensant à un spectacle) ou qui la disqualifient totalement ou en partie, notamment parce que la spectation et l’audition d’un spectacle lui seraient préférables. Ces voix contrastent avec tel passage des Mémoires d’un touriste (1838, 1854) de Stendhal :
M. C. ajoutait : « On aime mieux lire une tragédie de Shakespeare, que la voir représenter ; et, pour qui sait lire, le théâtre perd de son intérêt. Voyez à Paris : les grands et légitimes succès sont à l’Ambigu‑Comique, à la Porte‑Saint‑Martin, dans les salles occupées par des spectateurs qui ne savent pas lire. »
Pour les gens qui lisent, les romans et les journaux remplacent à demi le théâtre44.
25Adoptant une position moins polémique que « M. C. » et en apparence plus centrale dans le débat opposant les spectateurs et les lecteurs, Émile Faguet propose dans L’Art de lire (1912) de « distribu[er] les pièces de théâtre en quatre classes : celles qui sont meilleures à la lecture qu’à la représentation, celles qui sont aussi bonnes au cabinet qu’au théâtre, celles qui sont moins bonnes imprimées qu’entendues, et celles qui ne valent pas même la peine qu’on les imprime. » En revanche, Faguet n’hésite pas, dans des lignes qui peuvent rappeler la préface à L’Amour médecin (1966) de Molière45, à poser que « pour pouvoir lire une pièce », il faut lire d’« une manière particulière » afin de la voir « telle qu’on la verrait sur un théâtre » :
Les poètes dramatiques sont-ils faits pour être lus ? Autant que pour être entendus, je le crois. […]
Il faut donc lire les bons ouvrages dramatiques ; mais ici encore il y a une manière particulière de lire et tout à fait particulière. Pour pouvoir lire une pièce, il faut avoir été assez souvent au théâtre ; car il faut, en lisant une pièce, la voir, la voir des yeux de l’imagination telle qu’on la verrait sur un théâtre. Cela est indispensable. Comme le véritable auteur dramatique écrit sa pièce en la voyant jouer, en voyant d’avance les acteurs qui entrent et qui sortent, qui se groupent et qui ont, en s’adressant les uns aux autres, telle ou telle attitude, et ne peut faire bien qu’à ce prix ; tout de même le lecteur doit voir, comme si elle était représentée, la pièce qu’il lit et pour ainsi dire presque littéralement entendre les couplets et les répliques.
Pourvu que l’on ait été quelquefois au théâtre, on s’habitue vite à lire ainsi, et, si l’on s’y habitue, on arrive, assez vite aussi, à ne pouvoir plus lire autrement46.
26On peut se demander dans quelle mesure ce conditionnement de la lecture du théâtre et/ou sa disqualification ne servent pas, à mesure que se formule le souhait de créer une nouvelle discipline, de pétition de principe (car il reste à démontrer que tous les textes de théâtre ne sont pas « faits pour » être lus « comme des romans », dès lors qu’ils sont édités et diffusés sous la forme de livres, et à se demander à quoi ressemble, au fait, cette lecture « comme un roman »47) valant comme signe, parmi d’autres, de ralliement commun. Non pas qu’il faille délaisser la lecture littéraire — Bernard Dort la pratique en partie dans Lecture de Brecht (1960) ; Jacques Scherer a bien écrit sa thèse sur L’Expression littéraire dans l’œuvre de Mallarmé (1947), plus tard réécrite sous le titre Grammaire de Mallarmé (1977) ; etc. —, mais plutôt que la lecture littéraire ne saurait pas suffire à l’étude de ce qu’on appelle encore parfois, non sans friction, la « littérature dramatique ».
27C’est en tout cas ainsi qu’on peut interpréter la manière dont Félix Gaiffe se saisit de la question au tournant de 1930. Bientôt nommé à une chaire d’histoire de la littérature dramatique (il meurt avant de pouvoir l’occuper), Gaiffe plaide à plusieurs endroits pour une étude globale du fait théâtral, et déplore à plusieurs autres que la chose soit rare. Lorsqu’il rend compte de Vie de l’art théâtral, des origines à nos jours (1932) de Gaston Baty et René Chavance, il écrit par exemple que « c’est un des premiers ponts jetés entre le monde de l’édition et le monde de la scène que séparait jusqu’ici un fossé profond48. » De son côté, le Bulletin de la Société des historiens du théâtre, née en 1932 des cendres de l’ancienne Société de l’histoire du théâtre qui avait été créée en 1901 et qui comptera plusieurs personnes importantes pour les études théâtrales naissantes (Gaiffe lui‑même, ainsi qu’Auguste Rondel, Ferdinand Brunot, Gustave Cohen, Raymond Lebègue, Georges Ascoli, entre autres), se fixe l’objectif de notamment « faire une brèche dans la muraille de Chine qui sépare l’histoire de la littérature dramatique et l’histoire de l’art scénique49 ». Dans l’avant‑propos à Le Rire et la Scène française (1931), Gaiffe cite Tendances nouvelles en histoire littéraire (1930) de Philippe Van Tieghem et prend assez clairement position : outre l’étude de « l’œuvre » de l’écrivain, il s’agit d’étudier « l’œuvre théâtrale » comme « collaboration de l’auteur, des interprètes et du public ».
« Retrouver le moment vital où l’œuvre fut conçue… saisir l’âme essentielle de l’écrivain », c’est assurément une fort belle tâche ; mais elle ne doit point nous faire déprécier celle qui consiste à rechercher les rapports de tout un groupe d’œuvres avec un état social déterminé. Tout le monde de l’érudition ne saurait s’employer uniquement à guetter l’étincelle du génie et à en fixer la nature par une intuition supérieure. Il ne me paraît pas moins légitime et utile d’étudier ce phénomène tout aussi mystérieux qu’est la triple collaboration de l’auteur, des interprètes et du public dans l’éclosion de l’œuvre théâtrale50.
28Il est difficile à vrai dire, étant donné la multiplicité des acteurs ayant joué un rôle dans la genèse des études théâtrales, d’organiser un front entre deux groupes d’historiens — et il serait d’ailleurs abusif de le faire. Mais on doit voir que la lecture littéraire des textes de théâtre n’est pas la pratique la plus adéquate s’il s’agit de bâtir des « ponts » ou de percer des « brèches ».
29Gaiffe est plus mesuré que Gouhier qui, une décennie plus tard, dénonce la conception d’un « théâtre exclusivement littéraire » qu’il n’hésite pas, dans L’Essence du théâtre, à qualifier de « mythe hérétique » (en nommant au passage Auguste Comte, Pierre Brisson et Jean Hytier comme trois de ses sectateurs51) :
Le lettré sait comment on aime le théâtre en lettré ; sait‑il ce qu’est aimer le théâtre selon son essence ? Il demande à la littérature dramatique la joie du recueillement dans une solitude que peuplent ses fictions. Croit‑il vraiment que son imagination suffise là où l’acteur le plus intelligent et le metteur en scène le plus artiste ont besoin de longues recherches ? Non ; il n’ignore pas ce qu’il perd mais sans le regretter : le jeu le plus fin et la représentation la plus étudiée ne sont, à ses yeux, qu’une petite chose à la surface du texte ; sa profondeur se découvre dans l’intimité de la méditation qui prolonge puis rejoint la lecture. Pour l’homme qui aime le théâtre selon son essence, le plaisir commence, bien avant le spectacle, avec celui de prévoir en marge de sa journée quelques heures échappant au rythme quotidien. Dès qu’il entre dans la salle, il se sent reposé, allégé ; même s’il soupçonne que la pièce ne sera pas excellente, il éprouve cette allégresse très particulière de l’attente devant le rideau qu’il connut pour la première fois à Guignol. Si l’œuvre est de celles qui réjouissent le lettré, la représentation la montre sous un nouveau jour52.
30Pour les hommes qui « aiment le théâtre selon son essence », à l’instar de Gouhier qui semble entre autres parler de lui‑même, voilà que le besoin des études théâtrales se fait gentiment sentir.
31Sur le plan disciplinaire, Gaiffe prenait d’ailleurs le temps, dans l’avant‑propos de son livre de 1931, de s’abriter dans l’« excellente compagnie » des « universitaires [ayant], depuis un demi‑siècle, traité avec talent des questions de littérature dramatique », et, après avoir rappelé que « tout ce qui touche à la scène a un caractère social autant qu’esthétique », de se positionner contre « l’histoire littéraire pure et simple53 ». Qu’est‑ce à dire ? Penchons‑nous d’abord sur le terme « littéraire » avant de considérer celui d’« histoire ».
La « littérature dramatique » vs la « littérature »
32Lise Forment aide à y voir plus clair avec son étude sur la manière dont le théâtre était étudié par les « lansoniens »54. La chercheuse remarque notamment que ce qu’elle nomme « le lansonisme de confort », à savoir « le schéma bien connu — trop connu — de “l’homme, sa vie, son œuvre” » qui a caractérisé les études littéraires des années 1920 à 1950, « était devenu le repoussoir des nouveaux critiques marqués par l’essor du structuralisme dans les sciences humaines », mais aussi « l’épouvantail de ceux qui, au même moment, voulaient distinguer les études théâtrales des études littéraires55. » Voilà qu’il est à nouveau question d’esthétique :
s’opposant à ce que laissaient penser, selon elles, les travaux de l’ancienne Sorbonne, les études théâtrales ont été fondées sur la conviction que le théâtre n’était pas un genre littéraire comme les autres, mais un art à part entière56.
33Les lansoniens considéraient‑ils vraiment le théâtre comme un genre littéraire ? Lise Forment apporte une réponse nuancée :
La vie des troupes, le statut du comédien, les stratégies de l’auteur de théâtre, la question des salles et du public, tous ces « prismes » liés à la création et à la réception […] sont bel et bien présents chez Lanson et consorts. Cependant, si ces éléments constituent l’un des passages obligés de la démarche positiviste des lansoniens, ils ne semblent pas avoir d’autre fonction que de faire “couleur locale”57…
34Il reste que dans sa thèse (1887, 1903), Lanson invite à lire Nivelle de La Chaussée à l’aune de son « sens du théâtre, [de son] instinct des effets dramatiques » ; aune qui conférerait à ses comédies larmoyantes, à rebours des premières impressions du lecteur, « des qualités intrinsèques » :
Libre à tous de dire que l’auteur n’est ni un homme d’esprit (il en avait pourtant), ni un observateur, ni un moraliste, ni un écrivain : c’est un homme de théâtre, sans nul doute, et, au théâtre, c’est peut‑être là encore ce qu’il y a de mieux58.
35Certes, écrit Lise Forment, « reconnaître en Nivelle de La Chaussée un homme de théâtre, c’est mieux le distinguer d’autres dramaturges, loués plus amplement comme “Grands écrivains de la France” — une fois encore : Corneille, Molière et Racine59. » Mais il importe de voir que chez les lansoniens « le théâtre n’[…]est pas toujours nié dans sa spécificité » : « Dans un article sur Alexandre Hardy, Lanson va jusqu’à écrire que “le théâtre n’est de la littérature qu’occasionnellement, et par exception”60 ». Après avoir inscrit son propos dans le cadre de l’histoire littéraire — « En littérature, comme en toute chose, rien ne commence, rien ne finit : tout se transforme » —, Lanson réaffirme la distinction entre les écrivains et les dramaturges :
Il a manqué, à notre premier tragique, le génie, surtout le génie littéraire. Mais songeons, comme on l’a dit si justement, que le théâtre n’est de la littérature qu’occasionnellement, et par exception. Sans goût et sans style, Hardy est homme de théâtre ; il voit les choses en scène. Méchant écrivain, c’est un bon dramaturge61.
36C’est pourquoi Lanson recommande notamment d’ajouter aux éditions « les indications scéniques nécessaires pour rendre le texte intelligible » : malgré sa réputation d’illisibilité, « Hardy, je n’en doute pas, se ferait lire avec intérêt, et même — le mot n’est pas trop fort, avec agrément62. » Deux ans auparavant, Rigal concédait quant à lui dans la « Préface » de son livre (1889) que les œuvres de Hardy seraient « peu lisibles » ; plus loin, on apprend d’ailleurs qu’elles « étaient écrites pour être jouées, non pour être lues63. »
37On en conviendra avec Lise Forment : « si les lansoniens n’ont pas tenté une histoire du théâtre classique hors de la “littérature”, celui‑ci [« le programme d’une sociologie historique »] a pu servir de premier terrain d’expérimentation pour une nouvelle histoire du théâtre […] comme activité sociale et art scénique64. » De fait, les thèses de Lanson, de Gaiffe et de Lebègue portent sur le théâtre65 — et sur le théâtre comme art de la scène. De fait, Gaiffe comme Lebègue joueront un rôle de premier plan dans la genèse des études théâtrales. Il conviendrait toutefois de se demander ce que veut dire pour eux « littérature », si l’on veut savoir si le théâtre était compris comme un « genre littéraire ».
38Pour Lise Forment, la position de Gaiffe à ce sujet serait originale. Selon elle, Le Rire et la Scène française constituerait « une sorte d’hapax dans la production de l’époque », notamment parce que « lui seul [Gaiffe] dit explicitement la spécificité du théâtre par rapport à la littérature66 ». Or on l’a vu, ce n’est pas le premier à distinguer théâtre et littérature, ni le premier à dire que les textes de théâtre nécessitent, pour être correctement appréhendés, d’être mis en relation avec les spectacles : rappelons‑nous, trente ans auparavant, de Rigal et de Lanson lui‑même. En revanche, Gaiffe dit la spécificité de ce qu’il appelle la « littérature dramatique » ou le « genre du théâtre » par rapport à ce qu’il désigne comme la « littérature » tout court — notion non définie dans Genèses des études théâtrales en France, qui subit entre 1880 et aujourd’hui des mutations vraiment très importantes. Bien qu’on reconnaisse volontiers à la « littérature », actuellement, une existence « hors du livre67 », il semble que chez Gaiffe (et d’autres à la même période), ce terme de « littérature » désigne par endroits les textes rédigés et, par voie de conséquence, à lire (diversement) :
Rien n’est plus essentiellement social et collectif que le genre du théâtre ; que l’on a souvent, et à grand tort, assimilé purement et simplement à tel autre genre littéraire. […] Le théâtre est plus et moins qu’un genre littéraire : moins parce que les qualité de perfection dans l’expression lui sont moins nécessaires qu’à tel autre genre, comme la poésie lyrique ou la haute éloquence ; plus parce qu’il fait appel à des éléments extérieurs à la littérature : spectacle, mise en scène, jeu des acteurs, et surtout cette communion indéfinissable qui unit l’auteur à son public, et qui fait vibrer à l’unisson l’homme qui a imaginé la pièce et l’être collectif et nerveux à qui elle est présentée68.
39Le théâtre serait tantôt un genre littéraire parmi d’autres, tantôt « plus et moins » qu’un genre littéraire : cette instabilité notionnelle doit nous intéresser, qui révèle une spécialisation possible du terme « littérature » lorsqu’il est dépourvu de l’adjectif « dramatique » — phénomène qui, gageons‑le, est sans doute l’une des causes de l’abandon progressif, dans ces mêmes décennies, du syntagme « littérature dramatique ». Si « littéraire » signifie « à lire », on comprend que le qualificatif siée mal au théâtre, qu’on cherche justement à appréhender dans sa dimension scénique.
Pratique de l’histoire, histoire des pratiques
40Dans l’introduction, Catherine Brun, Jeanyves Guérin et Marie‑Madeleine Mervant‑Roux citent L’Interprétation de la comédie classique. Le Misanthrope : mise en scène, décors, représentations (1914) de Jacques Arnavon, sans faire remarquer la dépréciation dont la lecture fait l’objet : « Un ouvrage dramatique, que chacun peut évidemment admirer à la lecture, n’atteint cependant son plein épanouissement qu’à la scène69. » Les auteurs de Genèses des études théâtrales insistent ici plutôt sur la relation à la pratique scénique qu’appelle une telle déclaration. L’ouvrage d’Arnavon est laissé de côté. Nous aimerions nous y arrêter, en partie parce que Gouhier tient ce livre pour « un bon modèle » (il le dit dans une partie intitulée « Excursion pédagogique »), qui « fait sortir du texte un monde de formes et de mouvements » : ce serait là une « lecture ingénieuse70 ».
41Après 136 pages d’étude de la pièce, Arnavon propose en effet « la mise en scène du Misanthrope », c’est‑à‑dire un véritable projet de mise en scène, dans le but explicite de « rafraîchir l’esprit général de l’interprétation, trop scolaire et ressassée, et sans aucune extension fantaisiste du sens, [de] permettre librement à la pensée de Molière de s’épanouir dans sa grandeur71. » Dans une certaine mesure, ce vœu sera exaucé, puisqu’à en croire la seconde édition du texte (1930), où manque l’étude préalable, la « mise en scène » d’Arnavon sera réalisée en 1927 par le Théâtre Royal de Danemark : « C’est cette mise en scène qui, substituée à l’analyse sommaire parue en 1914, forme le présent volume72. » Dans les premières pages de la première édition, Arnavon se réjouit d’ailleurs que « le théâtre classique […] quitte, pour ainsi dire, le pédantisme livresque pour se mêler à la vie ». Il affirme qu’« [o]mettre la mise en scène, ou la négliger, ou la mépriser », c’est « attenter à la vie même de l’œuvre », rappelle « qu’il est légitime », à propos d’un « ouvrage dramatique », « de le considérer dans le milieu pour lequel il a été composé », et réfute la « légende » qui « nuit à la pièce » selon laquelle Le Misanthrope ne serait « qu’une pièce à lire73 ».
42Arnavon n’est certes « pas universitaire, il est ministre plénipotentiaire. Il est en relation avec André Antoine74. » Mais à 70 ans passés, après plusieurs essais dont une Morale de Molière (1945), il présente à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris une thèse intitulée Le Don Juan de Molière, publiée en 1947 à Copenhague (citée par Gouhier à l’occasion de la recension du Dom Juan de Louis Jouvet75). Le contenu surprend, puisque son « propos n’était point d’apporter à la recherche érudite même une très modeste contribution. » La bibliographie n’est en effet pas exceptionnellement fournie, ce qu’une note explique ainsi :
Il [Arnavon] a désiré seulement, par une étude minutieuse du dialogue, des mouvements, du détail scénique, du jeu, s’efforcer de rendre au Don Juan de Molière, dans le fait, c’est‑à‑dire par la représentation, la place qui est la sienne, dans l’œuvre du maître, et dans les lettres et le théâtre universels76.
43Cette « étude minutieuse » consiste en une centaine de pages aboutissant à une « mise en scène » écrite, c’est‑à‑dire une édition du texte de Molière agrémentée de commentaires quant à la mise en scène, écrits en partie au conditionnel présent et à l’indicatif futur — ici par exemple, au sujet du décor du premier acte :
Dans quelle mesure serait‑il possible d’appliquer à la décoration les progrès du cinéma, ce serait aux techniciens du film de l’apprécier. Il ne peut être ici exprimé qu’un désir, une invitation à étudier une telle adaptation. Mais le mélange de l’art de l’écran et de celui du plateau, qui sera peut‑être un jour merveilleusement fécond, rendrait déjà, sous cette forme très‑restreinte, d’inappréciables services. Il y a évidemment à éviter l’inconvénient des ombres portées. Mais si l’écran est placé suffisamment haut il pourra se trouver hors d’atteinte. En outre, les mouvements pourraient être réglés de façon à éviter que les artistes ne passent dans le champ lumineux. L’appareil serait dissimulé dans les décors latéraux, la pellicule déroulée représenterait une mer mollement agitée, avec les bruits des vagues77.
44Cette lecture scénique (i.e. en fonction d’une mise en scène), conduite au futur (i.e. en fonction d’une mise en scène à venir), supplante la simple lecture littéraire et aboutit à l’écriture d’une mise en scène78. Force est de constater que ce type de « lecture » semble avoir été reconnue par l’institution universitaire à l’occasion de cette thèse tardive (dans des circonstances qui mériteraient sans doute quelques éclaircissements), publiée (au Danemark) la même année que celle de Scherer, futur fondateur de l’Institut d’études théâtrales79. Une annexe bienvenue de Genèses des études théâtrales en France, intitulée « Pistes pour de nouvelles recherches sur la période étudiée », liste d’ailleurs Arnavon au rang des personnes dont l’« apport » aux études théâtrales « mériterait d’être reconsidéré80 ».
45Il reste que — nous reprenons les propos de Catherine Brun, Jeanyves Guérin et Marie‑Madeleine Mervant‑Roux —, les « grands professionnels de la scène, quand ils écrivent et enseignent, restent à distance de l’université. Les liens qu’ils nouent sont personnels, non institutionnels81. » Après 1900, « la Sorbonne s’est fermée à la création contemporaine qu’elle a abandonnée aux journalistes et aux écrivains » :
Le théâtre ne peut pas ou ne peut plus être vu comme un spectacle vivant. Ce sont des textes du passé qu’on commente, qu’on fait expliquer aux étudiants. Les maîtres y ajoutent des recherches érudites sur la vie théâtrale ici ou là. Bergson, dans Le Rire, parle beaucoup et fort bien de Molière, mais ne se réfère à aucun spectacle précis. […] Le grand spécialiste du théâtre grec antique, Paul Mazon, est un remarquable traducteur d’Eschyle, Sophocle et Aristophane. Il s’est peu attaché aux représentations concrètes. […] Dans cette génération, Gustave Cohen serait l’exception. Ce grand médiéviste consacre, en 1912, une étude au théâtre de Maeterlinck82.
46Cohen, pour qui, comme le rappelle Véronique Dominguez dans son chapitre, « le théâtre est d’abord […] un spectacle83 », a non seulement livré cette étude du théâtre de Maeterlinck, mais encore une Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux du Moyen Âge (1906) qui a marqué les esprits. Il « n’omet jamais la représentation, considérée comme la destination ultime de ce théâtre — qu’elle soit mise en scène véritable ou représentation mentale du lecteur84 ». Ce lecteur ne se contente assurément pas d’une lecture littéraire dans l’élaboration de sa « représentation mentale ».
47Par ailleurs, dans le cas de Cohen, la pratique de l’histoire (« littéraire »), par l’intermédiaire d’une histoire des pratiques scéniques, n’a pas été contradictoire avec la pratique scénique tout court. L’université s’ouvre, comme le rappelle Ève‑Marie Rollinat‑Levasseur dans son chapitre écrit avec la collaboration de Stéphanie Méchine :
L’université de Paris a […] participé activement au renouvellement du théâtre dans le milieu des années 1930 par l’éclat des spectacles donnés par les troupes qu’elle patronnait, en particulier celles des Théophiliens [troupe fondée sous l’impulsion de Cohen] et du Groupe de théâtre antique [créé à l’initiative de Roland Barthes et Jacques Veil avec le soutien de Cohen]85.
48Bien plus tard, dans le cadre de l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne‑Nouvelle, l’université fera de la pratique théâtrale l’« une des spécificités du cursus d’études théâtrales86 ». Pour Quentin Fondu, qui se penche sur le département Théâtre du Centre expérimental de Vincennes ouvert à la fin de l’année 1968, la discipline serait même « constitutivement hybride » : elle « éclot à la jonction du champ universitaire et du champ théâtral87 ». De fait, cette ouverture sur la pratique contemporaine semble bien perçue par de nombreux théâtrologues actuels comme une différence importante avec d’autres disciplines voisines comme le cinéma, l’histoire de l’art et la littérature, par exemple. À l’occasion d’un numéro de la revue Thaêtre consacré aux relations entre Théâtre et Recherche (2018), Catherine Naugrette répondait ainsi à une question sur la « recherche‑création » (il s’agit notamment des « doctorats artistiques ») :
Revue Thaêtre : Est‑ce que la recherche‑création vous apparaît comme l’une des dernières libérations de la discipline théâtrale vis-à-vis de la discipline littéraire ?
Catherine Naugrette : Ces nouveaux doctorats sont très importants pour que soit reconnue la discipline théâtrale dans sa double dimension, théorique et pratique. Il s’agit peut‑être de l’un des derniers murs à abattre pour que les études théâtrales soient pleinement affranchies de leur origine et détachées des études littéraires88.
49Marion Denizot fait de son côté « l’hypothèse selon laquelle l’histoire ferait moins partie des caractères identitaires — dans une perspective académique — des études théâtrales, que l’analyse scénique ou l’analyse dramaturgique89. »
50Des chercheurs favorables à la pratique du théâtre à l’université comme Cohen ou Gaiffe, qui désignait pour sa part « l’histoire littéraire » comme une méthode insuffisante à l’étude du théâtre, auraient‑ils vu d’un bon œil ce recul progressif de l’histoire tout court dans les études portant sur le théâtre ? Ce recul semble en partie avoir été favorisé, toujours selon Marion Denizot, par « la volonté de rapprocher la théorie et la pratique90 », ouvrant la voie à une « histoire du temps présent ». Pour s’en convaincre, il faut voir dans Genèses des études théâtrales en France les études consacrées à Louis Jouvet (dont le rôle pour la Société d’histoire du théâtre est étudié par Ève Mascarau91), à l’université du Théâtre des Nations (étudié par Odette Aslan92), au Centre d’études théâtrales de Nanterre (étudié par Bernard Faivre93), à Jean Duvignaud (étudié par Jean Lagoutte94), et de nombreuses autres déjà citées.
Naissance d’une discipline
51Loin d’être secondaire, cette ouverture sur la pratique a en effet été l’un des moteurs de la nouvelle discipline, comme le rappelle Flore Garcin‑Marrou à la faveur d’un retour sur la figure de Basch, qui « se fait le relais français de la Theaterwissenschaft conçue par Max Herrmann au carrefour de la théorie et de la pratique » (sur Herrmann, voir le chapitre de Viktoria Tkaczyk95) :
Son cas est révélateur des transferts culturels franco‑allemands qui permirent l’établissement d’une esthétique théâtrale française, au carrefour de la philosophie (tout en revendiquant une autonomie), de la psychologie et de la sociologie. Il faut donc démentir l’idée que les études théâtrales françaises contemporaines soient nées d’un mouvement d’émancipation des études littéraires, d’un « simple passage d’une définition du théâtre comme texte à une définition fondée sur la notion de mise en scène »96.
52Qu’il n’y ait pas eu de « séparation » (le mot est de Flore Garcin‑Marrou) à la manière d’un « divorce » (le mot est de Danielle Chaperon) où les deux parties, chacune en présence de son avocat, entérine la révocation d’un contrat de mariage préalable, cela est certain. Comme l’écrivait Marie‑Madeleine Mervant‑Roux en 2006, « on ne rend [pas] exactement compte du processus réel en évoquant une “émancipation” par rapport aux études littéraires. Le processus tel qu’on peut le reconstituer n’est pas le mouvement simple que cette formulation fait imaginer97. » Il semble toutefois difficilement contestable qu’il y ait eu une « émancipation » notamment par rapport aux études littéraires, à la manière d’un jeune adulte qui, au gré de nouvelles rencontres (la métaphore biologique, promis, cesse tantôt), quitte le nid ou plutôt les nids (car il y en toujours, d’une manière ou d’une autre, plusieurs98) : il y a eu, dès avant la fondation des études théâtrales, un désaveu répété de la « littérature » en tant que celle‑ci a pu être comprise avec plus de netteté comme fondée sur la pratique de la lecture (littéraire), et moins comme un domaine du savoir ou un répertoire d’œuvres valorisées (comprenant notamment des œuvres théâtrales). Il s’est par là agi, entre autres, de clarifier — autant que faire se peut et diversement jusqu’à aujourd’hui — le rapport de la « littérature dramatique » avec la « littérature », des textes de théâtre avec les textes littéraires, des textes « faits pour être joués » (comme on a souvent dit) avec les textes « faits pour être lus ».
53La longue discussion annoncée touche à sa fin. Nous voulions prendre très au sérieux Genèses des études théâtrales en France, qui donne une quantité inestimable d’informations peu connues et précieuses, s’imposant par là comme un travail de tout premier plan. Le livre offre un aperçu indispensable à tout chercheur en études théâtrales (et affiliés ou sympathisants) de ce à quoi peut ressembler la naissance d’une discipline qui, comme le précise d’emblée l’introduction, est paradoxalement « souvent interdisciplinaire ». Une discipline, en définitive, consiste dans « un ensemble de savoirs et de méthodes appropriés à un objet et une communauté de chercheurs qui les produisent. »
Elle [une discipline] comporte un corpus de textes fondateurs transmis par des personnalités qui se regroupent. C’est donc une instance de formation, de recherche et de débat. Sa reconnaissance a longtemps été, en France, le fait de l’État qui, à cet effet, mettait en place des diplômes et créait des postes. Une discipline ne naît jamais ex nihilo, elle emprunte toujours au début un objet, des méthodes à d’autres disciplines déjà existantes. Son institutionnalisation est un processus socio‑historique long, complexe, souvent conflictuel, révélant ou amplifiant des pesanteurs, des chauvinismes, tant du côté des disciplines constituées (pour ne pas dire canoniques) que des disciplines émergentes99.
54Cette définition sert à organiser le livre, attentif d’abord aux « Questions d’ensemble : institutions, disciplines, modèles », puis aux « Figures : parcours, théories, pratiques » (outre toutes celles déjà citées, on croise également Gabriel Marcel, étudié par Anne Verdure‑Mary100) — itinéraire foisonnant et complexe qui ne saurait se réduire à une polarisation entre littérature et théâtre, mais qui ne l’annule pas non plus. Le tout éclaire la double genèse des études théâtrales françaises, « la première à la Sorbonne, la seconde au CNRS, à peu près simultanées, très différentes l’une de l’autre101 », sous une lumière qui mérite assurément bien plus qu’un coup d’œil. À n’en pas douter, l’ouvrage nourrira de nombreuses recherches complémentaires.
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notes
1 Registres, n° 18, 2015. Les références complètes sont listées dans la bibliographie.
2 Catherine Brun, Jeanyves Guérin et Marie‑Madeleine Mervant‑Roux, « Introduction », p. 7‑26, ici p. 9, dans id. (dir.), Genèses des études théâtrales en France (xixe‑xxe siècles), 2019 ; désormais abrégé GdET. L’hypothèse reprend et précise celle déjà présente dans Mervant‑Roux, « Les études théâtrales : objet ou discipline », 2006.
3 Ibid., p. 11.
4 Sur la notion de « littérature », voir notamment Philippe Caron, Des Belles‑Lettres à la littérature. Une archéologie des signes du savoir profane en langue française (1680‑1760), 1992, et Alain Goulet (dir.), Le Littéraire, qu’est‑ce que c’est ?, 2001.
5 Henri Gouhier, L’Essence du théâtre (1943, 1968), 2002, p. 24. Comme nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin, cette remarque sur la lecture s’insère dans le cadre d’une réflexion sur « l’essence » du théâtre.
6 Jacques Scherer, « Introduction », La Dramaturgie classique en France (1950), 2001, p. 10. Il existe une 3e éd. (2014), dont on trouve la préface de Georges Forestier, intitulée « Une révolution dans l’approche du fait littéraire », dans GdET, p. 319‑321.
7 Pierre Larthomas, Le Langage dramatique. Sa nature, ses procédés (1972, 2005), 2010, p. 41.
8 Anne Ubersfeld, Lire le théâtre I (1977), 1996, p. 17.
9 Id., Lire le théâtre II. L’école du spectateur (1981), 1996, p. 9.
10 Marie‑Claude Hubert, Le Théâtre, 1988, p. 5.
11 Bénédicte Louvat-Molozay, « Introduction », Le Théâtre, 2007, p. 15.
12 Jean‑Pierre Sarrazac, Poétique du drame moderne. De Henrik Ibsen à Bernard‑Marie Koltès, 2012, p. 11.
13 Eugène Rigal, « Avant‑propos », Le Théâtre français avant la période classique (fin du xvie et commencement du xviie siècle), 1901, p. vii‑viii. L’ouvrage « réunit à l’Esquisse d’une histoire des théâtres de Paris, que j’ai publiée en 1887 […], la partie générale du livre sur Alexandre Hardy, publié en 1890 […]. » Voir Hôtel de Bourgogne et Marais. Esquisse d’une histoire des théâtres de Paris de 1548 à 1635 (1887) et Alexandre Hardy et le Théâtre français à la fin du xvie et au commencement du xviie siècle (1889).
14 Florence Dupont, « Peut‑on lire la comédie romaine ? », 1995, p. 40.
15 Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Conclusion. Une histoire ample et inachevée, un récit opérant », dans GdET, p. 385‑393, ici p. 387 et 388.
16 Danielle Chaperon, « Littérature et études théâtrales : ombres au tableau et perspectives », 2018, p. 6.
17 Ibid., p. 8. Pour Chaperon, elles sont problématiques notamment en raison du « rendez‑vous manqué » entre études théâtrales et narratologie : « à la fin des années 60, au moment de l’émergence de la narratologie française (avec Tzvetan Todorov en 1969), la linguistique pragmatique et la sémiologie furent engagées massivement dans les forces scientifiques qui participèrent à la consolidation des études théâtrales — parce qu’elles n’étaient pas d’obédience littéraire. En revanche, littéraire, la narratologie l’était assurément. » (Ibid., p. 16)
18 Victor Basch, « L’esthétique et la science de l’art » (1920), Essais d’esthétique de philosophie et de littérature, 1934.
19 Tadeusz Kowzan, Littérature et Spectacle dans leurs rapports esthétiques, thématiques et sémiologiques, 1970, p. 9 et 51 ; repris tel quel dans la 2nde éd. (1975), p. 16 et 65‑66. Plus loin : « Récapitulons. La littérature d’une part et le spectacle d’autre part constituent, sur le plan esthétique, deux domaines de l’art distincts, mais en corrélation manifeste. L’interdépendance de l’ouvrage dramatique est de la représentation théâtrale est un phénomène évident, mais non sans complications. » (Ibid., p. 58‑59 ; 2nde éd., p. 75). Kowzan n’en déduit pas que le fonctionnement des objets sur le plan opéral instabilise leur fonctionnement sur le plan artistique. Sur ces points, voir plus loin la note 29.
20 Ibid., p. 10.
21 Étienne Souriau, La Correspondance des arts. Éléments d’esthétique comparée (1947), 1969, p. 134.
22 Nelson Goodman, Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles (1968, 1976), 2011. Goodman ne consacre que quelques pages au théâtre. Dans Langages de l’art et Relations transesthétiques (1997), Bernard Vouilloux comble en partie ce manque depuis sa propre perspective, en se basant également sur L’Œuvre de l’art (1994, 1997 ; 2010) de Gérard Genette.
23 Flore Garcin‑Marrou et Aline Wiame, « Étienne Souriau et les bases philosophiques des études théâtrales », dans GdET, p. 279‑296. Wiame signe les pages portant sur l’œuvre de Souriau.
24 Pour rappel : « Le schéma binaire “texte/mise en scène” ne saurait […] rendre compte de ce qui s’est passé. […] La variété et l’ampleur de ces entreprises intellectuelles [dans les années 1940 et 1950] échappe au débat devenu canonique “du texte et de la scène”. » (Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Conclusion. Une histoire ample et inachevée, un récit opérant », dans GdET, p. 385‑393, ici p. 387 et 388.) Dans L’Essence du théâtre, Gouhier reprend « L’Essence du théâtre », paru dans la Revue d’histoire de la philosophie et d’histoire générale de la civilisation en avril‑juin 1939, p. 97‑106. Il consacre le chapitre v à la question de la littérature, dans la continuité de « Le théâtre est‑il un genre littéraire ? », paru dans L’Art et la Vie en 1936.
25 L’idée aboutit avec Le Théâtre et les Arts à deux temps (1989). Dans son chapitre, Mildred Galland‑Szymkowiak laisse de côté la question des « deux temps » du théâtre, centrale pour Gouhier, qui entend contredire à la fois ceux qui pensent que le théâtre peut se réduire aux textes et ceux qui pensent qu’il peut se réduire aux spectacles. Le théâtre comme « art à deux temps » repose sur un paradoxe qui a certes longtemps fait consensus, mais qui mérite d’être considéré tel. Gouhier pose en effet que la « création » de l’œuvre aurait lieu dans le premier temps (l’écriture) et que le second temps (la mise en scène) correspondrait à une « re‑création », tandis que l’essence du théâtre consisterait dans le présent et la présence scénique. Autrement dit : l’écrivain crée un texte qui aurait valeur d’œuvre, mais dont l’essence ferait défaut (elle se trouverait dans le second temps) ; de son côté le metteur en scène réalise un spectacle qui n’aurait pas valeur d’œuvre (qui s’avérerait créée par l’écrivain). En phase avec un moment de l’histoire du théâtre, Gouhier ne sort jamais de ce paradoxe.
26 Louis Becq de Fouquières distingue « l’œuvre commune de tous ceux qui, à un degré quelconque, concourent à la représentation » (« l’art théâtral »), de « l’œuvre du poète » (« l’art dramatique »). Selon Becq de Fouquières, la « ligne de partage [est] assez nettement tracée » — ce qui justifie à ses yeux de pouvoir « commence[r] » son « étude […] au moment où le poète a terminé son œuvre », même si cela ne doit pas empêcher de voir que « ces deux arts se pénètrent réciproquement ». (Becq de Fouquières, « Préface », L’Art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale, 1884, p.ii et iii.)
27 « Andererseits treten in dem Schauspiel die schon besprochenen strukturellen Unterschiede auf, die es zu einem neuen Werke — im Vergleich zu dem entsprechenden rein literarischen Werke — machen. Wir haben es also im Falle des Schauspiels mit einem anderen Typus von Werken zu tun als bei den rein literarischen Werken. Trotzdem besteht eine enge Beziehung zwischen einem Schauspiel und dem entsprechenden rein literarischen Werke, falls das letztere überhaupt vorhanden ist, was — wie zu betonen ist — nicht notwendig der Fall sein muß. » (Roman Ingarden, Das literarische Kunstwerk [1931], 1972, p. 342 ; L’Œuvre d’art littéraire, 1983, p. 272‑273 ; le traducteur souligne.) Même si Ingarden relève des « différences indéniables » entre « drame écrit » et « roman » dans ce livre où il propose de distinguer entre « Haupttext » et « Nebentext », distinction souvent reprise par d’autres chercheurs et déclarée fondatrice de l’étude proprement « théâtrale » des textes dramatiques, Ingarden précise aussi « qu’il n’est pas exclu que l’on retrouve toutes ces circonstances dans un roman ». De fait : « dans un drame “écrit”, deux textes courent côte à côte. D’une part, les indications de scène [appelées “texte secondaire”] qui disent où, à quel moment, etc., se déroule l’action, quel personnage est en train de parler et éventuellement ce qu’il fait à ce moment‑là, etc. ; d’autre part, le texte lui‑même [appelé : “texte principal”]. Celui‑ci n’est constitué que des phrases que prononcent “réellement” les personnages. […] Il n’est pas exclu que l’on retrouve toutes ces circonstances dans un roman, encore que texte principal et texte secondaire n’y soient jamais aussi nettement distingués que dans un “drame”. » (Ibid., p. 179 et 180 ; en allemand p. 220 et 221 : « Vor allem ist auffallend, daß in einem “geschriebenen” Drama zwei verschiedene Texte nebeneinander laufen: einerseits der Nebentext, d.h. die Angaben darüber, wo, in welcher Zeit usw. sich die betreffende dargestellte Geschichte abspielt, wer gerade spricht und eventuell auch, was er momentan tut usw.; andererseits der Haupttext selbst. Der letztere besteht ausschließlich aus Sätzen, die von den dargestellten Personen “wirklich” ausgesprochen sind. […] All die Vorkommnisse sind auch bei einem Roman nicht ausgeschlossen, wenn es dort auch nie zu einer so scharfen Abscheidung des Haupt‑ und des Nebentextes kommt wie im Falle eines “Dramas”. ») Avec cette dernière remarque, nous revenons au problème posé par ce que Gouhier appelle les textes « qui, sur le papier, offre[nt] les apparences d’un ouvrage théâtral » sans l’être (Gouhier, L’Essence du théâtre (1943, 1968), 2002, p. 23 ; voir note suivante).
28 « La représentation n’est pas une sorte d’épisode qui s’ajoute à l’œuvre ; la représentation tient à l’essence même du théâtre ; l’œuvre dramatique est faite pour être représentée : cette intention la définit. Sans cette intention, il y aura un dialogue, un texte qui, sur le papier, offre les apparences d’un ouvrage théâtral : rien d’autre. Les drames philosophiques de Renan ne sont pas des drames, non parce qu’ils sont philosophiques, mais, tout simplement, parce qu’ils ne sont pas du théâtre. Ce qui leur manque est une condition bien humble, une virtualité, une possibilité, la possibilité d’être représentés qui dessine la scène dans le dialogue et pousse les personnages hors du livre. » (Gouhier, L’Essence du théâtre [1943, 1968], 2002, p. 23.) Gouhier le répète (en le précisant) quelque 50 ans plus tard : « je peux trouver le texte de l’auteur dramatique imprimé dans un livre, je peux mettre dans ma bibliothèque Ruy Blas à côté des Contemplations et des Misérables. Pourtant, il y a une différence essentielle, avec référence au sens proprement philosophique du mot “essence” : le texte de l’auteur dramatique est écrit pour être joué ; certes, on peut et parfois il faut se contenter de lire ce texte, mais l’œuvre dramatique n’est dramatiquement elle‑même que jouée, c’est‑à‑dire rendue présente par la présence de comédiens dans une représentation. » (Id., Le Théâtre et les Arts à deux temps, 1989, p. 13‑14.)
29 Cette dernière opposition entre « textes faits pour être lus » et « faits pour être représentés » est centrale pour Gouhier qui explique dans Le Théâtre et les Arts à deux temps, 1989, p. 14 : « Cette distinction vraiment essentielle entre les textes écrits pour être lus et les textes écrits pour être joués est un cas particulier d’une différence spécifique entre deux types d’art ; disons pour simplifier : celles qui sont créées en une fois, celles qui, pour être pleinement elles‑mêmes, doivent être re‑créées. »
30 À propos de ce fonctionnement, voir un article précédent intitulé « Théâtre ou littérature ? Sur le fonctionnement artistique et opéral des textes de théâtre », 2018.
31 Mildred Galland‑Szymkowiak, « La philosophie du théâtre selon Henri Gouhier », dans GdET, p. 247‑268, ici p. 257. L’autrice cite à propos un article rédigé pour l’Encyclopédie française, où Gouhier déclare au sujet du théâtre : « Il ne s’agit […] pas d’une forme littéraire, mais d’un art qui inclut dans son essence même la représentation. » (Gouhier, « Philosophie et théâtre », 1957, p. 19.30‑6.)
32 Guérin le souligne lui aussi. Gouhier « partage une de[s] idées maîtresses [de Gaston Baty] : le théâtre n’est pas que (dans la) littérature. » (Guérin, « Henri Gouhier critique dramatique à La Vie intellectuelle (1945‑1956) », dans GdET, p. 269‑278, ici p. 276.)
33 Colette Scherer, « Jacques Scherer fondateur de l’Institut d’études théâtrales à la Sorbonne », dans GdET, p. 297‑318, ici p. 302 et 303 ; nous soulignons. « Très rapidement, Jacques Scherer est soucieux de réunir autour de sa chaire une documentation pour la recherche théâtrale : en 1957, à sa demande, la Sorbonne aidée du CNRS, achète à la veuve de Gaston Baty la bibliothèque du célèbre metteur en scène pour un million de francs […]. » (Ibid., p. 301.)
34 Isabelle Schwartz‑Gastine, « Jean Jacquot et la première équipe de recherches théâtrales et musicologiques du CNRS », dans GdET, p. 323‑340.
35 Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Conclusion. Une histoire ample et inachevée, un récit opérant », dans GdET, p. 387.
36 Voici le passage du rapport cité : « une approche du théâtre considéré comme un phénomène global, dont l’étude réclame le recours à des méthodes qui relèvent de l’histoire, de l’analyse littéraire et esthétique, de la sociologie, de la psychologie, de la linguistique et de l’anthropologie ».
37 En accord d’ailleurs avec une autre mission de l’esthétique telle que définie par Basch en 1920.
38 Béatrice Picon‑Vallin, « Denis Bablet et le Laboratoire de recherches sur les Arts du spectacle du CNRS », dans GdET, p. 341‑360, ici p. 350‑351 et 346.
39 « Il veut promouvoir une connaissance, voire une science des aspects concrets de la création théâtrale, pour proposer d’autres voies que l’analyse des textes dramatiques qui dominait jusqu’alors les études théâtrales. » (Sally Jane Norman, « Denis Bablet. Relations entre le théâtre et les autres arts, relations entre la théorie et la pratique », dans GdET, p. 361‑369, ici p. 362.)
40 Remarquons au passage que ces divers horizons engagent des manières de lire tout à fait différentes, aux enjeux distincts et peu étudiés. L’éloignement de la lecture littéraire n’a que peu conduit à une réflexion sur les spécificités et les contours de ce qu’on pourrait appeler une « lecture scénique », y compris par les théoriciens et historiens de la lecture. Pour une tentative de conceptualisation de cette lecture scénique vis‑à‑vis de la lecture littéraire et de la lecture opératoire, voir un article précédent intitulé « Qu’est‑ce qu’une lecture scénique ? Lire une scène, lire la scène, lire sur scène », 2019. Pour une réflexion sur les enjeux critiques de ces manières de lire, notamment sur la manière dont la « fiction » se construit pour le lecteur, voir « La vérité du drame. Lire le texte dramatique (Dom Juan) », 2017.
41 Erika Fischer‑Lichte, « From Text to Performance. The Rise of Theatre Studies as an Academic Discipline in Germany », 2009.
42 « “[C]e qui se produit [dans les années 1950] n’est pas le simple passage d’une définition du théâtre comme texte à une définition fondée sur la notion de mise en scène.” D’abord parce que les dimensions non textuelles du théâtre, qui avaient en effet gagné en considération à l’intérieur de l’université, ne coïncidaient pas avec les composantes scéniques du spectacle. […] Ensuite parce que le texte dramatique non seulement demeurait, mais se constituait véritablement en un objet d’étude majeur (Jacques Scherer et Jean Jacquot étaient des littéraires). L’émergence de la discipline a plutôt résulté de l’affirmation et de la mise en œuvre de principes et de modèles théoriques […]. » (Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Introduction », dans GdET, p. 10 ; les crochets sont des auteurs, qui citent Mervant‑Roux, « Les études théâtrales : objet ou discipline », 2006, p. 6.) L’un de ces « principes » a trait à la manière de lire « le texte dramatique ».
43 Jean‑Marc Larrue, « Théâtre et intermédialité. Une rencontre tardive », 2008.
44 Stendhal, Mémoires d’un touriste (1838), 1854, p. 354 ; l’auteur souligne.
45 « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées, et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre » (Molière, « Au lecteur », L’Amour médecin, 1966.)
46 Émile Faguet, L’Art de lire (1912), 2013 ; l’auteur souligne. Outre la lecture qui pose la pièce comme un spectacle à voir, Faguet oublie celle qui pose la pièce comme un spectacle à jouer. Sur ce point, voir un précédent article intitulé « Qu’est‑ce qu’une lecture scénique ? Lire une scène, lire la scène, lire sur scène », 2019.
47 Si cette lecture « comme un roman » n’est jamais définie, c’est que la fonction de cette déclaration si souvent répétée est d’agir à la manière d’un slogan. Par ailleurs, on fait généralement comme s’il existait une lecture « comme un roman » et une lecture « comme théâtre », alors qu’on ne lit pas du tout les textes de la même manière suivant les époques, les lieux et les occasions — « romans » y compris.
48 Félix Gaiffe, « La vie de l’art théâtral. À propos d’un livre récent », 1933, cité dans Guérin, « Au sources de la Revue d’histoire du théâtre. Deux bulletins (1901‑1919 et 1933‑1939) », dans GdET, p. 49‑62, ici p. 59.
49 Bulletin cité dans Guérin, ibid., p. 55.
50 Gaiffe, « Avant‑propos », Le Rire et la Scène française, 1931, p. vi. Plus loin : « Je ne me dissimule pas que ce genre d’étude est actuellement assez décrié par un certain nombre de théoriciens de l’histoire littéraire, qui voudraient voir l’attention de leurs confrères se détourner de ces phénomènes collectifs qui participent autant de l’histoire des mœurs que de la littérature pure, pour se borner à la seule étude des grandes œuvres. Il ne me paraît pas que cet exclusivisme soit justifié ; individuelle ou collective, esthétique ou historique, toute étude qui nous rapproche de la vérité nous aide en même temps à mieux comprendre la beauté. » (Ibid., p. 14.)
51 Gouhier, L’Essence du théâtre (1943, 1968), 2002, p. 91. En ouvrant Les Arts de littérature (1945) de Jean Hytier, on trouve ces lignes, initialement publiées en 1932 dans le Journal de Psychologie : « La pièce, qui s’est jouée d’abord dans l’âme du dramaturge, finit par se jouer dans l’imagination (du spectateur ou du lecteur), théâtre où les acteurs sont sans défaut. » Suit un commentaire sur l’individualisation du « public au théâtre ». Relevons en passant cette remarque : « On ne se rend pas compte, d’ailleurs, qu’en France, il y a plus de lecteurs que de spectateurs, même des pièces contemporaines, et l’on trouve partout, sur le globe, ces brochures diffusant le meilleur et le pire des représentations parisiennes. Pour les classiques, surtout les anciens et les étrangers, et pour tant de pièces curieuses, aimées seulement du meilleur public, admirablement dispersé, ils ne sont vraiment joués que dans les meilleures têtes poétiques de ce monde. Et déjà plusieurs chefs‑d’œuvre dramatiques n’ont pas été destinés à la scène, n’y paraîtront peut‑être jamais, ou que temporairement. » (Jean Hytier, « L’esthétique du drame » (1932), Les Arts de littérature, 1945, p. 100 et 101‑102.)
52 Gouhier, L’Essence du théâtre (1943, 1968), 2002, p. 90‑91. Jacques Arnavon rangeait trente ans plus tôt les « lettrés » du côté de l’« élite », face à la « foule » (où se trouverait le théâtre) : « Du haut des chaires, d’éminents lettrés, en une langue choisie, expliquaient comment le génie les [i.e. « la comédie et la tragédie du grand siècle »] avait un jour illuminées ; dans les salles de spectacle, une élite applaudissait de confiance des pièces dont elle pouvait murmurer presque tous les vers. Jamais ces œuvres, qui sont belles parce qu’elles sont humaines, n’avaient vraiment été aimées par la foule pour leur humanité profonde. On leur rendait des devoirs ; on ne leur donnait pas son âme. » (Jacques Arnavon, « Avant‑propos », L’Interprétation de la comédie classique. Le Misanthrope : mise en scène, décors, représentations, 1914, p. ii.)
53 « Je n’ignore pas qu’un ouvrage de ce genre peut déplaire à d’assez nombreuses catégories de lecteurs : universitaires pour qui théâtre signifie frivolité ; gens de théâtre pour qui Université est synonyme de pédantisme ; érudits minutieux pour qui sont seules valables des études au sujet étroitement limité et qu’inquiète toute tentative de synthèse ; chercheurs épris de science purement livresque, qui pensent que les choses de la scène peuvent vraiment se comprendre du fond d’une bibliothèque ; et aussi toute une nouvelle école à qui l’étude des rapports entre la littérature et la vie paraît suspecte et dépourvue d’intérêt. La perspective de ces défiances et des ces objections ne m’a pourtant pas arrêté. Assez d’universitaires ont, depuis un demi‑siècle, traité avec talent des questions de littérature dramatique, pour que je me sente parmi eux en excellente compagnie. Il est fort honorable d’aimer à la fois l’érudition et le théâtre et de s’essayer à combler le fossé, de moins en moins profond, qui les sépare. Bien convaincu que tout ce qui touche à la scène a un caractère social autant qu’esthétique et doit être étudié par d’autres méthodes que l’histoire littéraire pure et simple, je crois servir la cause de la vérité en considérant des faits collectifs comme tels et en n’excluant pas de mon examen les œuvres médiocres, dès qu’elles paraissent significatives. » (Gaiffe, « Avant‑propos », Le Rire et la Scène française, 1931, p. v‑vi.)
54 Lise Forment, « Relire les “lansoniens”. De quel théâtre la Nouvelle Sorbonne a‑t‑elle fait l’histoire ? », dans GdET, p. 63‑87.
55 Ibid., p. 66 ; l’autrice souligne.
56 Ibid., p. 67.
57 Ibid., p. 68.
58 Gustave Lanson, Nivelle de La Chaussée et la Comédie larmoyante (1887), 1903, p. 266 et 267, cité par Forment, « Relire les “lansoniens”. De quel théâtre la Nouvelle Sorbonne a‑t‑elle fait l’histoire ? », dans GdET, p. 78.
59 Forment, « Relire les “lansoniens”. De quel théâtre la Nouvelle Sorbonne a‑t‑elle fait l’histoire ? », dans GdET, p. 79.
60 Ibid., p. 83 et 68.
61 Lanson, « Le théâtre français au temps d’Alexandre Hardy » (1891), 1895, p. 87 et 89. Aux pages suivantes (p. 90‑91), la distinction est maintenue : « D’abord, la tragédie du xvie siècle n’était qu’un divertissement de lettrés. Récitée plutôt que jouée dans les collèges et les hôtels des princes, faite pour la lecture et non pour la représentation, c’est un poème, non un drame. Les Jodelle et les Garnier, n’ayant pas retrouvé dans leurs manuscrits de Sophocle ou de Sénèque la mise en scène du théâtre grec ou romain, n’avaient eu garde de penser à la partie matérielle de l’art. Il fallut bien s’en inquiéter, quand, après quarante années d’existence toute littéraire et artificielle, la tragédie se produisit sur un vrai théâtre, devant un vrai public. Il y eut là une question à résoudre : ou plutôt elle se résolut d’elle‑même. On ne créa rien parce qu’il existait quelque chose : il y avait un matériel tout prêt, des habitudes, des traditions, des conventions qui enveloppèrent la tragédie, auxquelles elle s’adapta spontanément pour vivre comme à son milieu naturel. Les premiers comédiens de campagne qui, gênés par l’interdiction des mystères sacrés, renforcèrent leur répertoire appauvri de quelques tragédies imprimées, ne discutèrent pas la façon de mettre en scène ces pièces d’un genre nouveau. Ils revêtirent pour jouer Didon les costumes qui leur servaient dans la Destruction de Troie, et disposèrent leur décoration pour une Mort de César comme ils étaient accoutumés à faire pour une Passion ou un Amadis. Quand, ensuite, un jeune bourgeois de Paris, nourri de Ronsard et frotté de latin, Hardy, eut l’idée de donner à la troupe de Valleran Lecomte des tragédies composées expressément en vue de la représentation, il les disposa selon les exigences et les commodités de la mise en scène dont il avait l’idée : c’était celle qui avait servi de tout temps en France. »
62 Ibid., p. 88‑89. « Il était convenu surtout qu’on ne pouvait le lire […]. Illisible, le pauvre Hardy l’est bien, en effet ; seulement ce n’est pas sa faute. »
63 Auteur d’une Esquisse d’une histoire des théâtres de Paris de 1548 à 1635 (1887), Rigal justifie en 1889 l’étude des pièces de Hardy en faisant la distinction entre le travail d’écrivain et celui de dramaturge : « Est‑il admissible qu’on étudie une à une — et parfois avec force détails — les œuvres d’un dramaturge qui a joué un rôle important, mais qui n’en est pas moins un mauvais écrivain ? — Cette objection ne saurait manquer de nous être faite ; nous l’avons prévue, et voici pourquoi nous avons passé outre. D’abord, nos analyses apportent quantité de petits faits mal connus à l’histoire du théâtre et des mœurs […]. Ensuite, nous avons lu tant et de si grosses erreurs sur Hardy […] ! Nous désirions bannir ces erreurs de l’histoire littéraire ; nous désirions faire exactement connaître les œuvres de Hardy, et, comme ces œuvres sont peu lisibles, comme on ne les lira pas plus après qu’avant notre étude, nous les avons présentées au lecteur en raccourci […]. Ce faisant, nous savions ce que notre livre perdrait en rapidité, en vivacité et en intérêt littéraire ; mais nous espérions qu’il le regagnerait en utilité. » Devant l’énigme apparente qu’« à l’âge de cinquante ans environ, il n’avait encore rien publié », Rigal insiste : « Toutes ces pièces [de Hardy] étaient écrites pour être jouées, non pour être lues. Pourtant Hardy dut former et caresser de bonne heure le rêve d’une publication, au moins partielle, qui mettrait le sceau à sa renommée et perpétuerait son nom. » (Rigal, Alexandre Hardy et le Théâtre français à la fin du xvie et au commencement du xviie siècle, 1889, p. vii‑viii, 65 et 64.)
64 Forment, « Relire les “lansoniens”. De quel théâtre la Nouvelle Sorbonne a‑t‑elle fait l’histoire ? », dans GdET, p. 82.
65 Lanson, Nivelle de La Chaussée et la Comédie larmoyante (1887), 1903 ; Gaiffe, Le Drame en France au xviiie siècle, 1910 ; Raymond Lebègue, La Tragédie religieuse en France. Les débuts (1514‑1573), 1929.
66 Forment, « Relire les “lansoniens”. De quel théâtre la Nouvelle Sorbonne a‑t‑elle fait l’histoire ? », dans GdET, p. 85.
67 Si bien que nous nous sommes demandé, avec Delphine Abrecht, dans quelle mesure certains modes de production et de réception de la littérature ne pouvaient pas être rapprochés du théâtre, à l’endroit de ce qu’on appelle couramment « l’écriture de plateau », dans un article intitulé « L'écriture de plateau fait-elle littérature ? Réflexions à partir de C'est une affaire entre le ciel et moi, mise en scène de Christian Geffroy Schlittler (2014) », 2019.
68 Gaiffe, Le Rire et la Scène française, 1931, p. 6.
69 Arnavon, « Avant‑propos », L’Interprétation de la comédie classique. Le Misanthrope : mise en scène, décors, représentations, 1914, p. vii‑viii, cité dans Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Introduction », dabs GdET, p. 14.
70 Gouhier, L’Essence du théâtre (1943, 1968), 2002, p. 54.
71 Arnavon, L’Interprétation de la comédie classique. Le Misanthrope : mise en scène, décors, représentations, 1914, p. 296.
72 Id., L’Interprétation de la comédie classique. Le Misanthrope, 1930, p. i. Les didascalies d’Arnavon ont été multipliées et mêmes agrémentées de quelques schémas, si bien que le texte de Molière compte ici près de 280 pages. Dans l’intervalle, Arnavon a testé l’opération avec plusieurs autres pièces, « mises en scène » qu’il juxtapose avec des essais, par exemple dans Notes sur l’interprétation de Molière (1923), où une « mise en scène » de L’Avare succède à des réflexions sur « La pluralité des décors dans Tartuffe, le Misanthrope et les Femmes savantes » et précède un « appendice » intitulé « Les influences italiennes dans l’œuvre de Molière ».
73 Id., L’Interprétation de la comédie classique. Le Misanthrope : mise en scène, décors, représentations, 1914, p. iv, vii, viii et 1.
74 Brun, Guérin, Mervant‑Roux, « Introduction », dans GdET, p. 15.
75 « L’universitaire souvent pointe son nez. Ses critiques en 1945‑1946 comportent de nombreuses notes de bas de page. Il y en a jusqu’à six dans un article. Elles disparaissent vite. Recensant le Dom Juan de Molière monté par Louis Jouvet, Gouhier cite la thèse récente de Jacques Arnavon et le livre déjà ancien de Gustave Michaut. Il se réfère au Rire, de Bergson, et à Deux Cent Mille Situations dramatiques, de son collègue Souriau, à des articles d’André Villiers et même de Lucien Goldmann. » (Guérin, « Henri Gouhier critique dramatique à La Vie intellectuelle (1945‑1956) », dans GdET, p. 269‑278, ici p. 273.)
76 Arnavon, Le Don Juan de Molière. Thèse pour le Doctorat ès Lettres présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris, 1947, p. 445.
77 Ibid., 177.
78 Cet essai est recensé dans la presse. Nozière dans Gil Blas (le 14.01.1914) signale qu’après de précédents « projets pour rajeunir la présentation de Tartufe [sic] et des Femmes Savantes », il « convient de soutenir M. Jacques Arnavon, de s’inspirer de ses travaux, de mettre à profit ses réflexions. » Dans Comœdia (28.01.1914), c’est au tour de Henri Bachelin d’écrire qu’on « lira avec infiniment d’intérêt et de profit, j’en suis certain, non seulement ces sept chapitres que je viens d’analyser rapidement, mais aussi le texte du Misanthrope, agrémenté d’indications, de notes et de réflexions, dont M. Arnavon a fait précéder sa conclusion. […] Souhaitons donc qu’à la Comédie‑Française il y ait des oreilles pour entendre M. Arnavon. » Le 23.02.1914 dans le Journal des débats politiques et littéraires, Henry Bidou est au contraire d’avis que « le raisonnement de M. Arnavon prête à plus d’une réserve ». « Il se fait des illusions sur l’importance de la réforme qu’il propose ».
79 Arnavon est également lauréat d’un Prix d’Académie pour l’« ensemble de son œuvre sur Molière » en 1948 et de plusieurs autres prix pour son livre sur Le Misanthrope (1914), L’École des femmes (1937) et Le Malade imaginaire (1939), ainsi que Notes sur l’interprétation de Molière (1923). Voir en ligne : http://www.academie-francaise.fr/jacques-arnavon.
80 Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Annexe. Pistes pour de nouvelles recherches sur la période étudiée », dans GdET, p. 392‑393, ici p. 392.
81 Id., « Introduction », dans GdET, p. 15 : « Gaston Baty et Henri Gouhier échangent une correspondance. En 1920, Jacques Copeau ouvre l’école du Vieux‑Colombier car, comme Gordon Craig, Max Reinhardt et Constantin Stanislavski, il juge essentielle la formation technique et éthique des comédiens. Jules Romains, qui est le directeur de ce contre‑Conservatoire, Benjamin Crémieux, Henri Ghéon, Albert Thibaudet, Georges Chennevière, Paul Valéry, Valery Larbaud donnent des “leçons” ou des “cours publics” de culture littéraire, Louis Jouvet et les Fratellini de pratique scénique. Aucun enseignant de la toute proche Sorbonne ne fait partie du corps professoral. Il n’est pas venu à l’idée de Jacques Copeau de solliciter Paul Mazon, Gustave Michaut ou même Gustave Cohen. Il n’a jamais été question que soit nommé au Collège de France Jacques Copeau, Gaston Baty ou Louis Jouvet comme l’avait été Paul Valéry, poète officiel de la République mais surtout théoricien de la poétique. »
82 Ibid., p. 12 et 14.
83 Véronique Dominguez, « Gustave Cohen, une révolution et ses limites. Le théâtre médiéval dans les études françaises », dans GdET, p. 197‑218, ici p. 207.
84 Ibid., p. 209.
85 Ève‑Marie Rollinat‑Levasseur, avec la collaboration de Stéphanie Méchine, « De l’articulation entre la théorie, la pratique et la création. Le théâtre à l’université de Paris (1930‑1970) », dans GdET, p. 89‑117, ici p. 90.
86 Ibid., p. 93.
87 Quentin Fondu, « Les études théâtrales, entre théorie et pratique. Le département Théâtre de Vincennes (1969‑1979) », dans GdET, p. 165‑179, ici p. 165.
88 Catherine Naugrette, « Questions sur la recherche‑création », 2018, n. p.
89 Marion Denizot, « Les études théâtrales et l’histoire. Vers un primat de l’histoire au temps présent », dans GdET, p. 181‑194, ici p. 181‑182.
90 Ibid., p. 188.
91 Ève Mascarau, « La place des hommes. L’exemple de Louis Jouvet et de la Société d’histoire du théâtre », dans GdET, p. 219‑230.
92 Odette Aslan, « L’université du Théâtre des Nations », dans GdET, p. 119‑132.
93 Bernard Faivre, « Le Centre d’études théâtrales de Nanterre », dans GdET, p. 133‑163.
94 Jean Lagoutte, « Jean Duvignaud. Penser ensemble théâtre et sociétés », dans GdET, p. 371‑383.
95 Victoria Tkaczyk, « La naissance de la “Theaterwissenschaft” allemande à partir de la psychophysiologie. Le programme de Max Herrmann », trad. Arthur Lochmann, dans GdET, p. 29‑47.
96 Garcin‑Marrou et Wiame, « Étienne Souriau et les bases philosophiques des études théâtrales », dans GdET, p. 279‑296, ici p. 281‑282. Garcin‑Marrou, qui signe cette partie de l’article, cite ici Mervant‑Roux, « Les études théâtrales : objet ou discipline », 2006, p. 7.
97 Mervant‑Roux, « Les études théâtrales : objet ou discipline », 2006, p. 5.
98 Il est clair qu’il s’agit aujourd’hui d’une part de « ne pas se polariser sur la relation à la littérature », les études théâtrales ayant bénéficié de l’apport de nombreuses autres disciplines (l’anthropologie, les études cinématographiques et la philosophie, entre autres), d’autre part de rendre compte de « la formidable complexité » des croisements disciplinaires dans laquelle sont prises les études théâtrales dès leur début, « les générations fondatrices ayant pensé le phénomène théâtral dans un contexte beaucoup plus large que l’art du théâtre lui‑même. » (Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Introduction », dans GdET, p. 10 et 11.)
99 Ibid., p. 7‑8. Sur la « discipline littéraire », voir notamment Nathalie Kremer, « La littérature en mal de discipline », 2011.
100 Anne Verdure‑Mary, « Gabriel Marcel, critique et théoricien du théâtre », dans GdET, p. 231‑245.
101 Brun, Guérin et Mervant‑Roux, « Introduction », dans GdET, p. 10.
plan
- Impertinence de la lecture « comme un roman »
- Sur les « origines anti-littéraires » des études théâtrales (& un sérieux problème d’esthétique)
- Dépasser la lecture littéraire
- Une pétition de principe
- La « littérature dramatique » vs la « littérature »
- Pratique de l’histoire, histoire des pratiques
- Naissance d’une discipline
mots clés
Esthétique théâtrale, Études théâtrales, Historiographie du théâtre, Lecture, Littérature dramatique, Théâtre
pour citer cet article
Romain Bionda, « Naissance d’une discipline. Sur la « séparation » des études théâtrales d’avec les études littéraires », Acta fabula, vol. 21, n° 6, « Les études théâtrales à l'intersection des disciplines », Juin 2020, URL : http://acta.fabula.org/revue/document12965.php, page consultée le 08 mars 2021.