Acta fabula
ISSN 2115-8037

2004
Printemps 2003 (volume 4, numéro 1)
titre article
Hélène Maurel-Indart

Le plagiat, essai de dépistage

Ysabelle Martineau, Le Faux littéraire, plagiat littéraire, intertextualité et dialogisme, Québec : Nota Bene, coll. « Essais critiques », 2002, 286 p., EAN 9782895181347.

1Ysabelle Martineau, professeure à l’Université Concordia (Montréal), a réalisé un essai rigoureux, précis et, à ce double titre passionnant, sur le thème du faux littéraire. En réalité, la notion de plagiat littéraire est le fil directeur de cette étude, tandis que le faux est abordé de façon plus ponctuelle et, surtout, dans le domaine de la peinture, avec le fameux exemple de Réal Lessard, un artiste qui

prétend avoir produit en deux ans de 2000 à 3000 toiles imitées si fidèlement de Degas, Matisse, Dufy, Van Dongen, etc., qu’il excède la production des artistes qu’il contrefait. [...] Van Dongen lui‑même aurait été berné par son talent et aurait accepté de signer, en le postdatant, un tableau qu’il aurait pris pour le sien ». (p. 200)

2La bibliographie offre des références nombreuses et pointues, qui permettront aux passionnés de la question d’approfondir tel ou tel point, en se reportant au document source. Par exemple, concernant des affaires aussi troublantes que celle de Yambo Ouologuem, lauréat du prix Renaudot 1969 pour son roman LeDevoir de violence, Y. Martineau s’appuie avec précision sur des articles qui avaient jusque‑là échappé à nos investigations. Bien d’autres cas de plagiats supposés ou avérés font ainsi l’objet d’une analyse solidement argumentée.

3Le premier chapitre, intitulé « Plagiat et autres pratiques littéraires ambiguës », se présente comme « un survol chronologique des ouvrages "critiques" ayant pour sujet le plagiat ». Les Questions de littérature légale de Charles Nodier font l’objet d’une fiche récapitulative et le cas paradoxal de Nodier, lui‑même plagiaire, fait sourire une fois de plus, tout en déconcertant, tant les déclarations du Nodier‑écrivain sont en contradiction avec celles du Nodier‑critique.

4Joseph‑Marie Quérard est à son tour présenté comme le censeur moral des Lettres françaises. Suivent, au xxe siècle, les travaux moins connus d’Albert Cim, Mystifications : littéraires et théâtrales(1913), de Robert Picard, Artifices et mystifications littéraires(1945). Enfin, le précieux ouvrage de Jean‑François Jeandillou, Supercheries littéraires. La vie et l’œuvre des auteurs supposés(Paris, Huscher, 1989), fait l’objet d’un résumé méticuleux. Précisons à cette occasion l’existence de publications plus récentes du même, toujours aussi novatrices, Esthétique de la mystification, tactique et stratégie littéraires(Paris, Minuit, 1994) et la nouvelle édition des Supercheries littéraireschez Droz (Genève) en 2001.

5La notion de plagiat est finalement confrontée à celle de l’intertextualité. Nous sommes donc au coeur de la question des sources, de l’influence, de la citation, autant de termes qui permettent de réactiver le débat et la réflexion sur l’emprunt littéraire. C’est là que nous aurions été intéressée de lire le point de vue d’Y. Martineau sur la typologie des différentes formes d’emprunt que nous avions tenté d’élaborer dans DuPlagiat(PUF, 1999). Dans le sous‑chapitre intitulé « Un concept plein d’intérêt » (p. 69), l’auteur reconnaît à juste titre que

l’opposition entre imitation et originalité n’a jamais été tranchée puisque l’une et l’autre sont liées par des procédés littéraires ancrés dans la tradition [...]. Trop souvent ces procédés furent assimilés au plagiat ; il me paraît donc essentiel d’établir les définitions de quelques notions littéraires, étroitement liées à lui. Toutes ces notions, je les ai confrontées les unes aux autres et, en me servant d’un autre concept aux contours fluctuants, celui de l’intertextualité, j’en suis arrivée à définir plus clairement l’espace esthétique et éthique occupé par le plagiat.

6En dépit de cette déclaration optimiste, on ne trouve guère la clarification annoncée, ainsi que les critères de classification sélectionnés. Un travail critique de la typologie que j’avais proposée aurait peut‑être permis d’avancer sur ce terrain.

7Le deuxième chapitre, malgré son titre « Le plagiat, le droit et l’Université », s’interroge plus largement sur les rapports entre l’esthétique et le droit. Y. Martineau s’appuie avec circonspection sur les études toujours fiables d’Alain Viala concernant la signature, puis elle rappelle le fonctionnement du système des privilèges qui dès le xvie siècle apparaît plutôt comme un moyen de censure que comme un ancêtre du droit d’auteur, auquel d’ailleurs le privilège est rarement accordé.

8Une synthèse claire et instructive récapitule les spécificités du copyright et la conception du droit d’auteur dans des pays comme l’Allemagne. À partir de la réglementation existante, s’engage un débat sur l’évolution souhaitable du droit d’auteur face à l’émergence des nouvelles techniques de communication. L’inquiétude l’emporte face au constat du vide juridique, sur lequel on pourrait discuter, face surtout aux réels risques de dérapages de notre actuel droit d’auteur : « Ces dernières années, on constate la volonté des milieux industriels de venir s’installer dans le droit d’auteur, de s’annexer le droit d’auteur en changeant son contenu et sa finalité ». L’ouvrage cite ici un article de Frank Gotzen, « Les sujets d’inquiétude » (in : LeDroit d’auteur aujourd’hui sous la direction d’Isabelle de Lamberterie, Paris, Éd. de CNRS, 1991).

9La question du plagiat à l’Université est ensuite évoquée sous l’autorité d’Antoine Compagnon qui explique la quasi absence de dénonciation de plagiat dans les universités françaises par l’absence, non pas de plagiats, mais « d’idée d’université sous la forme d’une communauté définie par la recherche de la vérité ». Le pillage universitaire en France « provient de la disparition de la responsabilité morale de l’universitaire » vis‑à‑vis de la valeur de la vérité (Y. Martineau, p. 104).

10« Quelques grands plagiaires et leur méthode » animent le troisième chapitre, en particulier une figure du Grand Siècle, celle de Sieur Oudard de Richesource, que l’on a le plaisir de retrouver dans le texte originel. On en sait gré à Y. Martineau qui prête tout de même au « bien nommé » des intentions un peu trop louables, puisqu’elle considère qu’il « fut le premier à écrire une véritable poétique du plagiat en français » (p. 113).

11On ne se lasse pas de relire, avec de nouvelles précisions, le cas Corneille : « profession écrivain et plagiaire », un Corneille militant pour son indépendance vis‑à‑vis du mécénat et de l’institution littéraire et soucieux, par conséquent, de ses revenus financiers. Mais aussi un Corneille prétendu auteur de pièces de Molière...

12Une galerie de portraits du xixe siècle, « grand siècle du plagiat », permet de taquiner les grands hommes, les Balzac, les Chateaubriand, Musset, Stendhal, A. France, jusque l’inévitable Lautréamont !

13Une interrogation sur les rapports entre la pratique de l’écriture plagiaire et son contexte socio‑économique aboutit au constat d’une incompatibilité entre, d’un côté, les valeurs, de plus en plus exacerbées par notre système de consommation, basées sur la propriété, et d’un autre côté, le libre‑échange culturel d’Internet et des nouvelles technologies...