Colloques en ligne

Marie-Françoise Alamichel

Les guerres antiques : une route vers la paix dans le Troy Book et le Siege of Thebes de John Lydgate 

Wars in Ancient Times: a Path to Peace in John Lydgate’s Troy Book and The Siege of Thebes

1En 2020 sont parus les actes d’un colloque tenu à Versailles en 2012 qui portait sur l’artiste engagé de Dante à Rubens. Dans l’article « Les 3 poètes et la paix : Gower, Hoccleve, Lydgate », nous précisions :

John Gower (1330-1408), Thomas Hoccleve (1368-1426), John Lydgate (1370-1451) ont tous les trois écrit pour plaider la cause de la paix s’adressant directement à leur roi en pleine guerre de Cent Ans, alors que les rivalités avec l’Écosse persistaient et que la monarchie anglaise avait connu, ou connaissait, l’abdication forcée et l’assassinat de deux de ses princes (Édouard II en 1327 et Richard II en 1400)1.

2C’est donc avec la longue et meurtrière Guerre de Cent ans qu’apparurent les premiers écrits pacifistes en Angleterre. Avant les XIVe / XVe siècles, les auteurs de récits épiques et de romances valorisaient la guerre, soulignaient les exploits et l’honneur des chevaliers. Ceux des chroniques nationales anglaises connues sous le nom de Bruts, qui étaient considérées et utilisées comme l’histoire véridique et officielle du royaume, chantaient la gloire de l’Angleterre dans un discours nationaliste et patriotique, l’idée de croisade étant l’une de leurs traditions. En effet, le Brut en prose – dont l’édition de base se termine en 1333 mais qui fut suivie de plusieurs continuations conduisant le texte de 1377 à 1475 – ne cesse de faire des Bretons / Anglais les héros d’une guerre sainte contre les Saxons ou les Normands, à l’instar de tous les Bruts précédents.

3Le présent article va se concentrer uniquement sur le plus jeune des trois poètes, John Lydgate. Comme Gower et son poème In Praise of Peace de 1399, comme Hoccleve et son traité politique Regement of Princes de 1411-1412, Lydgate a composé une ode à la paix, A Praise of Peace, dont on ne connaît pas la date exacte mais qui fut rédigée après la mort du roi Henry V, entre 1422 et 1443 – l’année 1443 étant généralement retenue et plus précisément le moment des négociations entre Français et Anglais qui menèrent à la trêve de Tours en 1444. Faut-il voir dans cet écrit pacifique un simple exercice au goût du jour ? En effet, outre nos trois poètes, nombre de chroniques ou traités anonymes contemporains (Richard the Redeless [Richard le Malavisé], Mum and the Sothsegger [Le Silencieux et le Diseur de Vérités], Dives and Pauper, The Libelle of Englyshe Polycye, le Brut en prose, An English Chronicle 1377-1461) dénoncent les guerres, notamment à cause de leur coût exorbitant et de l’augmentation persistante des impôts. Force est de constater d’emblée, qu’en réalité, la condamnation de la guerre et un souci constant de paix transparaissent dans les poèmes de Lydgate, notamment dans ses récits antiques. Le paradoxe vient alors du fait qu’il prôna la paix en chantant les hauts faits guerriers des héros de la Guerre de Troie ou du siège de Thèbes. Il ne pouvait bien évidemment pas modifier le déroulement des événements de ces histoires antiques bien connues. Comment réussit-il à évoquer batailles et combats dans de très longs passages de son Troy Book (en abrégé TB2) et de son Siege of Thebes (en abrégé ST3) tout en demandant la fin de toutes les guerres ?

4Dans ses deux récits antiques principaux, Lydgate utilise chaque occasion possible pour dénoncer la guerre. Le Troy Book s’ouvre sur une invocation au dieu Mars que le poète anglais a ajouté au texte de sa source directe, l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne (1287). Si Lydgate reconnaît la toute-puissance du dieu des combats, il qualifie aussitôt celui-ci de cruel et colérique et le présente comme la cause des « guerres et conflits [of werre and stryf] » (TB I, 18) tandis que la troisième partie du Siege of Thebes est encore plus explicite. Celle-ci s’ouvre sur une lamentation suite aux méfaits de cette divinité puissante, mais féroce, que Lydgate tutoie pour souligner son désaccord et sa condamnation en lui refusant ainsi toute marque de respect :

ST 2553-2554, 2558-2560 : Ô cruel Mars, plein de mélancolie4. Par nature, chaud, ardent et sec. Quelle fut la cause de ton courroux envers les habitants de Thèbes ? À cause du déchaînement de ta furie, la ville fut brûlée et incendiée. [O cruel Mars ful of malencolye / And of thy kynde hoot, combust, and drye (…) What was cause that thow were so wroth / With hem of Thebes, thorgh whoos fervent ire / The cité brent and was sette afyre.]

Et la condamnation est sans appel dans le livre IV du Troy Book :

TB IV, 4451-4455 : Tu te complais dans le meurtre et la mort, tu te repais dans la vengeance, déclencheur de colère et de haine, source de dispute et cause de combats ! Tu te délectes du conflit et de la grogne. [In mordre and deth ay is i delit, / In takyng vengaunce most in appetit, / First meueur of anger and of hate, / Rote of contek, causynge to debate! / In strif and murmur most is i desyre.]

5Mars, cependant, n’est pas le seul fautif. En effet, rois et princes n’ont pas besoin qu’il les inspire directement car les chevaliers, par définition, aspirent au combat et recherchent la gloire sur le champ de bataille. Il en va de leur identité intrinsèque, de leur fonction, de leur raison d’être. Nos deux œuvres présentent, toutefois, de multiples exemples de débats entre champions sur le bien-fondé de la guerre et sur la valeur respective de la guerre et de la paix. Ce débat n’était pas nouveau. On en trouve un exemple dans le Brut5 de Laȝamon (fin XIIe siècle), adapté du Roman de Brut de Wace (1155) et absent dans la source de ce dernier, l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth (1135), lorsque le roi Arthur hésite à se rendre à Rome. Cador prône de partir en campagne :

Laȝamon, Brut 12433-12435, 12438 : car l’oisiveté fait perdre leur virilité aux hommes ; l’oisiveté fait perdre leurs droits aux chevaliers ; l’oisiveté est à l’origine de nombreuses mauvaises actions ; nous avons été inactifs trop longtemps : notre honneur est au plus bas ! [for idelnesse makeđ mon / his mon-scipe leose // ydel-nesse makeđ cnihte / for-leosen his irihte // idelnesse græiđeđ / feole uuele craften (…) For ȝare we habbeođ stille ileien / ure wurđ-scipe is tha lasse.]

Walwain s’oppose à Cador qui affirme que la guerre est une des figures du Mal :

Laȝamon, Brut 12455-12457 : la paix et la concorde sont bonnes si on les respecte librement. Et Dieu lui-même, dans sa divinité, les créa. Car la paix permet à un être bon d’agir dans le Bien [for god is griđ and god is friđ / ꝥe freoliche ꝥer haldeđ wiđ // and Godd sulf hit makede / ꝥurh his Godd-cunde // for griđ makeđ godne mon / gode workes wurchen.]

6Il est à noter que le débat a disparu dans le Brut6 moyen-anglais en prose (fin XIVe / début XVe siècle). Dans cette version les :

Brut en prose, chap. 80 : rois, comtes et barons (…) préconisèrent d’un même accord qu’il lève une grande force armée dans l’ensemble des territoires dont il était le suzerain et qu’il se venge sans retenue de l’empereur [Kyngus, Erles and barons (…) conseilede at ones ꝥat [Arthur] shulde assemble a grete power of alle ꝥe landes of ꝥe whiche he hade lordeshipe, & manliche avenge him oppon ꝥe Emperour.]

7Pour le Troy Book, Lydgate a repris les arguments des défenseurs de la paix contenus dans sa source directe mais il a amplifié les discours, les a étayés d’exemples et de détails et a moralisé davantage les propos. Ainsi, lorsque le roi Priam demande conseil à ses fils pour savoir s’il faut, ou non, se venger des Grecs qui retiennent sa sœur Hésione prisonnière, Hector en appelle à la retenue tandis qu’Hélénos prophétise l’anéantissement de Troie. Le discours d’Hélénos chez Guido delle Colonne est court : il annonce factuellement, en un très bref catalogue, la destruction de la ville, la mort des habitants, celles de Priam et de sa femme Hécube. Lydgate s’attarde et brosse le tableau de la ville meurtrie, « notre ville » précise Hélénos soulignant ainsi l’attachement sentimental qui relie son père et ses frères à la cité. Le devin annonce ainsi :

TB II, 2946-2948 : destruction, à la fois des tours et des murailles, des palais et maisons qui se dressent ici dans notre ville, tout sera réduit à néant. [Subuersion, bothe of tour and wal, / Of paleys, house, here in oure cite, / Al goth to nouȝt.]

8Et Lydgate le moralisateur s’avance en faisant dire à Hélénos que le projet de Priam repose sur la précipitation et le manque de discernement. Tout au long de son récit, le poète déplore systématiquement les décisions rapides et mal considérées. La guerre ne doit pas être une réaction à chaud prise sous le coup de l’émotion. La hâte excessive entraînera une absence de recul, d’appréciation réfléchie et une improvisation aux conséquences néfastes. Hélénos met donc en garde :

TB II, 2955-2958 : Car il vaut mieux, le plus tôt possible, refuser ce projet qui n’en est encore qu’à ses prémices, plutôt qu’accepter précipitamment quelque chose dont chacun d’entre nous aura à se repentir. [For bet it is be-tymes to abstene / From is purpos, whiche is ȝet but grene, / an of hede hastily assente / To ing for whiche we schal echon repente.]

9Persister dans l’erreur est encore pire. Lydgate regrette, à de multiples reprises, l’entêtement des dirigeants et autres chefs de guerre qui conduit à la déraison car pourquoi privilégier la violence et les morts alors que le calme et la paix règnent ? Hélénos est l’un de ses porte-paroles lorsqu’il fait remarquer à Priam que déclencher la guerre, en dépit des conseils et avertissements, serait faire preuve d’une obstination insensée :

TB II, 2972-2980 : Si vous persistez dans votre dessein et votre obstination à vouloir déclencher une guerre et à mener cette folie qui viendra troubler votre tranquillité et votre quiétude, qui n’apportera rien de bon si ce n’est votre ruine et celle de nous tous, alors je ne peux rien faire de plus. Mais avant que ce malheur ne s’abatte, mon conseil est là à entendre : que l’obstination soit mise de côté. [In ȝour avis ȝif at ȝe procede / Of wilfulnes a werre for to make / And folily for to vndirtake / For to perturbe ȝour quiete and ȝour reste / Whiche schal turne no ing or e best, / But to ruyne of ȝow and of vs alle. / I can no more ; but or at meschef falle, / Mi conseil is a-forn for to prouyde, / And wilfulnes for to sette a-syde.]

10Lorsqu’Achille, suite à son coup de foudre pour Polyxène, décide de ne plus se battre, il se fait soudainement le chantre de la paix. Il avance de nombreux arguments en la faveur de cette dernière, notamment le fait qu’Hélène ne vaut pas tous les malheurs encourus, que les Grecs n’auraient pas dû tout quitter – femmes, enfants et pays – pour l’affront d’un seul homme, le roi Ménélas, qui pourrait aisément trouver une autre épouse. Il fait aussi remarquer que la victoire sera difficile car les Troyens sont de très bons guerriers et Troie une cité très solide. Il ajoute, enfin, que les Grecs ont déjà récolté gloire et honneur en particulier par la mort du grand Hector. Lydgate a repris cet exposé de l’Historia destructionis Troiae mais a ajouté ses propres thèmes de prédilection : dans le texte moyen-anglais, Achille considère que les Grecs ont agi avec « empressement irréfléchi [foly hastynesse] » (TB IV, 978), que la sagesse leur enjoint de renoncer à « l’arrogance et l’entêtement [pride / And wilfulnes] » (TB IV, 1072-1073) ainsi qu’à « la prétention [veyn-glorie] » (TB IV, 1075).

11Dans The Siege of Thebes, c’est la reine Jocaste qui se fait « tisseuse de paix » lorsque son fils Étéocle demande conseil à son entourage et que deux camps opposés se dessinent : le premier regroupe les partisans de la guerre – qui considèrent que le roi se doit « de faire valoir son droit vigoureusement par l’épée [To trye his right manly with the swerd] » (ST 3638) – et le second qui rassemble ceux qui conseillent de négocier (ST 3634) car précise Jocaste, « c’est pure folie, pour aller vite, que de confier une querelle au jugement de Mars [And it is foly be short avisement / To putte a strif in Martys jugement] » (ST 3661-3662) d’autant qu’Étéocle est l’unique responsable du différend et que, lui seul, peut privilégier la paix et renoncer à la guerre :

ST 3674-3675, 3680-3682 : Car tu es le déclencheur, la cause et l’origine de ce déshonneur et cette grande injustice. La paix immédiate ou la guerre imminente vont suivre. Le choix fatal entre la vie et la mort est dans la balance. [And for thow art gynnyng, ground, and roote / Of this injurie and this gret unright, (…) Sodeyn pees oyther hasty werre / Moot folowe anon; for the fatal chaunce / Of lif and deth dependeth in balaunce.]

12Les efforts de Jocaste restent sans effet car Étéocle est jeune et la jeunesse est, selon Lydgate, dominée par « l’impulsivité [hasty wilfulnesse] » (ST 2957). Or, ajoute notre auteur, « et lorsque l’imprudence domine, la sagesse est asservie [And wher that foly hath domynacioun, / Wisdam is putte into subjeccioun] » (ST 2965-2966). Étéocle n’écoute pas sa mère et fait preuve des défauts déjà mentionnés – précipitation, obstination – qui sont ceux de tout guerrier acharné :

ST 4005-4009 : Mais il n’attacha aucune valeur à ses conseils. Il se jugeait si prudent et si sage alors qu’il était entêté et inflexible. Son cœur était malveillance obstinée, il était totalement déterminé au fond de lui. [But al hir counsayl he set it at no prys; / He dempt hymsilf so prudent and so wys, / For he was wilful and he was indurat, / And in his hert of malice obstynat, / And outtrely avised in his thouht.]

13Les récits montrent de nombreuses chances de paix qui ne sont pas saisies. Aucun des devins qui mettent en garde n’est écouté. Dans The Siege of Thebes, Adraste – roi d’Argos et beau-père de Polynice – et ses hommes refusent les conditions d’Étéocle mis en garde par le divinateur Amphiorax qui prédit qu’une position ferme, sans compromis, « conduira à la ruine de tous [(…) shal cause a destruccioun / of hem echon (…)] » (ST 3808-3089). Les avertissements d’Amphiorax ne servent à rien. En effet :

ST 3811-3814 : Mais à ce moment, en dépit de toute son éloquence, il fut à peine écouté. Car, que ses intentions aient été bonnes ou mauvaises, le roi Adraste lui ordonna de se taire. [But thilke tyme for al his elloquence / He had in soth but lytyl audience / For whersoevere he ment good or ille, / Kyng Adrastus bad hym to be stille.]

14Dans The Troy Book, c’est Cassandre qui se fait la voix de la paix, ne sachant ce que le futur promet. Dans plusieurs passages amplifiés par Lydgate, elle répète qu’il convient de tout tenter pour « faire la paix avec les Grecs [with ꝥe Grekis for to seken pes] » (TB III, 2267), elle dérange et détonne aussi « elle ne fut pas entendue alors qu’elle disait la vérité [sche was nat herde, al-be sche seide trouȝth] » (TB III, 2296). Aussi est-elle « méprisée et ignorée [dispised (…), & taken of noon hede] » (TB III, 2314). De la même façon, Lydgate se lamente, accumulant les interjections (Alas!, O!, Woe!), lorsque chaque trêve est rompue et que les combats reprennent. Agamemnon reconnaît d’ailleurs plusieurs fois que la guerre aurait pu être évitée dans des discours absents de l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne.

15Lors des débats pour ou contre la guerre, et par conséquent pour ou contre la paix, nombreux sont les champions en faveur du départ au combat qui font remarquer, comme il est de coutume dans la poésie épique, qu’il leur revient d’égaler les exploits des ancêtres. Les Grecs qui assiègent Thèbes, par conséquent, se souviennent de leurs « ancêtres qui étaient autrefois de vaillants conquérants [progenitours, / That whilom wern so manly conquerours] » (TB III, 4139-4140). À leurs yeux, refuser de se battre n’est que faiblesse, lâcheté, honte et déshonneur. Ils affirment qu’il « conviendrait mieux à chaque guerrier de mourir couvert de gloire et d’honneur que de rester vivant tel un pleutre » [better it wer to every werreyour / Manly to deye with worship and honour / Than lik a coward with the lyf endure] » (TB III, 4123-4125). Lydgate rappelle dans le prologue du Troy Book que c’est le prince de Galles, futur Henry V, qui lui passa commande en 1412 de ce récit troyen qu’il acheva en 1420. Le vainqueur de la bataille d’Azincourt et conquérant de la Normandie était un brillant militaire. Dans son envoi, Lydgate salue ce noble guerrier qui mérite, nous dit-il, de se retrouver :

TB épilogue, 14-21 : à la plus haute place du palais de la renommée où tu pourras brandir la palme de la chevalerie en vertu de ta vaillance et de tes victoires éclatantes car tu es craint sur mer et sur terre et couvert, à jamais, de louanges, honneur et gloire pour une conquête légitime dont il faut garder la mémoire. Tu porteras une couronne de laurier vert sur la tête. [In e hiȝest place of e hous of fame / To holde a palme of knyȝthod in in hond / For worthines and for hiȝe victorie, / As ou at art drad on se and lond, / And euermore with laude, honour, and glorie, / For iust conquest to be put in memorie, / With a crowne made of laurer grene / Vp-on in hed.]

16Lydgate reconnaît, après saint Augustin et Thomas d’Aquin, qu’il est des causes justes pour faire la guerre, que l’on peut avoir le droit avec soi, qu’une guerre juste (« iust conquest ») vient venger les injustices et est, par conséquent, un moyen de punir les coupables d’une faute. Comme l’a théorisé Thomas d’Aquin, « ceux qui mènent les guerres justes recherchent la paix7 » car celles-ci visent au bien commun c’est pourquoi la guerre n’est juste que si elle est entreprise sous l’autorité d’un roi. Elle devient, en effet, injuste lorsqu’elle est menée par des individus, des particuliers qui cherchent leur intérêt propre. Lydgate rappelle qu’Henry V, descendant d’Édouard III, était l’héritier légitime de deux royaumes, ceux de France et d’Angleterre, et que récupérer la couronne de France était donc une cause juste :

TB V, 3381-3391 : Il est le vaillant conquérant de la Normandie. Car, par ses valeurs chevaleresques et son travail acharné, en dépit de tous ceux qui se plaisaient à lui dire de renoncer, il a reconquis son héritage, retrouvé de surcroît le titre de roi France qui lui revient. Tous ceux qui prendront le temps de consulter et parcourir les généalogies de chroniques anciennes, de faire des recherches dans des livres écrits il y a longtemps, trouveront que par sa naissance et lignée, lui revient de droit le trône de France. [Of Normaundie e myȝti conquerour: / For oruȝ his knyȝthod & diligent labour, / Maugre alle o at list hym to with-seyn, / He hath conquered his herytage ageyn, / And by his myȝti prudent gouernaunce / Recured eke jis trewe title of Fraunce / at who-so liste loken and vnfolde / e pe-de-Grew of cronycles olde, / And cerchen bokes y-write longe a-forn, / He shal fynde at he is iustly born / To regne in Fraunce by lineal discent.]

17Lydgate se garde bien de rappeler que le propre père d’Henry V avait usurpé le trône d’Angleterre moins de vingt ans plus tôt. Il préfère souligner les qualités d’Henry V en tant qu’administrateur du royaume d’Angleterre insistant sur la stabilité et l’ordre qui régnaient en multipliant la formule « paix et tranquillité/ordre [Pees and quyet] ». Tout au long de son récit, il est visible que le roi anglais est présenté comme jouant le rôle d’un noble et honnête Hector. Un contemporain de Lydgate, le poète et chroniqueur John Hardyng (1378-1465 ?), dressa un panégyrique similaire du roi dans sa chronique et insista, lui aussi, sur le calme et la tranquillité par le maintien de la loi :

Chronicle, chapitre 1228 : Lorsqu’il passait des jours en France, son ombre recouvrait tant l’Angleterre que la paix et la loi se maintenaient sans interruption dans tout le royaume durant son absence. (…) La paix au pays et la loi si bien préservée étaient les piliers de toutes ses grandes conquêtes. [When he in Fraunce was dayly couersaunt / His shadowe so obumbred all England / That peace and lawe kept continuaunt / In his absence throughout all this land (…) The peace at home, and lawe so well conserued / Were croppe and rote of all his hie conquest.]

18Considérer le roi comme garant de la paix grâce au respect de l’ordre et de la justice n’était pas spécifique à nos auteurs anglais. Cette conception traversa tout le Moyen Âge occidental et les exemples dans la littérature ne manquent pas. On peut citer dès le IXe siècle le De Institutione regia9 (‘le Métier de roi’) de Jonas d’Orléans :

De Institutione regia, chapitre III : Voici maintenant qu’il apparaît clairement aux regards à quel point la justice du roi fortifie son siècle : elle est la paix des peuples. [Ecce quantum iustitia regis saeculo ualet, intuentibus perspicue patet. Pax populorum est.]

De Institutione regia, chapitre IV : Le ministère royal est tout spécialement de gouverner et de diriger le peuple de Dieu avec équité et justice, et de s’appliquer à lui procurer la paix et la concorde. [Regale ministerium specialiter est populum Dei gubernare et regere cum aequitate et iustitia et ut pacem et concordiam habeant studere.]

19Lydgate connaissait les œuvres de Christine de Pizan et l’on pense alors aussitôt au Livre de paix de cette dernière dans lequel Charles V représente la figure exemplaire par excellence, celle du défunt monarque qui incarne toute la sagesse d’un règne paisible révolu.

20Nos deux récits antiques montrent que nombre de dirigeants ne sont cependant pas des princes éclairés et que, par conséquent, leurs décisions ne respectent pas souvent le principe de la guerre juste. Étéocle à Thèbes, par exemple, veut gouverner « par la force plutôt que par le bon droit [of force, more than right] » (ST 1786). Les deux œuvres se font ainsi miroirs de princes, Lydgate utilisant les épisodes antiques pour, en réalité, multiplier les conseils et préceptes moraux à l’intention d’Henry V. Il s’y prend essentiellement par un miroir inversé en soulignant l’attitude à ne pas adopter, les voies à ne pas suivre. Ainsi l’absence de paix, la guerre et ses multiples horreurs de nombreuses fois détaillées, sont-elles très souvent à mettre sur le compte de pensées et sentiments condamnables, d’erreurs de jugement et de conduite. Dans The Troy Book, les Troyens ne sont pas sans défaut et leurs erreurs sont parfois soulignées. Priam qui avait, jusque-là « préservé la paix au long de son règne, assisté de ses seigneurs dans la joie absolue, sans achoppement ou conflit [in pes held his reigne / with his legis in Ioye souereigne, / with-oute annoy or any perturbaunce] » (TB II, 1087-1089) en vient à être dévoré par le Serpent de l’animosité, ce qui conduit Lydgate à ne plus reconnaître le roi troyen et à s’étonner :

TB II, 1797-1799, 1807-1810 : Mais, dis-moi, Priam, quel malheur, quel nouveau revers, quelle malchance, quelle force inexorable, ou, du ciel, quelle funeste influence est descendue d’une violence soudaine pour te changer ainsi ? Tu ne peux pas vivre en paix ! (…) Pourquoi préfères-tu ce qui est aigre à ce qui est doux et ne peux-tu pas vivre dans la paix et la tranquillité ? [But seye, Priam, what infelicite / What newe trouble, what hap, what destyne, / Or from a-boue what hateful influence / Descendid is, by unwar violence, / To meue the, ou canst not lyue in pes! (…) / Whi hast ou sauour in bitter more an swete, / at canst not lyue in pes nor in quyete?]

21Toutefois, ce sont les Grecs qui sont beaucoup plus souvent critiqués et condamnés. Ils sont régulièrement qualifiés d’arrogants et de prétentieux (TB II, 6808 ; II, 6993). Priam est blessé par l’attitude de l’ambassade menée par Ulysse, « lorsqu’il vit le déploiement d’orgueil, le terrible affront et la présomption des Grecs [of ꝥe Grekis whan he sawe ꝥe pride, / ꝥe grete outrage and presumpcioun] » (TB II, 6880-6881). Télamon, roi de Salamine, se comporte mal en abusant d’Hésione et en ne mesurant pas les conséquences de son acte. Lydgate s’insurge :

TB I, 4372-4376 : Télamon, en vérité, tu fus coupable ! Car, par ton mauvais comportement, fut allumée, par grand désir de vengeance, une étincelle si ardente d’inimitié qu’à travers le monde le feu se répandit. [Now, Thelamon in soth ou wer to blame ; / For oruȝ e errour of i gouernaunce / er kyndled was, of ful hyȝe vengaunce / So hoot a sparke after of envye, / at oruȝ e worlde e fyr gan multiplie.]

22C’est chez Guido delle Colonne que Lydgate a trouvé l’idée qu’un rien, une petite chose insignifiante peut dégénérer et finir en catastrophe illustrée par l’image de la brindille enflammée qui donne naissance à un brasier10. Le poète anglais a multiplié le recours à cette image (voir TB I, 785-893 ; I, 4372-4381 ; II, 79-81 ; II, 7871-7875, etc.) et a constamment filé la métaphore :

TB I, 785-803 : C’est d’étincelles que l’on voit à peine que naît le feu qui dévore tout. De même une querelle, simple désaccord au départ, peut engendrer des flammes de discorde, de dispute, de convoitise qui se propageront dans toutes les directions. Et c’est ainsi, hélas, que la guerre meurtrière débute dans les royaumes, comme on peut le lire et le voir, d’une simple escarbille, suite à un petit différend, qui ne fut pas éteinte dès son apparition. (…) Et ainsi le feu de l’hostilité est la guerre. En dépit d’une cause, au départ, insignifiante, le prix à payer par la suite est des plus cruels : la disparition des royaumes de la tranquillité, la paix et la joie. [And of sparkys at ben of syȝte smale, / Is fire engendered at devoureth al; / And a quarel, first of lytel hate, / Encauseth flawme of contek and debate, / And of envie to sprede a-brod ful ferre. / And us, allas, in rewmys mortal werre / Is first be-gonne, as men may rede and see, / Of a sparke of lytel enmyte, / at was not staunched first whan it was gonne / For when e fyre is so fer y-ronne / at it embraseth hertis by hatrede / To make hem brenne, hoot as any glede, / On outer party oruȝ his cruel tene, / er is no staunchee but scharpe swerdys kene, / e whiche, allas, consumeth al and sleth; / And us the fyre of enmyte is deth. / ouȝ e gynnyng be but casuel, / e fret abydyng is passyngly crue / To voide rewmys of reste, pees, and Ioye.]

23Lydgate considère que la convoitise et la rancœur, le désir de vengeance sont les causes les plus courantes de la fin de la paix. Il parle de « Serpent de l’envie [ꝥis serpent envious] » (TB IV, 5448), de « serpent trompeur, vipère envieuse [false serpent, adder envious] » (TB IV, 6442) ». Celui-ci vient même mordre le vaillant Hector qui commet l’erreur de se découvrir afin de dérober les pierres précieuses de l’armure d’un Grec qu’il vient de terrasser. Et Lydgate de se désoler :

TB III, 5354, 5365-5366 : Mais sois maudite, hélas, perfide convoitise ! (…) car convoitise et chevalerie, comme je l’ai appris, ne peuvent être cousues ensemble. [But out! Allas! On fals couetyse! (…) / For couetyse and knyȝthod, as I lere, / In o cheyne may nat be knet y-fere.]

24On sent un message aux grands de ce monde, à Henry V plus précisément lorsque le moraliste rappelle que :

TB III, 5361-5364 : le désir de possession qui provient d’une pensée avide ne sied pas, en vérité, à la haute noblesse. Pas plus qu’un tel vol, pillage ou larcin ne convient à la noble chevalerie [Desyre of hauynge, in a gredy ꝥouȝt, / To hiȝe noblesse sothly longeth nouȝt / Nor swiche pelfre, spoillynge nor robberie / Apartene to worthi chiualry.]

25Tandis que dans The Siege of Thebes, c’est une leçon applicable à tous qui est donnée :

ST 4672-4677 : Car tous les êtres humains, de haute ou de basse naissance, envient de nos jours celui qui prospère. Et la raison et la cause qui conduisent ces personnes à se quereller de la sorte est la convoitise et le désir de puissance. Chacun veut dominer les autres et les fouler aux pieds. [For every man of hegh and lough degré / Envyeth now that other shulde thryve. / And ground and cause why that men so stryve / Is coveytise and fals ambicioun, / That everich wold han domynacioun / Over other and trede hym undyr foote.]

26Il arrive, toutefois, que les êtres humains ne soient pour rien dans les conflits et les accrocs à la concorde et la paix. Lydgate a multiplié les allusions à la Fortune et à sa roue (TB II, 2020-2046 ; II, 4255-4270 ; II, 6670-6676 ; III, 200-201 ; III, 4077-4087 ; IV, 1078-1081 ; V, 16-39). C’est donc, bien souvent, une force supérieure, incontrôlable, sans logique compréhensible qui décide, selon ses caprices, de préserver la paix ou de déclencher les conflits. Il n’est pas possible de la contrer car « ce qui est prévu doit arriver [ꝥing ordeyned nedes moste be] » (TB II, 3218).

27Les agissements de Dame Fortune, ses humeurs changeantes, son inconstance, son recours à des pièges et des feintes expliquent qu’elle « refuse que sur cette terre nous vivions en paix, sans guerre ou querelle [ne will not suffre vs in ꝥis present lyf / to lyue in reste with-oute werre or striffe] » (TB II, 3-4). Les décisions des Troyens se trouvent donc plus d’une fois contrées par l’instabilité de Fortuna qui choisit, au gré de ses envies, de les soutenir ou de les abandonner. Ainsi le rapt d’Hélène par Paris n’est-il qu’une courte et fausse victoire. Lydgate tire la leçon de la variabilité de Dame Fortune :

TB II, 4267-4269 : lorsqu’elle est la plus flatteuse, elle est la moins digne de foi. Mais, tout à leur joie, les Troyens ne se doutaient pas qu’elle agissait pour leur perte. [when sche most flateri, an sche is lest to trist / For in her Ioye e Troyans litel wist / what sche ment to her confusioun.]

28Le Destin, ainsi, se joue des hommes. Et ceux qui se disent que le combat sera aisé, que la victoire leur sourira sont présomptueux car Lydgate ne cesse de répéter que ceux qui commencent une guerre ne peuvent pas savoir comment les choses tourneront. Immanquablement, des difficultés imprévues, des pièges, des aléas surgiront car, à la guerre, « personne ne sait qui va perdre et qui va gagner [no man woot who shal lese or wynne] » (ST 4652).

29Pourtant, quelques valeurs et comportements sont nécessaires pour permettre de hâter une victoire ou pour éviter la guerre et préserver la paix. Le discours s’adresse alors encore davantage à Henry V et aux seigneurs anglais. La première qualité est la prudence qui parcourt abondamment l’ensemble de nos deux œuvres. Dans The Troy Book (TB I, 38), Lydgate s’adresse à Othéa, déesse de la Prudence. C’est chez Christine de Pizan et son Epître d’Othéa (adressée à Hector) que le poète anglais a trouvé ce nom forgé par l’autrice. La prudence est l’exact contraire de la précipitation, des décisions irréfléchies que nous avons déjà mentionnées. C’est donc le meilleur moyen de contrer les agissements du Destin et de Dame Fortune, de vaincre les princes et troupes ennemis même si – et l’on pense à Boèce – rien n’est cependant jamais sûr :

TB V, 3576-3578 : Aucun prince, seigneur ou roi, l’exemple de Troie le prouve comme vous pouvez le voir, ne peut sur cette terre tout contrôler. [er is nouther prince, lord, nor kyng / Be exaumple of Troye, like as ȝe may se, / at in is lif may haue ful surete.]

30La prudence permet de mesurer les risques, de limiter les conflits, de privilégier la paix. La seconde qualité est l’unité. Lydgate souligne combien les Grecs sont unis, parlent d’une seule voix, agissent dans l’ordre et respectent la hiérarchie : il multiplie l’usage de l’adjectif common, du nom unanimite ou du verbe accord. C’est cette union qui permet aux Grecs de remporter les premières batailles. Lorsque des dissensions se font jour, notamment lorsque l’autorité d’Agamemnon est remise en cause, Lydgate en profite pour faire une digression et donner des leçons de politique générale :

TB III, 2342-2345 : Ô, quel malheur entraîne la mésentente entre seigneurs lorsqu’ils ne s’accordent pas pour tirer tous ensemble la même corde. L’Envie est la cause de ce genre de division. [Lo what meschef lyth in variaunce / Amonge lordis, whan ꝥei nat accorde / For to drawe fully by o corde: / Envie is cause of swiche diuisioun.]

31Les vers qui suivent immédiatement ont clairement été rédigés à l’intention des princes qui gouvernent. Lydgate leur rappelle combien le « Serpent de la discorde [serpent of discord] » (TB IV, 4506) est dangereux car :

TB III, 2350-2354 : lorsque la discordance et le perfide désaccord s’associent pour apporter la querelle parmi les seigneurs, alors ce royaume ne peut prospérer tant que ceux-ci ne s’amendent et ne retrouvent la paix entre eux. [when discord & false discencioun / Allied ben in hertis for to strive / Among lordis, at kyndam may nat ryve / til ei reformed ben ageyn to pes / Amonge hem silf.]

32L’argument général de The Siege of Thebes peut être vu comme une mise en garde contre toute guerre civile11. Et plus loin dans le récit de The Troy Book, Lydgate revient au sujet de la discorde et renouvelle ses préceptes moraux adressés aux lecteurs mais plus spécifiquement destinés à Henry V ou aux souverains contemporains. Utilisant le genre de la maxime, il mentionne que « la prudence, en vérité, a prévu qu’un royaume aux divisions internes soit irrémédiablement dévasté et stérile [prudence, sothly, hath prouyded / ꝥat a regne hit silfe deuided / shal recurles tourne wilde and wast] (TB IV, 4529-4531). La paix implique aussi de se débarrasser des traîtres et des malhonnêtes. En effet, « pire, en vérité, que la guerre me semble une trahison sous la forme d’une prétendue paix [wers ꝥan werre, sothly, seemeth me / Treoun cured vnder a feyned pes] » (TB IV, 4536-4537). Certes, les Grecs sortent vainqueurs mais ils ont usé de ruse malhonnête. D’un point de vue collectif, ils sont qualifiés de « cruels [cruel] », « féroces [fers] », « sans pitié [merciles] ». Inversement, les Troyens sont braves et vaillants, Hector étant toujours présenté comme « admirable [worthy] » au point que le terme devient quasiment une épithète de nature. Il est, en effet, nécessaire de souligner les qualités des Troyens car les Anglais se prétendent les héritiers directs de ces derniers. Lydgate a ainsi supprimé les jugements de valeur négatifs de Guido delle Colonne qui traite les Troyens d’écervelés et montre son admiration pour le valeureux et brave Achille. Lydgate préfère – et a besoin de – valoriser les Troyens car il insiste tout particulièrement sur la continuité, la filiation. Guido delle Colonne et le poète anglais précisent, en effet, dans leurs ouvertures que la destruction de Troie a permis la création de « l’admirable Rome [worthy Rome] » (TB I, 814) et l’installation des principales dynasties européennes. Lydgate salue ainsi tout particulièrement le premier roi breton, Brutus « des plus renommés [so passyngly famus] » (TB I, 832), chanté dans tous les Bruts et du nom duquel :

TB I, 834-836 : ce pays fut nommé Bretagne car, grâce à sa grandeur, il vainquit les géants et remporta cette noble île dont il fut le fondateur. [is lond called was Breteyne / For he of geauntys oruȝ his manhood wan / is noble yle, and it first began.]

33Aussi « le noble prince de Galles, à qui reviendra par succession de gouverner l’Albion de Brutus [the worthy prynce of Wales / To whom shal longe by successioun / For to gouerne Brutys Albyoun] » (TB I, 102-104), le futur Henry V, sera roi en ligne directe du fondateur de l’île et c’est par cette longue stabilité, cette absence de division, que l’ordre, le bien-être et la paix seront assurés. Ou tout du moins est-ce qu’il veut faire croire :

Lydgate strikes most critics as a poet who attempts above all to promote peace, social stability and « comune profyte » by preserving the illusion of a unified, stable monarchy. As David Lawton says, the Troy Book, like much 15th-century literature, is characterized by “a ceaseless attempt to create continuity and unity where in the actual center of power there is instability and dyuision12.

34Lydgate, cependant s’accroche à des faits nouveaux, à un espoir. Il actualise son propos dans ses deux récits antiques espérant voir la fin des combats entre la France et l’Angleterre suite au Tractatus Trecensis13 (« Traité de Troyes ») signé en 1420 et prévoyant le mariage entre le prince de Galles et Catherine de France (= Catherine de Valois). Dans l’épilogue de The Siege of Thebes (ST 1420-1422), Lydgate pleure les destructions qu’engendrent les guerres, la dévastation de la Grèce et l’effondrement des murailles de Thèbes, la pauvreté de toute la population. Mais, ajoute-t-il, dans un futur (lointain ?), les guerres laisseront la place à la paix et, reprenant des termes du traité, Lydgate annonce que règneront « paix et tranquillité, concorde et unité [Pees and quyet, concord and vnytè] » (ST 4703). L’article 24 du traité débute, en effet, de la façon suivante :

Tractatus Trecensis, art. 24 : Item et afin que concorde, paix et transquillité entre les royaumes de France et d’Angleterre soient, pour le temps avenir, perpetuellement observées (…). [Item, ut Concordia, Pax, et tranquillitas inter praedicta Franciae et Angliae Regna perpetuo futuris temporibus observentur (…).]

Dans l’article 25, on peut lire, en revanche, ceci :

Tractatus Trecensis, art. 25 : Entre lesdis royaumes de France et d’Angleterre et les peuples d’iceulx royaumes adhérens à ladicte concorde ; et entre les royaumes dessusdiz sera et aura vigueur dès maintenant perpetuellement et à toujoursmais paix, transquillité, concorde, affection mutuelle, amitiés fermes et estables. [Inter Regna Franciae & Angliae supradicta, & Populos eorumdem Regnorum, dictae Pacis Concordiae Adhaerentes, eruntque exnunc perpetuo, & vigebunt inter eadem Regna, & eorum Subditos supradictos Pax, Tranquillitas, Concordia, & Affectus mutui, & Amicitiae stabiles & firmae.]

35On notera que Lydgate a ajouté l’unité, terme absent du traité et dont nous avons souligné l’importance. L’épilogue de The Troy Book se termine de la même façon. Oubliés les Hector, Achille ou Priam. Lydgate s’intéresse à sa propre époque et la guerre qu’il connaît depuis toujours. Il espère que Cruel Mars « ne menacera plus [shal no more manace] » (TB V, 3402), car Henry V, « ce grand roi plein de sagesse et de raison [ꝥis worthi kyng of wisdam & resoun] » (TB V, 3408), va réunir les deux royaumes et promouvoir la paix :

TB V, 3411-3412 : Je veux dire qu’ainsi l’Angleterre et la France pourront être un seul et même royaume sans désaccords. [I mene us, at Yngelond and Fraunce / May be al oon, with-oute variaunce.]

36Aussi Lydgate peut-il clore son récit en appelant Henry V, « le prince de la paix [ꝥe prince of pes] » (TB V, 3426).

37Tout en relatant des guerres antiques, Lydgate parle de l’Angleterre, conseille son roi, universalise son propos pour dénoncer les méfaits de la guerre et souligner les bienfaits de la paix. The Siege of Thebes, en particulier, en se fondant sur des passages bibliques, reprend le message évangélique de la charité et de l’amour qui implique le dépôt des armes (ST 4660-4716) et alors « amour et paix rempliront les cœurs [love and pees in hertys shal awake] » (TB IV, 4698). Lydgate vit ses espoirs anéantis par la mort prématurée d’Henry V en août 1422. Il rédigea peu après un traité en prose, The Serpent of Division qui repose, lui aussi, sur un exemple antique pour dénoncer les crimes de la guerre civile. Il utilisa, en effet, le conflit entre César et Pompée pour mettre en garde contre les querelles fratricides. L’Histoire était ainsi un bon moyen d’établir des parallèles et de montrer les voies à suivre pour donner une chance à la paix.