Colloques en ligne

Laurence Boudart

De l’héritage du passé aux enjeux de demain : les collections audiovisuelles des Archives et Musée de la Littérature

From the heritage of the past to the challenges of tomorrow: the audiovisual collections of the Archives and Musée de la Littérature in Brussels

1« Certains chassent les tigres ou les papillons. M. Hellyn chasse les voix. Il les emprisonne dans le ruban d’un magnétophone, puis conserve soigneusement le document au plus profond d’un grand coffre, à l’épreuve de la poudre et des flammes. » (Caso, 1957) Avec une formulation quelque peu lyrique, ces mots du journaliste Paul Caso invité à présenter, en 1957, les activités du Musée belge de la Parole, reflètent toutefois bien ce que s’occuper de patrimoine audiovisuel veut dire. S’attelant à la tâche paradoxale de conserver l’éphémère, le « chasseur de voix » emploie des moyens techniques, voire technologiques, pour capturer des morceaux de vie et les rendre disponibles pour les générations futures. Il revient ensuite aux institutions patrimoniales et aux centres d’archives, lorsque ceux-ci s’occupent de documents audiovisuels, de les sauvegarder et les valoriser dans un esprit de service rendu à la collectivité.

2Les Archives et Musée de la Littérature ont reçu de la part des pouvoirs publics – la Fédération Wallonie-Bruxelles – la tâche fondamentale de rassembler, conserver, cataloguer et mettre en valeur tous les documents, quel que soit leur support, relatifs à la littérature et aux arts de la scène en Belgique francophone. Parmi leurs objectifs patrimoniaux se trouve donc celui de rassembler les archives les plus variées et pertinentes possibles. Celles-ci contiennent des documents manuscrits ou imprimés, des photos, des œuvres d’art, des objets, ainsi que des documents audiovisuels. Si les archives sonores et audiovisuelles peuvent bel et bien être considérées comme faisant partie intégrante du patrimoine littéraire, la question de leur préservation, de leur valorisation et de l’ensemble des enjeux qu’elles impliquent pose néanmoins des problèmes liés au médium, aux supports de conservation et aux conditions de leur production, qui diffèrent sensiblement des autres types d’archives.

3Bien que les conditions d’enregistrement, de reproduction et de diffusion aient grandement évolué depuis 1958, année de création des AML, force est de constater que la philosophie qui a présidé alors à la constitution d’un patrimoine audiovisuel de la littérature n’a guère changé. C’est ce que la première partie de cet article d’attachera à montrer, en faisant retour sur les origines de ce secteur d’activités en Belgique francophone. Ensuite, il s’agira de montrer comment l’institution a envisagé – et continue de le faire – la conservation et la production d’archives audiovisuelles, sans perdre de vue ses objectifs fondamentaux. Enfin, une troisième partie abordera les défis que posent le présent immédiat et l’avenir plus ou moins proche.

Les collections audiovisuelles des AML : historique de constitution et principaux fonds

4Les collections audiovisuelles des AML doivent beaucoup à un homme visionnaire, enthousiaste et dynamique : Paul Hellyn (1923-1978). En 1951, sept ans avant la création des AML, ce docteur en droit et journaliste s’associe à la création de la première Maison de Jeunes de Belgique, dont il devient directeur du ciné-club. Ambitionnant de présenter des productions cinématographiques et documentaires à la jeunesse bruxelloise de l’après-guerre, Paul Hellyn ne ménage pas ses efforts pour proposer une programmation à la fois divertissante et éducative, double objectif qui guidera durablement sa carrière. C’est dans ce contexte qu’il découvre, un peu par hasard, le monde particulier du son. Hellyn raconte son premier contact avec un appareil enregistreur : « Madame Hannaert [présidente de la Maison des Jeunes] mit à ma disposition, sans se douter du redoutable cheval qu’elle me faisait enfourcher, un appareil d’enregistrement. Je fus aussitôt atteint d’une sorte de fièvre microphonique… dont je ne devais pas guérir. » (Hellyn, 1954) Suit alors un événement plus décisif encore pour sa vocation : Serge Young, alors rédacteur en chef du Journal des Beaux-Arts, lui propose d’enregistrer l’entretien que l’écrivain et journaliste Jean Tordeur compte mener avec Charles Plisnier, premier prix Goncourt belge (1937). Le virus sonore s’empare alors décisivement de Paul Hellyn.

5L’année suivante, le poète et romancier Albert Ayguesparse prend contact avec celui qui s’est aussi essayé à l’écriture de pièces radiophoniques et à la poésie : « Mes amis de la Biennale de Poésie sont à la recherche de quelqu’un qui pourrait enregistrer, au cours de manifestations qui se tiendront à Knokke, des discours, des interventions et surtout des poèmes dits par les meilleurs poètes présents. Je sais que c’est une expérience à laquelle vous vous êtes déjà livré » (Ayguesparse, 1952) Alors qu’il est déjà occupé à dynamiser le versant sonore de la poésie – notamment en gravant à la demande des disques comprenant des poèmes récités par les auteurs qui gravitent dans l’orbite du Journal des Poètes1 Paul Hellyn saisit cette occasion pour capter un maximum de voix de poètes. Il ramène, « le cœur débordant d’enthousiasme » (Hellyn, 1954), une cinquantaine d’enregistrements de son séjour sur la côte belge. Cette manifestation sera déterminante dans la constitution du futur Musée belge de la parole, envers lequel les autorités du pays marquent un intérêt de plus en plus appuyé2.

6Hellyn deviendra un habitué de ces rencontres internationales qui condensent en quelques jours un grand nombre de personnalités littéraires. Les liens plus étroits qu’il entretient avec certaines d’entre elles (songeons en particulier à Michel de Ghelderode) lui permettent de s’imposer comme un référent dans le petit monde littéraire belge. Grâce aux séances organisées par Le Journal des Poètes, le PEN Club, les Midis de la Poésie et d’autres initiatives liées à la promotion de la littérature, sa collection s’enrichit encore. En 1955, les efforts menés en faveur de la création d’un Musée de la Parole paient enfin : celui-ci prend ses quartiers à la Maison des Arts de Schaerbeek, où s’est installée la Maison internationale de la Poésie, émanation de l’équipe du Journal des Poètes. Le tout jeune musée compte déjà à ce moment-là plus de 300 voix enregistrées.

7Très vite, Hellyn ne se contente plus d’une perspective de collecte et de conservation. Sensible au potentiel de transmission d’un savoir sur la littérature que contiennent les archives sonores qu’il rassemble, il se sert du répertoire ainsi constitué pour créer d’authentiques montages audiovisuels, grâce auxquels il assure des animations dans des centres culturels et d’autres lieux. Ainsi naît la série « Voix et images », mêlant enregistrements sonores et montages photographiques, dont se charge Nicole Hellyn, l’épouse de Paul. Le premier spectacle est joué en mars 1956 : Hellyn est qualifié de « magicien des voix et des images » (Norin, 1956). Les activités de médiation se poursuivent à un rythme effréné – les archives conservées dans la Fonds Paul Hellyn aux AML nous le prouvent à souhait –, qu’il s’agisse de conférences, de rencontres, de débats, de spectacles, d’interviews dans la presse généraliste ou spécialisée. Toutes les occasions semblent être bonnes pour « restituer par [d]es documents sonores comme par [d]es projections, un vrai tressaillement de vie. » (Plisnier, 1956) Une brochure publiée en 1957 à l’initiative du Musée de la Parole détaille la composition des collections :

1.) Anthologie sonore de la Maison Internationale de la Poésie […] commencée et continuée grâce à l’aide du Journal des Poètes et de la Maison Internationale de la Poésie dirigés par P. L. Flouquet et Arthur Haulot […] ;

2.) Constitution d’archives sonores sur le plan national […] ;

3.) Les productions « Voix et images » du Musée belge de la Parole […] une nouvelle formule de spectacle poétique qui consiste notamment à faire dialoguer l’homme avec les images essentielles de sa vie ou de l’activité qui l’a distingué. (Ministère de l’Instruction publique, 1957)

8Organisée à Bruxelles, l’exposition universelle de 1958 offre au Musée de la Parole une occasion en or pour faire connaitre son travail. En effet, Roger Bodart, responsable du « Salon des lettres » du pavillon belge, propose à Paul Hellyn d’animer un auditorium sonore pour les visiteurs. L’événement lui permet non seulement de mesurer l’effet de ses spectacles audiovisuels sur les visiteurs, mais également, au gré des rencontres avec des invités illustres, de glaner de nouveaux enregistrements. S’il ne reste aujourd’hui aucune trace de ces spectacles dans leur globalité, les archives recèlent toutefois quelques informations à propos des sujets traités, des supports sonores utilisés et des échos suscités dans la presse. Voyons par exemple ce commentaire, dans un article postérieur, datant de 1960 – les réalisations présentées en 1958 devaient être du même acabit : « Une phalange de projecteurs synchronisés et munis de thermostats, un écran à espaces multiples, des jeux de prismes et des transparences forment un arsenal exigeant autant de dextérité que de mise au point technique. » (Sterckx, 1960) En 1960, le Musée déménage au Palais d’Egmont, dans le centre de Bruxelles, et Paul Hellyn se rapproche des Archives générales du Royaume, dont il deviendra attaché en 1962 – signe d’une nouvelle reconnaissance officielle de son action patrimoniale. Les contacts avec l’institution scolaire et avec les théâtres (Rideau de Bruxelles, Théâtre National) se multiplient, tandis que la collecte de nouveaux documents sonores se poursuit. Désormais, Hellyn fait figure de référence non seulement en Belgique mais à l’échelle internationale. En 1967, il participe au Premier congrès mondial des phonothèques nationales, qui se tient à Paris ; en 1972, il en organisera la seconde édition à Bruxelles.

9L’année 1968 voit se croiser les chemins du Musée de la Parole et des Archives et Musée de la littérature (AML). En effet, c’est cette année-là, alors que la Bibliothèque Royale inaugure de nouveaux bâtiments dans lesquels les AML sont hébergés, que le Musée de la Parole intègre de plein droit les collections de l’institution patrimoniale et que Paul Hellyn y est engagé en tant que collaborateur scientifique. Hellyn raconte comment, au début de son installation dans la bibliothèque, il a dû entendre les plaintes de chefs de section peu accoutumés à entendre se répercuter des voix enregistrées, comme sorties de nulle part. Et pourtant, rapidement, le lien entre ce patrimoine sonore en cours de constitution et une institution vouée au livre et à la littérature écrite devient évident. Interrogé sur la valeur de son travail pour la postérité, Paul Hellyn dira : « L’expérience est très positive, surtout depuis que je suis à la Bibliothèque Royale. Le Musée de la Parole sert en quelque sorte de point de départ à la lecture, il ne vise certainement pas à remplacer la lecture mais à aiguiller les gens vers des auteurs et alors toute l’œuvre est à découvrir. Mon but essentiel est d’être un point de départ et pas un point d’aboutissement. » (Leidjens, 1975)

10L’intégration de cette collection sonore unique en son genre dans les archives d’une institution essentiellement vouée jusque-là aux manuscrits et aux imprimés marque sans conteste un jalon important dans la reconnaissance de la valeur des archives sonores pour l’histoire de la littérature en Belgique. En rejoignant des collections plus « nobles », le millier de bandes magnétiques acquiert de facto un statut patrimonial et s’attire l’attention des conservateurs. Les archives relatives au Musée de la Parole montrent ainsi très bien comment les activités de Paul Hellyn continuent d’être soutenues par les AML, qu’il s’agisse de prises de son, d’acquisitions d’archives sonores ou d’actions de médiation auprès du public.

11À côté du fonds historique issu du Musée de la Parole, d’autres ensembles conséquents intègrent les collections des AML à la même époque. Parmi ceux-ci, mentionnons les enregistrements réalisés par Géo Libbrecht, dans le cadre de sa collection de l’Audiothèque, ainsi qu’une série de bandes magnétiques provenant des Midis de la Poésie, deux initiatives de valorisation de la littérature et de la poésie par la voix, nées en Belgique dans le second après-guerre. Créée et financée par le poète Géo Libbrecht en 1955, la collection de l’Audiothèque combine environ 200 enregistrements et presque autant de petits fascicules monographiques, que les AML conservent. Quant aux Midis de la Poésie, créés en 1949 à Bruxelles à l’initiative de Sarah Huysmans et Roger Bodart, les archives sonores qu’en possèdent les AML ne sont pas complètes mais un programme de partage de ressources est envisagé, dont l’objectif final consiste à mettre en commun les archives sonores détenues par les uns et les autres, afin de les décrire et de les numériser.

Création d’archives sonores et vidéos : les AML deviennent producteurs

12Conscients du potentiel patrimonial et scientifique des archives sonores tout autant que de leur aspect moderne, les AML se dotent en 1974 d’une « Section audiovisuelle » autonome. Au début des années 1980, soutenue par la volonté de s’ouvrir au public scolaire, la production sonore s’enrichit d’une dimension visuelle encore plus marquée. Ainsi, à côté des montages combinant enregistrements sur mesure et diapositives, héritiers des spectacles « Voix et images », l’institution se lance-t-elle dans la réalisation de vidéos destinées à promouvoir la littérature belge. Sous la houlette de Jean-Paul Lavaud, les AML produisent une série de documentaires : Surréalisme en Hainaut (1984)3, Un atelier de lecture avec Claire Lejeune (1984)4, Connaissez-vous Michel de Ghelderode (1986)5 figurent parmi les dizaines de titres de ces montages d’entre 25 et 40 minutes, à claire vocation didactique. Depuis lors, dans le sillage ouvert par Paul Hellyn et Géo Libbrecht, les AML ont continué à alimenter la collection initiale à travers une activité propre de captations, d’abord uniquement sonores puis audiovisuelles, selon l’évolution des moyens techniques disponibles. Des traces de la vie culturelle et littéraire se trouvent ainsi captées et conservées, des entretiens sont réalisés par le personnel scientifique des AML, des moments de rencontres ou de débats saisis pour la postérité, des documentaires imaginés et réalisés.

13Un autre domaine couvert par les AML concerne plus spécifiquement le théâtre. Dans un premier temps, l’institution avait décidé de développer une politique de captations photographiques de spectacles d’auteurs belges (activité toujours pratiquée aujourd’hui). Ainsi, entre 1978 et 1994, quelque 200.000 diapositives pour environ 250 spectacles ont été tirées. Encouragés par ces résultats, les AML décident ensuite d’élargir la captation photo à la captation vidéo, opération qui débute par des reconstitutions en studio. À partir de 1989, les enregistrements sont réalisées pendant la représentation des spectacles. Aujourd’hui, les AML comptent dans leurs archives plus de 200 spectacles captés par leurs soins et poursuivent cette pratique à raison d’une moyenne de cinq spectacles par saison. Après avoir été intégralement enregistrés à l’aide de trois caméras, les spectacles sont montés en interne afin d’offrir un produit fini et de qualité, propre à devenir une archive. Il ne s’agit donc pas d’offrir un montage apte, par exemple, à servir les intentions promotionnelles de la compagnie ou du théâtre concernés, ni même à être diffusé à la télévision (encore que ce dernier point fait régulièrement l’objet de discussions), mais bien de créer une archive de la vie des arts de la scène belge francophone. C’est pourquoi le montage veille à prendre en compte les intentions dramaturgiques, les effets de la mise en scène, l’accent mis sur le texte, etc.

14Depuis 2018, à côté des documentaires et des captations intégrales, les AML réalisent également des capsules vidéo plus brèves (maximum 1 minute), destinées à mettre en lumière un événement ou l’actualité d’une personnalité. Il ne s’agit, encore une fois, pas de produire des supports publicitaires à l’instar des vidéos réalisées par les théâtres ou les maisons d’édition par exemple, mais bien de saisir un moment en images. Ces capsules constituent des productions à part entière. même s’il arrive que certaines d’entre elles sont extraites d’un document audiovisuel plus long. Impliquant en amont d’élaborer une narration, développant une écriture scénaristique propre et un langage dynamique, ces capsules sont postées sur la page Facebook des AML.

Description archivistique, conservation et classement

15Lorsqu’un centre d’archives reçoit un document audiovisuel, une question essentielle se pose : s’agit-il d’un original ou a-t-on affaire à une copie ? Bien que cette question contienne des implications différentes, dans le cas du matériel audiovisuel, par rapport à d’autres domaines, il n’empêche que l’on peut et doit faire la différence entre, par exemple, une émission de télévision qu’un écrivain aurait enregistré directement depuis son téléviseur et qu’il aurait conservée, et cette même émission proposée sur un support professionnel, fournie par la chaine de télévision ou la société de production. Si, d’un point de vue technique, les deux documents sont des copies, il n’en demeure pas moins que leur statut est différent quant au producteur de l’archive. Dans le premier exemple donné, le producteur est l’auteur, qui se limite à garder une trace de l’émission, tandis que le second cas présuppose un producteur d’archive qui se superpose au producteur/créateur/réalisateur/auteur. Et quand bien même il s’agirait d’une copie, au contenu passablement dégradé, celle-ci est peut-être la dernière trace disponible... Si l’on se place dans la seule optique de consultation, ce questionnement peut sembler totalement futile, mais dans une perspective archivistique et documentaire, elle revêt une dimension fondamentale puisqu’on ne donne pas la même valeur à un document unique qu’à une copie. Face à la masse de documents que reçoit un centre d’archives, il s’avère indispensable d’opérer un tri, si l’on veut éviter de se retrouver submergé par des quantités intraitables. Dans le cas des documents audiovisuels, l’une des premières questions à se poser est bel est bien celle de la disponibilité ou non d’autres exemplaires du document proposé. Ce critère entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit de prioriser le traitement des fonds et, au sein de ceux-ci, d’attribuer un statut aux documents audiovisuels.

16Une des difficultés inhérentes aux archives constituées par les documents sonores et audiovisuels tient à la multiplicité des supports de conservation, que ceux-ci soient analogiques ou numériques. Outre le fait de devoir veiller à des conditions atmosphériques adéquates, cela suppose de pouvoir disposer d’une série d’appareils capables de lire, et éventuellement de copier ces différents supports. À ce titre, de véritables strates historiques composent les collections audiovisuelles des AML, dont l’exploitation n’est possible qu’après numérisation.

17Dans le but de faciliter la recherche à partir des archives audiovisuelles que conservent les AML, il s’agit encore de veiller à assurer la qualité des métadonnées et d’aligner ceux-ci sur des standards internationaux. Normaliser et garantir l’orthographe de tous les intervenants, distinguer l’intervieweur de l’interviewé, indiquer la date, le lieu, le contexte et la durée de tel ou tel enregistrement, ajouter des mots-clés, préciser qui détient les droits figurent parmi les exigences essentielles à l’heure de décrire ces documents… ces tâches requièrent à la fois de la minutie et de la précision. mais également une bonne connaissance de la matière traitée. en l’occurrence l’histoire de la littérature et celle des arts de la scène en Belgique. Ces informations relèvent parfois du véritable jeu de pistes et nécessitent au moins une écoute intégrale de chaque document. Ce travail demande un temps considérable aux archivistes chargés d’établir les métadonnées, en plus d’une expérience qui ne s’acquiert qu’au terme de longues heures d’écoute. Afin de mettre à profit les connaissances pointues que d’autres possèdent, notamment des chercheurs, des expériences de crowdsourcing ont été initiées, consistant à faciliter l’accès à des enregistrements pour un chercheur, en échange de quoi celui-ci établit certaines métadonnées relevant du contenu des bandes sonores.

Préparer l’avenir

18La numérisation des collections audiovisuelles permet, on le sait, à la fois de sauvegarder le contenu d’un support menacé par l’obsolescence (le sien propre ou celui des machines à même de le lire) et de disposer de ce même contenu sous un format numérique. La numérisation facilite le traitement informatique et l’accès au document. et elle permet aussi une duplication rapide et efficace, sans perte de qualité ni d’information. Depuis environ vingt-cinq ans, les AML mènent une politique active de numérisation de leurs collections. Ils ont fait le choix de confier l’essentiel de la numérisation de leurs fonds sonores à un ingénieur du son travaillant en interne, afin de pouvoir répondre aux demandes ponctuelles le plus rapidement et efficacement possible, tout en gardant le contrôle sur les procédures et les flux de travail. Pour ce qui concerne les archives audiovisuelles filmées, c’est le choix inverse qui a été pris : celui de l’externalisation, même si les AML gardent le contrôle sur le montage postérieur qui en découle. Il s’agit dans ce cas de confier à un prestataire extérieur le document que les AML décident de faire numériser, l’institution ayant préalablement défini sa politique en fonction de critères objectivables (disponibilité du document ailleurs ou non, rareté, danger d’altération du support de conservation, titularité des droits par les AML ou par autrui, notamment). Cette différence s’explique entre autres par le nombre important de documents sonores présents dans les collections des AML, mais également par des choix stratégiques passés dont l’institution a hérités.

19Comme toute structure mettant en œuvre un projet de numérisation, les AML procèdent, méthodologiquement, à une sélection des documents à traiter. Il importe pour cela de bien connaitre les fonds, mais également d’identifier les types de supports prioritaires, en fonction de leur état de conservation et de la disponibilité des machines de lecture. En tant qu’institution patrimoniale, les AML s’interrogent en permanence sur leurs pratiques et évaluent leurs choix afin de garantir les meilleures conditions de conservation et de mise à disposition des archives audiovisuelles. Bien que soucieux de la conservation pérenne des collections littéraires et théâtrales qui leur sont confiées, les AML ne souhaitent pas devenir un sanctuaire de voix et d’images. Il leur importe donc d’assurer non seulement l’accès aux collections audiovisuelles mais également d’en encourager la valorisation. Or celle-ci est limitée par des contraintes, d’ordre technique d’une part, juridique de l’autre. Les contraintes techniques peuvent être levées pour l’essentiel, comme nous l’avons vu, grâce à la numérisation. En revanche, celles liées aux conditions juridiques d’utilisation demeurent souvent problématiques puisque les AML ne disposent pas des droits de diffusion de la plupart des archives audiovisuelles qu’ils conservent. Si la consultation sur place reste toujours possible pour tous les profils d’utilisateurs, la mise à disposition d’archives en accès ouvert en ligne ou bien via une consultation sécurisée à distance est quant à elle soumise à des autorisations et comportent le plus souvent des frais. Il est fréquent que des utilisateurs potentiels soient frustrés par le refus que nous devons formuler quant à un accès libre à distance.

20Afin de valoriser néanmoins ces collections d’un genre particulier tout en respectant les prescriptions légales, les AML ont créé deux pages web sur des plateformes de diffusion. Sur Youtube, les AML proposent des contenus filmés en formats teasers quand les droits ne sont pas acquis par l’institution, et en intégralité lorsqu’ils le sont. Cette solution permet de montrer, par exemple, des extraits choisis des captations de théâtre, tout en préservant l’intégrité des droits. Quant aux archives sonores, elles bénéficient d’une valorisation sur la plateforme Soundcloud, par le biais d’un extrait significatif, d’une durée d’une minute environ. Dans les deux cas, cette valorisation comporte un important travail d’éditorialisation, qui présuppose, en amont, une connaissance approfondie de l’archive proposée.

Potentiel et perspectives

21Depuis quelques années, les AML ont mis un place une méthodologie de travail et un protocole strict de description de leurs archives audiovisuelles. Quatre personnes – un ingénieur du son, une vidéaste, une archiviste « classique » et un archiviste numérique – sont chargées de ce pôle essentiel des collections de l’institution. À terme, il s’agit de pouvoir disposer de toutes les métadonnées concernant ces documents et d’en avoir numérisé un nombre significatif. Depuis la mise en place de ce nouveau processus et l’entrée d’un plus grand nombre de documents dans le catalogue en ligne, les demandes de consultation de ces sources ne cessent de croître, en particulier celles qui concernent les archives sonores. Leur potentiel pour la recherche en littérature semble donc indéniable.

22À l’avenir, les AML souhaitent non seulement poursuivre ce travail de description et de numérisation des fonds d’archives. mais également encourager les partenariats visant notamment à permettre une plus grande mutualisation dans le contexte de la transition vers le tout-numérique. En parallèle, en tant qu’institution scientifique, les AML demeurent sensibles à tout projet d’exploitation des archives audiovisuelles qu’ils conservent, ainsi qu’à la création de nouveaux supports destinés à nourrir la critique et l’histoire littéraire, prolongeant ainsi la tradition initiée il y a plus de 70 ans par Paul Hellyn.