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Voix et voyance de l'enfance (Univ. du Québec à Montréal)

Voix et voyance de l'enfance (Univ. du Québec à Montréal)

Publié le par Université de Lausanne (Source : UQAM)

"Voix et voyance de l'enfance" 

2 mai 2019

Université du Québec à Montréal

 

« J'ai la nostalgie du pain de ma mère,

Du café de ma mère,

Des caresses de ma mère...

Et l'enfance grandit en moi,

Jour après jour »

Mahmoud Darwich, « À ma mère »

 

La trame temporelle est mise à rude épreuve dans de nombreux récits littéraires, laissant parfois le passé déborder sur le présent. Ce temps révolu qui sort de ses bornes prend souvent la forme de l’enfance. Surgissement d’un autre temps, elle offre alors un nouvel éclairage sur un présent de la maturité.

Lorsqu’il s’agit de récit d’enfance, les genres littéraires paraissant les plus propices sont probablement l’autobiographie et l’autofiction. L’auteur.e se trouve alors au centre des événements restitués dans un récit où les discontinuités peuvent être gommées. De la naissance au jour présent, tout concourt, nous fait-on croire, à assembler les morceaux de l’être complexe que l’on est devenu. L’autobiographie ou l’autofiction comme généalogie de l’identité, c’est donc une explication des causes de soi, un temps construit avec une finalité. On évoque ses parents, son enfance, son passé, à travers le prisme de l’âge avancé d’un personnage ou de la position d’auteur.e. Or, cette promesse d’un moi unifié menace de voler en éclats face aux contradictions que l’écriture fait émerger.

La fiction romanesque n’est pas en reste. Les réminiscences du passé prennent de multiples formes : passé-explicatif qui façonne le présent, passé-voyant qui programme ou annonce le futur, enfance qui ressurgit volontairement ou involontairement dans la mémoire ou dans l’écriture, etc. Disséminée dans le récit, l’enfance joue avec le sens, les mots et l’identité des personnages.

Pour Jacques Cardinal, « [l’]enfance ressemble […] à un palimpseste – surface où s’entremêlent deux écritures – où l’écriture apparemment seconde se donne à lire comme le dévoilement et le voilement simultanés d’une mémoire tout à la fois perdue et retrouvée » (Cardinal, 1999 : 34). En ce sens, l’enfance reste énigmatique et semble nécessiter maints artifices pour sa compréhension, poussant le sujet à y revenir tout au long de son existence et à sans cesse en reconfigurer l’écriture.

Nous nous interrogerons donc sur les modalités de ces résurgences de l’enfance. Quelles sont leurs formes? Comment s’intègrent-elles dans la trame narrative et l’architecture du texte? Les retours de l’enfance sont-ils toujours la marque d’une nostalgie? Qu’est-ce que l’enfance passée dit du présent, mais aussi du futur?

Nous invitons les chercheuses et chercheurs à interroger ce surgissement de l’enfance sans restriction de corpus, de genre littéraire, d’époque ni de méthode. Nous suggérons quelques axes de réflexion non exhaustifs afin de guider les propositions de communication.

Paysages extérieurs, paysages intimes

L’enfance est parfois profondément ancrée dans des espaces géographiques particuliers : l’Algérie (Nina Bouraoui), la campagne paysanne auvergnate (Jules Vallès), la Russie (Nathalie Sarraute), l’île Maurice (Barlen Pyamootoo), la forêt québécoise (Anne Hébert), etc. Ces paysages extérieurs ont le pouvoir de façonner les paysages intérieurs. Grandir est alors synonyme de déracinement et de nostalgie de lieux perdus. Continuité et discontinuité entre extérieur et intérieur entrent en tension : comment le paysage de l’enfance forge-t-il les espaces intérieurs de l’être? Y a-t-il une équivalence entre l’espace géographique de l’enfance et la période temporelle qu’elle représente? Quel rôle jouent ces lieux hybrides dans la construction de l’identité?

Quand le passé fait le présent

L’enfance peut s’intercaler dans le récit adulte à des moments inattendus et charnières. Les impasses des personnages suscitent parfois des moments d’hésitation où l’enfance peut offrir des repères qui influencent la trajectoire.

Comment le retour de l’enfance favorise-t-il ou empêche-t-il la vie de l’adulte? Que l’on s’attarde à la mémoire des personnages adultes (réminiscence ou mémoire volontaire) ou à la représentation des enfants au sein du récit, on pourra cerner l’apport de la période de l’enfance à l’ensemble du récit ou à un personnage spécifique. L’enfance est-elle un temps clos, isolé? Déborde-t-elle sur le temps de l’adulte qui souhaiterait la borner?

La langue de l’enfance

Le déploiement d’une voix, quelle qu’elle soit, suppose un espace énonciatif. Nous pensons par exemple à W ou le souvenir d’enfance de Georges Pérec, à l’œuvre d’Annie Ernaux ou à celle de Christine Angot qui font alterner les voix de l’enfance et de la maturité. Entre les relais et les tensions, l’espace énonciatif s’enrichit et suggère plus de complexités que celles avouées d’emblée par la narration.

Comment l’espace textuel propre à l’enfance se meut-il parmi d’autres, ou comment donne-t-il forme au récit? La voix de l’enfance donne-t-elle lieu à un véritable récit d’enfance ou à une forme de discours nouveau? Comment les marqueurs de l’énonciation tracent-ils les contours de l’enfant, ou du sujet qui émerge dans l’espace de l’enfance?

La socialisation du corps

L’enfance, en tant que période charnière des apprentissages et des acquis, peut être vue comme un moment où le sujet est grandement susceptible aux influences extérieures. La psychanalyse et l’ethnocritique sont deux approches critiques qui peuvent nous permettre d’appréhender dans la littérature le rapport de l’enfance tant à la famille qu’aux traditions de la communauté. Pour la psychanalyse, l’enfance est la période complexe du développement de la psyché et de la gestion des désirs dans un schéma familial. Pour l’ethnocritique, il s’agit plutôt d’une phase de domestication du corps dans l’optique de le civiliser.

Dans les deux cas, l’enfant se définit par les modèles qu’il voit, les désirs qu’il restreint ou les signes et les récits dans lesquels il baigne. Il devient donc intéressant de voir comment la tradition et/ou la symbolique familiale investissent le récit et lui donne une épaisseur insoupçonnée.

Comment affectent-elles la construction identitaire des protagonistes? Quels problèmes occasionnent-elles (maladies mentales, gestion collective du corps, refoulement  ou formation de pulsions, etc.)? Comment se construit ou se rompt le lien entre l’individu et le social? Quels effets ont les institutions sur l’enfant par leur prise en charge?

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MODALITÉS DE SOUMISSION

Les communications auront une durée de vingt minutes et seront suivies d'une période de discussion. Les propositions - titre et résumé d’une page maximum, accompagnées d’une brève notice biobibliographique sont à envoyer avant le 28 janvier 2019 à l’adresse électronique du comité étudiant Figura : comiteetudiant.figura@gmail.com 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Cardinal, Jacques, « Présentation : rêver l’enfance », dans Rêver l’enfance. Littérature et psychanalyse, Voix et Images, Montréal, Université du Québec à Montréal, vol. 25, no 1, automne 1999, p. 33-35.

Darwich, Mahmoud, La terre nous est étroite et autres poèmes, 1966-1999, Paris, Gallimard, « Poésies », no 343, 2008, 388 p.