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Valeurs locales convertibles : enjeux internationaux de l’histoire littéraire nationale (Cluj-Napoca)

Valeurs locales convertibles : enjeux internationaux de l’histoire littéraire nationale (Cluj-Napoca)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Adrian Tudurachi)

Valeurs locales convertibles : enjeux internationaux de l’histoire littéraire nationale

Congrès international d’histoire littéraire

11-12 mai 2018, Cluj-Napoca

Université « Babeș-Bolyai», Faculté des Lettres

En partenariat avec l'Académie Roumaine, Institut de Linguistique et d’Histoire Littéraire « Sextil Pușcariu »

L’histoire littéraire, « enterrée » plusieurs fois à travers le XIXe siècle, contestée à cause de son imprécision méthodologique, successivement ombragée par la théorie littéraire et par le comparatisme, revient dans l’actualité. Ce n’est pas par accident que l’essai de Franco Moretti, Graphs, Maps, Trees: Abstract Models for a Literary History, l’une des recherches littéraires contemporaines les plus influentes et les plus novatrices, la mentionne dès le titre. Si on ne peut pas parler d’un programme unitaire, comme c’était auparavant le cas pour le projet positiviste de l’histoire littéraire lansonienne, on peut quand même constater la riche déclinaison de la gamme d’« historicités » de la littérature. Il y a de diverses directions de réflexion, telles que l’analyse de l’éthos national (Jérôme Meizoz), la sociologie de la singularité créatrice (Nathalie Heinich) ou l’approche de l’imaginaire linguistique et stylistique de la langue littéraire (Gilles Philippe), qui sont investies dans la reconstitution de quelques régimes historiques des réalités littéraires et sociales.

Plusieurs tendances ont contribué à ce revirement de l’histoire littéraire : l’assimilation, dans presque tous les domaines de la réflexion littéraire, de la perspective historicisante de Michel Foucault sur les « archives » et les grammaires des discours ; la redéfinition sociologique de la recherche littéraire et l’orientation vers l’étude des phénomènes institutionnels, visible dans les histoires nationales (Alain Viala), mais aussi dans les histoires transnationales (M. Cornis Pope – J. Neubauer) ; l’intégration de la littérature dans des amples historicités économiques ou politiques et la réceptivité des études littéraires à l’interprétation des systèmes-monde (Immanuel Wallerstein) ou à l’histoire conceptuelle (Reinhart Koselleck) ; l’enregistrement temporel des valeurs affectives véhiculées par les œuvres littéraires par l’exploration, dans des cadres historiographiques (Ute Frevert), du domaine des émotions et des passions collectives. Mais, en essence, la réhabilitation de l’histoire littéraire est fortement liée au dépassement du complexe d’illusions et de mythes créés autour de la Littérature et de sa singularité : plus les pratiques et les institutions de la littérature sont restituées au cadre social et culturel dont elles font partie, plus la démarche historique devient non seulement plausible, mais inévitable. L’histoire littéraire redevient l’étude de ce que Boris Eichenbaum appelait « le fait littéraire », en tant qu’ancrage multiple dans les horizons de la vie sociale, dans l’articulation complexe de la littérature, de la culture, de la politique et de l’existence.     

On revient maintenant à l’histoire littéraire pour sa capacité de rappeler, à partir de l’historicité des objets de la littérature, leur emplacement à l’intersection de plusieurs perspectives méthodologiques et disciplinaires. Plus qu’une définition d’un inventaire limité de préoccupations et de thèmes de recherche, l’histoire littéraire représente aujourd’hui un espace de rencontre, l’une des plus ouvertes intervalles de communication avec d’autres modalités de connaissance du domaine humaniste dont les études littéraires disposent. Ce qu’on se propose de constituer à Cluj, c’est une plateforme de débat de l’historicité de la littérature, à l’aide de laquelle on encourage le contact des études littéraires avec d’autres disciplines concernant la dimension historique des réalités sociales (histoire, anthropologie, sociologie, etc.), et, en même temps, on aborde la superposition régionale des « temporalités » impliquées par l’interférence de plusieurs cultures littéraires. En prolongeant la double tradition de la réflexion littéraire transylvanienne, définie par le caractère multiculturel et par l’orientation historisto-positiviste, on veut ouvrir, sous le signe de l’histoire littéraire, un espace de dialogue des cultures et des disciplines, dans lequel on réunit des chercheurs roumains et étrangers, appartenant à toutes les aires de la recherche humaniste.

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La première édition de la manifestation est dédiée au projet de D. Popovici (1902-1952), professeur de la Faculté d’Histoire et de Philosophie de Cluj entre 1936 et 1952, d’écrire une histoire littéraire nationale en langues étrangères. Réalisées dans le contexte de la dislocation de l’Université de Sibiu pendant la Seconde Guerre mondiale, ses études étaient le résultat d’une série d’expériences intellectuelles de l’entre-deux-guerres, qui impliquaient la nouvelle histoire littéraire, mais aussi les premières formes disciplinaires du comparatisme européen. Etant en opposition avec le modèle de l’histoire littéraire nationale, en tant que vaste construction fermée autour d’une spécificité complète et non-communicable, les synthèses de D. Popovici offraient une représentation intégralement convertible en catégories et valeurs occidentales des faits historico-littéraires autochtones. A partir de la biographie intellectuelle de cette figure fondatrice des études littéraires dans l’Université de Cluj, on propose une réflexion sur l’échange de valeurs entre le national et le transnational dans le domaine de l’histoire littéraire.

 

1. Premièrement, on est intéressé par les contextes qui ont rendu possibles de tels projets intellectuels, les facteurs « favorisants » pour la redéfinition transnationale d’une histoire nationale. On parle ici des évolutions qui ont marqué – pendant l’entre-deux-guerres – le champ des études littéraires et de la possibilité épistémique d’un comparatisme « dans le national » ; mais aussi de la coïncidence établie entre la conjoncture historique dramatique, la Seconde Guerre mondiale, et l’abondance des projets historiographiques. Comme dans le cas du comparatisme, favorisé, par ricochet, par la nazification de la société allemande et par l’exil des philologues juifs en Turquie ou aux Etats-Unis, on peut se demander comment la guerre a stimulé et accéléré la cristallisation des synthèses historiographiques dans le champ de la littérature, mais aussi dans celui de l’histoire.  

 

2. En second lieu, cette approche permet une problématisation de la « traduction »/ « de l’export » des histoires littéraires nationales. Cette sphère de réflexion intègre le rapport entre les valeurs « nationales » et les valeurs « universelles », essentiel pour la définition de l’éthos des historiens littéraires et pour la cristallisation de l’articulation entre l’éthique et l’esthétique dans les cultures périphériques. On place sous le même signe les nombreux projets d’histoire nationale qui ont été réalisés ou pensés à l’étranger : de la collection multinationale d’histoires littéraires conçue, pendant l’entre-deux-guerres, par Paul Valéry, jusqu’aux histoires réalisées par des écrivains exilés pendant le communisme et jusqu’aux synthèses contemporaines d’histoire nationale réalisées par les savants de la diaspora. Tous ces cas impliquent les stratégies d’égalisation – traductions, transpositions, analogies –, mais aussi une interrogation plus générale sur les catégories importées ou conçues afin d’être exportées. Quelles sont les histoires littéraires – occidentales, régionales – qui servent comme modèle pour les histoires nationales ? En quelle « langue » traduit-on les réalités locales ? 

 

3. Finalement, le thème du congrès ouvre aussi une discussion sur les échanges contemporains entre les études littéraires transnationales et les histoires nationales. Quels effets la globalisation des études littéraires produit-elle sur l’histoire littéraire nationale ? Cette question concerne l’influence que le comparatisme a exercée et continue d’exercer sur la conception actuelle de l’histoire littéraire. Le dépassement de l’interprétation « holistique » des faits littéraires, en tant que partie d’un entier organique et complète, c’est uniquement l’une des acquisitions que l’histoire littéraire nationale doit à l’assimilation des perspectives globalisantes. Mais la question peut être également posée de manière inverse, de l’histoire littéraire nationale vers les modalités de connaissance transnationale des faits littéraires. L’histoire littéraire nationale n’est pas uniquement un réservoir de données brutes, utilisées dans les synthèses transnationales, mais aussi le terrain sur lequel la série des faits « littéraires » s’articule avec les séries multiples des faits d’histoire culturelle locale : l’espace des expériences de lecture et de vie, le lieu du débat des valeurs morales et affectives d’une communauté.

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Puisque nous voudrons organiser, en plus des sections du congrès, des ateliers pour les doctorants, nous vous prions de communiquer cet appel à communication aux écoles doctorales et à vos doctorants. Les conditions d’inscription, les frais de participation et le type de proposition de communication restent les mêmes pour les doctorants.

On attend vos propositions de communications jusqu’au 1er décembre 2017 (données sur l’auteur, affiliation institutionnelle, coordonnées de contact, titre de la communication proposée et un résumé (max. 500 signes), tout cela dans un fichier au format doc, docx ou rtf), à l’adresse istorielit.ubbcluj@gmail.com. Les langues de communication du congrès seront l’anglais, le français et le roumain. La décision du comité scientifique sera communiquée individuellement à chacun, par e-mail, jusqu’au 8 janvier 2018. Les participants devront confirmer leur présence au congrès en remplissant un formulaire type qu’ils recevront et qui devra être envoyé aux organisateurs, par e-mail, jusqu’au 22 janvier 2018.

Les communications présentées feront l'objet de plusieurs publications, en 2018 : deux numéros de revues, Studia Universitatis Babes-Bolyai. Philologia (l’Université « Babeș-Bolyai ») et Dacoromania litteraria  (l’Académie Roumaine), ainsi qu'un volume collectif aux Presses Universitaires de Cluj. Les frais de participation au congrès seront de 200 lei (environ 45 euro). 

 

Au nom du comité d’organisation,

Ioana Bican, Levente Szabo, Adrian Tudurachi