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Ratage, erreur et échec dans les arts de la scène et visuels. Une approche esthétique et économique (Arras)

Ratage, erreur et échec dans les arts de la scène et visuels. Une approche esthétique et économique (Arras)

Publié le par Marc Escola (Source : Maxence Cambron)

Vendredi 13 avril 2018 - Université d'Artois (site d'Arras)

« Vivre, être, créer, c’est errer…Vivent donc les erreurs » — Francis Ponge

 

Ce séminaire, organisé par l’équipe de recherche « Praxis et esthétique des arts » du Laboratoire Textes et Cultures EA 4028, se propose d’engager une réflexion autour du ratage, de l’erreur et de l’échec dans les arts de la scène (théâtre, danse, cirque, marionnette) et les arts visuels (cinéma, photographie, arts plastiques, performance). Au prisme d’une approche esthétique mais également socio-économique, nous espérons ainsi dégager de ces notions quelques pistes nouvelles pour penser les enjeux actuels de la création contemporaine, notamment dans leur friction avec les modèles de réussite diffusés par la « culture » néolibérale.

Face à la prégnance d’une conception occidentale magnifiant l’acte artistique dans un idéal d’ordre et de perfection, l’échec, le ratage ou l’erreur[1] s’imposent comme autant de forces fondamentalement subversives propices à remettre en question notre rapport à l’efficacité, au rendement et à la beauté même. Qu’elles surviennent aux dépens de l’artiste ou soient au contraire provoquées par lui, qu’elles soient conservées dans le secret du processus de création ou mises en jeu dans la relation esthétique, ces forces modifient le geste créateur tout comme elles appellent à reconsidérer son interprétation et avec elle les normes et les attentes traditionnelles en matière de jugement sur la nature et le statut de l’œuvre d’art.

Le premier axe de la réflexion collective que nous ouvrirons le vendredi 13 avril (sic) s’intéressera à l’échec involontaire dans une perspective artistique mais surtout socio-économique. Que se passe-t-il lorsque la « rencontre » avec un public n’opère pas ? Dans un secteur économique largement précarisé, quelles sont les conséquences pour l’artiste en échec ? Quel regard porte-t-on aujourd’hui sur le ratage d’une entreprise artistique ? Tous les artistes sont-ils égaux face à l’échec ? En quoi la menace qu’il représente influence-t-il ou non la recherche artistique actuelle ? Dans quelle mesure le risque de l’échec participe-t-il (encore) de l’écologie et de l’économie du « travail créateur » tel que peut, entre autres, l’analyser le sociologue Pierre-Michel Menger[2] ?

Selon les différents points de vue possibles sur la question (celui de l’artiste lui-même, de son public, de ses critiques ou encore de ses financeurs), on pourra donc tenter de définir les critères objectifs (si, en la matière, l’objectivité peut être de mise) qui permettent de mesurer ou d’expliquer l’insuccès artistique voire l’échec financier et/ou commercial d’un spectacle, d’un film ou d’une œuvre plastique. On pourra également se pencher sur le rôle, voire même le pouvoir, des intermédiaires (médias, réseaux sociaux, bouche-à-oreille…) dans cet aboutissement redouté d’un processus mené par un artiste solitaire ou toute une équipe. Comment les artistes eux-mêmes traversent-ils cette épreuve parfois vécue comme un événement traumatique imprimant la mémoire d’un individu ou d’un groupe ? Dans quelle mesure peut-on constater qu’elle modifie la suite de leur pratique créatrice ?

Le second axe, quant à lui, cherchera à poser les bases d’une esthétique du ratage, entre tâtonnements, tentatives, accidents et sérendipité assumés. Si pour le philosophe Alain, « Penser, c’est aller d’erreur en erreur »[3] - et, pourrait-on, ajouter « créer » -, il s’agira donc ici d’observer la capacité de l’erreur (feinte ou réelle, provoquée ou intégrée au processus artistique) à engendrer une activité créatrice et de l’envisager en tant que figure poétique impactant les corps, les relations, les discours et les dispositifs. En mettant en scène l’erreur / l’échec / le ratage ou en s’appuyant sur leur (possible) survenue, comment les artistes nous proposent-ils de repenser l’inscription de l’homme dans le monde dont le propre (selon le célèbre Errare humanum est) n’est-il pas de capitaliser son expérience sur la somme de ses erreurs ?

Pour aborder ce questionnement, nous pouvons suggérer trois angles d’approche :

* L’erreur / l’échec / le ratage comme motif poétique.

* L’erreur / l’échec / le ratage comme condition de la création.

* L’erreur / l’échec / le ratage comme terrain d’exploration artistique.

Partant de la malicieuse formule d’Edgar Morin, selon laquelle « il y a deux erreurs sur l’erreur, l’une de la surestimer, l’autre de la sous-estimer »[4], nous voudrions donc durant cette journée, par le truchement d’une analyse sociologique et économique du geste créateur et par celui du regard poétique et politique des artistes contemporains, interroger la création comme espace privilégié d’exploration des potentiels émancipateurs de l’erreur et, ce faisant, questionner la place que notre époque confère aux ratages, aux échecs, aux fiascos, aux fours, aux bides et autres foirades…

Les propositions de communication (3000 caractères maximum, espaces compris) ainsi qu’une notice bio-bibliographique sont à envoyer avant le 20 mars 2018 à : maxence.cambron@orange.fr et anne.lempicki@gmail.com.

Les communications seront d’une durée de 30 mn.

 

[1] On veillera à ne pas confondre ces trois termes. Nous appuyant sur leur définition, on postulera en effet qu’une différence de degrés les sépare. Stricto sensu, l’échec signifie le fait de ne pas réussir, de ne pas obtenir quelque chose, et est synonyme de résultat négatif, et généralement d’une certaine gravité, d’une entreprise. Le ratage convoque quant à lui un manquement, le fait de ne pas obtenir le résultat souhaité, sans gravité pour autant. L’erreur, largement employée dans le domaine de la pédagogie, enfin, signifie littéralement le fait d’errer, mais également commettre une faute, et en filigrane, comprend l’idée de correction possible.

[2] MENGER, Pierre-Michel, Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Gallimard/Seuil, 2009

[3] ALAIN, [1932] Propos sur l’éducation, Paris, P.U.F., 1976, p. 85.

[4] MORIN, Edgar, Enseigner à vivre, Arles, Actes Sud, 2014, p. 73. Voir également MORIN, Edgar, « Le jeu de la vérité et de l’erreur », in Université Claude Bernard, L’Erreur, actes du colloque, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1982, p. 113-127.