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Poétique et organique : vers une épreuve du négatif XIXe-XXe s. (ENS Lyon)

Poétique et organique : vers une épreuve du négatif XIXe-XXe s. (ENS Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : ENS de Lyon)

Colloque : Poétique et organique : vers une épreuve du négatif (xixe-xxe-xxie)

Vendredi 12 - Samedi 13 Mai 2017

 

1. À partir d’une certaine doxa romantique concernant l’organique

           L’intuition qui préside à cet appel à communications émerge d’un constat et d’une question. D’une part, donc, le constat d’une certaine doxa concernant la poétique romantique et, partant, un certain effacement de cette même question. La poétique romantique, très largement, se fonderait sur l’idée d’unité organique. L’art, la littérature notamment, ne serait plus uniquement l’imitation, la copie de la Nature dans sa forme, mais l’incorporation de, voire l’union avec, sa faculté formatrice (natura naturans, Bildungsvermögen). D’une autre manière, l’œuvre de l’art se trouve envisagée sur le modèle (non pas extérieur, mais intérieur, lié à la vie en partage entre l’art et la nature) de l’organisme, du corps vivant. L’œuvre d’art s’envisage ainsi comme organique, pour Karl Philip Moritz ou Goethe « avant » le romantisme, pour Friedrich Schlegel ou Schelling du côté allemand, romantique et idéaliste, pour Coleridge ou Shelley du côté anglais, pour Hugo ou Balzac du côté français, entre autres[1]. L’articulation en « ou » indiquant ici, bien sûr, des spécificités disjonctives à l’intérieur d’un mouvement commun. L’affaire serait toutefois entendue, somme toute l’organique fournirait une métaphore utile mais aboutirait à une conception un peu massive et embarrassante de l’œuvre comme tout, indiquant par là une naïveté à évacuer[2]. La doxa que nous désignons correspondrait ainsi à une supposée transparence à elle-même de la poétique organique : l’œuvre envisagée comme force formatrice tirerait une nécessité, une autonomie, une unité de son mouvement vivant. Le romantisme serait « une force qui va », une énergie, un mouvement, apparemment purement affirmatif. Cette doxa est ici un moment heuristique et désigne d’ores et déjà une question : qu’en est-il dans le rapport du poétique à l’organique de toutes ces forces « inverses », ou plutôt de cet autre versant constitutif du vivant qui le destine à la mort ? Autrement dit, qu’en est-il d’une expérience ou d’une épreuve du négatif ?

 

            2. Poétique, organique, épreuve du négatif

            L’intuition soumise ici à réflexion peut se formuler ainsi : dès le romantisme, et qu’il s’agisse de poésie, de roman, de proses autobiographiques ou de textes réflexifs, le lien entre l’exploration poétique et la nature organique de l’œuvre d’art implique des modalités négatives qui vont du moment constitutif d’une dialectique spontanée à de véritables inversions du dynamisme vitaliste, voire à une sortie du rapport à l’organique. « Poétique » désigne ici aussi bien les réflexions, plus ou moins spéculatives selon les auteurs et les aires culturelles, portant sur la nature et les conditions de formation de l’œuvre, que les principes de forme et de sens que l’écriture de l’œuvre fait elle-même advenir. « Organique » désignera l’affinité perçue comme fondamentale entre l’œuvre et un corps vivant. L’organique vient justifier l’œuvre d’art dans sa création. La nature vivante, dont il désigne les caractéristiques, donne à l’œuvre à la fois sa matière (déjà organique), son principe et sa fin. L’ « épreuve du négatif » désignera la crise de l’organicité, en elle-même, et par conséquent comme fondement de l’œuvre. Cette crise, plus ou moins constitutive de l’organicité elle-même, concerne la foi dans la vérité associée à l’organique, à sa garantie d’une unité plus profonde, à son accès, à sa nature même. Un des enjeux de notre intuition étant que, dans et depuis le romantisme, l’idée d’une autonomie de l’œuvre, sur le modèle de l’organisme, est d’ores et déjà mise à l’épreuve en vertu d’une compréhension négative ou polémique de l’organicité même[3].

            La réflexion portera, pour circonscrire un peu un champ de toute façon trop large, sur les textes de poésie, les textes romanesques, l’écriture de soi, les essais de langues européennes, du xixe-xxe-xxie siècles. Il s’agira, de manière privilégiée, des textes relevant, à un degré ou à un autre, d’un certain rapport à l’écriture du vivant, rapport polémique à l’univocité du dynamisme vital.

 

            3. La nature de l’épreuve

            En tant qu’organique, la poétique est caractérisée par son aspiration au Tout, ou encore à l’Un. Ainsi, la poétique se trouve-t-elle reliée aux autres domaines de la vie de manière nécessaire, et non plus extérieure et arbitraire. L’épreuve du négatif concerne donc aussi bien l’organicité du langage, celle de la pensée, celle du sujet, celle de la communauté, celle de l’histoire qui sont, par définition, également en jeu dans la poétique, à des degrés certes divers d’explicitation. Calquée sur le dynamisme vital de l’organique, absolument positif et affirmatif, la poétique ne semble admettre aucun trouble, aucune misère, aucune inquiétude. Même envisagée dans une perspective cyclique, celui de la métamorphose des plantes, si l’on veut, le dépérissement n’est qu’un rouage de l’éternelle génération. Ici, l’écriture et la pensée ne tremblent jamais[4]. Nous avons ainsi repéré ou plutôt désigné trois modalités d’une épreuve du négatif :

celle de la désorganisation, où l’organicité n’est plus seulement une dynamique (vitale) mais un rapport de forces, allant, possiblement, jusqu’à la prédominance de la pulsion de déstabilisation, de déséquilibre, de destruction ; celle de l’affaiblissement, c’est-à-dire non plus le rapport de forces, mais sa fatigue générale, sa maladie, son exténuation, mettant en avant le faible, le mou, le « quasi-sans-vie » ; celle de l’oubli enfin, ou de la perte[5], où la poétique semble sortir de l’organique, et rester pourtant collée à elle, comme anti-organique, cherchant à penser et écrire par exemple la matière brute, ce qui se pose brutalement comme une suspension indéfinie de la dynamique vitale.

 

            4. Perspectives de travail

            Compte-tenu de l’intuition ici présentée et des modalités évoquées, il nous a semblé également utile d’indiquer plusieurs perspectives, très générales, de réflexion, par ailleurs sujettes à questionnement et remise en cause, comme le reste des remarques ici déployées. Elles sont au nombre de quatre, et subordonnées à une permanente perspective poétique :

une perspective critique : elle consisterait à revenir sur et à réévaluer le romantisme d’après l’épreuve du négatif, autrement dit à interroger la stabilité de l’organicisme, aussi bien dans ses textes théoriques que dans ses mises à l’épreuve textuelles. On pourrait ici s’interroger sur les polémiques entre les auteurs, dits romantiques, et sur les moments de ruptures dans leur poétique (par exemple l’ironie byronienne, quand elle tend à se séparer ou à faire trembler le vitalisme shelleyen) ;

une perspective historique : investir le temps long de l’histoire et de la comparaison des poétiques dans leur rapport à l’organique (romantisme, symbolisme, réalisme, modernité, expressionnisme, surréalisme, entre autres) ;

une perspective philosophique : amener à repenser les notions de sujet, d’œuvre, de langage, etc. à la lumière de l’interaction entre création (poïesis) et organique négatif (ou vice-versa : entre l’organique (genesis) et la poétique négative) ;

une perspective politique : interroger la manière dont chaque vision des valeurs de l’organique ou de l’inorganique repose sur (ou donne lieu à) une idéologie politique dont on peut repérer les traces dans la poétique (c’est-à-dire comme domaine séparé et autonome ou au contraire comme le lieu même de la pensée politique de l’organique).

 

            5. Détails pratiques

            Le colloque aura lieu les 12 et 13 mai 2017, à l’ENS de Lyon. Le comité scientifique sera composé d’Eric Dayre et de Anne Gaëlle Weber. Son déroulement s’organisera autour de quelques invités et des personnes ayant répondu à l’appel.

            Les propositions seront à envoyer à l’adresse indiquée (colloquepoetiqueorganique@gmail.com), d’ici le 15 mars 2017, sous la forme suivante : coordonnées, titre de la proposition, description de la proposition d’environ 500 mots (notes non comprises), sans bibliographie particulière, présentation bio-bibliographique contenant les renseignements qui vous semblent pertinent à l’évaluation de votre proposition.

 

[1]Luigi Pareyson, dans Esthétique. Théorie de la formativité, Paris, Éditions Rue d’Ulm, coll. « Aesthetica », 2007, éd. de Gilles A. Tiberghien, résume ainsi ce rapprochement : « En effet, on peut facilement attribuer à la formation d’une œuvre d’art – et on les lui a maintes fois attribués – les caractères d’un développement organique : le mouvement univoque qui, à travers une croissance et une maturation, conduit du germe à la forme accomplie ; la permanence de la forme entière dans chacun de ses stades, si bien que l’accroissement n’est pas une construction qui ajoute et compose, mais une croissance qui va de l’intérieur vers l’extérieur ; la spontanéité du processus, dans lequel il n’y a pas de distinction entre projet, opération et résultat, puisque la forme elle-même se fait en croissant et mûrissant. Ainsi, l’œuvre d’art apparaît comme la maturation d’un processus organique dont elle est elle-même le germe, la loi individuelle d’organisation et la finalité interne : elle existe uniquement une fois qu’elle a été faite de l’unique manière dont elle pouvait être faite. Elle n’est sa propre finalité qu’en tant qu’elle est la raison d’être de sa propre formation, la loi de son propre développement, l’énergie opérationnelle de sa propre croissance, l’artisan interne de sa propre maturation. », p. 92.

[2]On peut ainsi remarquer l’absence d’une entrée « Organisme » ou « Organique », « Vie » ou « Vivant », « Œuvre » même, ou encore une section sur la notion métaphorique de corps, dans l’entrée du même nom, dans le Dictionnaire du Romantisme, Paris, CNRS Éditions, 2012, Alain Vaillant (dir.), 848 p.

[3]Il s’agit, toutes proportions gardées, de secouer un peu la linéarité du récit proposé de la littérature par Michel Foucault dans Les Mots et les Choses : « De la révolte romantique contre un discours immobilisé dans sa cérémonie, jusqu à la découverte mallarméenne du mot en son pouvoir impuissant, on voit bien quelle fut, au XIXsiècle, la fonction de la littérature par rapport au mode d’être moderne du langage. Sur le fond de ce jeu essentiel, le reste est effet : la littérature se distingue de plus en plus du discours d’idées, et s’enferme dans une intransitivité radicale ; elle se détache de toutes les valeurs qui pouvaient à l’âge classique la faire circuler (le goût, le plaisir, le naturel, le vrai), et elle fait naître dans son propre espace tout ce qui peut en assurer la dénégation ludique (le scandaleux, le laid, l’impossible) » (Œuvres, I, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 2015, p. 1364). Notamment de contester que la littérature, qui apparaît avec le romantisme, ne ferait que ménager en son sein une « dénégation ludique ».

[4]Nous reprenons ici un terme mis en avant par Jean-Luc Nancy, dans son livre Hegel. L’inquiétude du négatif, Paris, Hachette, coll. « Coup double », 1997, dont bien des pages pourraient servir d’exergue à cet appel. Nous citerons ici simplement le début de l’entrée « Tremblement » : « La pensée doit sortir le soi de soi, elle doit l’arracher à son simple être-en-soi : elle est elle-même un tel arrachement, elle et la parole dans laquelle le penser se sort de lui-même et s’expose. Il faut briser l’épaisseur compacte de la simple subsistance, que ce soit celle de la pierre, celle du moi, celle du tout, celle de Dieu ou celle de la signification. La subsistance qui se présente comme un premier principe, ou comme un point de départ, n’est en fait déjà qu’un dépôt de la manifestation en son mouvement : un dépôt dans l’être, et un repos dans la pensée. Dissoudre ce dépôt et réveiller ce repos sont la tâche de la pensée, parce que c’est ainsi qu’elle pénètre le mouvement » (p. 59) ou plus concis : « La négativité fait trembler toute déterminité, tout être-à-part-soi. Elle le traverse d’un frisson et d’une agitation inquiète » (p. 66).

[5]Encore une fois, Jean-Luc Nancy, dans « Sens elliptique » : « Un "corps perdu", c’est un corps déjà surchargé de marques et d’écritures, ainsi délesté de son organicité […]. Corps faisant surface, et rien que surface, et traces », in Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, t. 180, n°2, 1990, p. 325.