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Appels à contributions

"Obsolète, désuet, anachronique" (assoc. Questes, jeunes chercheurs médiévistes)

Publié le par Marc Escola (Source : Sarah Delale, Maxime Fulconis et Mathias Sieffert)

Séminaire Questes (17 mars, 21 avril et 19 mai 2017)

« Obsolète, désuet, anachronique »

Marquées par de nombreuses innovations et en recomposition permanente, les sociétés médiévales sont caractérisées à la fois par une suspicion à l’égard de la nouveauté et par la révérence à l’ancien. Pourtant, le poids des autorités et de la tradition n’empêche pas les hommes du Moyen Âge de percevoir le présent comme le lieu d’un héritage persistant et vieillissant. C’est ce sentiment que se propose d’explorer le présent séminaire, afin de mieux comprendre comment les médiévaux vivent le vieillissement des structures, des coutumes, des arts, des langues et des textes qu’ils fréquentent encore, qu’ils fabriquent encore.

Qu’ils soient concrets, abstraits, sociaux ou linguistiques, les objets du monde peuvent devenir obsolètes, désuets ou anachroniques en raison de facteurs endogènes (ils vieillissent, perdant de leurs qualités ou de leur vitalité) ou exogènes (face à une évolution de la conjoncture, ils perdent de leur pertinence ou subissent la concurrence d’autres objets plus efficients). Dans le glissement d’un contexte temporel à l’autre, tout objet subit une forme de tectonique : celle des usages qui se modifient et qui métamorphosent lentement les sociétés humaines. Obsolescence réelle ou ressentie peuvent se superposer, rester étrangères l’une à l’autre ou voir leurs rapports évoluer au cours du temps. Un élément peut être objectivement obsolète, désuet ou anachronique sans que les contemporains en aient conscience. Au contraire, il peut garder toute sa pertinence mais être pensé comme dépassé : ainsi en va-t-il des modes vestimentaires. Lorsque les mentalités changent plus vite que les objets, l’individu perçoit un chevauchement entre passé et présent. C’est cette tectonique temporelle, ce frottement entre les époques et les réactions qu’il suscite qu’il convient d’interroger.

Obsolète, désuet, anachronique : ces trois termes peuvent sembler à première vue très proches. Nous proposons une distinction, base de travail pour les intervenants, qui pourra être enrichie ou révisée par leurs soins :

— Est obsolète ce qui continue d’être utilisé dans sa fonction d’origine mais qui, réellement ou dans les représentations, a perdu de sa pertinence.

— Le désuet est la coloration, positive ou négative, associée à l’ancien. Cette coloration donne souvent aux objets une nouvelle fonction.

— L’anachronique est la rencontre de deux époques distinctes : le passé s’immisce ou s’invite dans le présent sans pour autant se fondre en lui.

Les communications pourront s’interroger sur des cas d’obsolescence concrète : comment les objets vieillissent-ils, comment sont-ils remplacés ? Elles pourront s’interroger aussi sur l’obsolescence ressentie. Choisit-on de la rejeter, de la conserver ou d’en tirer profit ? Les médiévaux peuvent attribuer à un objet ancien qui perdure dans le présent une fonction symbolique ou esthétique. Le passé est-il envisagé comme un objet historiquement autonome, ou comme un ensemble de traits stylistiques qui font ancien ? Ce qui fait passé, dépassé ou décalé pourrait être identifiable à un « style » obsolète, désuet ou anachronique, sa reconnaissance provoquant des réactions diverses. On peut rejeter ou mépriser l’obsolète et l’anachronique ; on peut le regarder avec bienveillance et en apprécier le charme ou l’attrait ; on peut aussi le réinvestir d’un sens nouveau. On convoque les objets qui sortent ou qui sont sortis d’usage, comme dira Pasquier, « non pas pour nous rendre antiquitaires [...] ains pour les transplanter entre nous » (Les Lettres d’Estienne Pasquier, conseiller et advocat general du roy en la chambre des Comptes de Paris, à Paris chez Abel L’angelier, 1586, feuillet 53v). À travers l’obsolescence, la greffe du passé permet de renouveler le présent, d’avancer dans le temps comme à reculons, le regard tourné derrière soi.

Quelques axes d’étude :

— Architecture, sculpture, arts visuels : comment les artistes perçoivent-ils et réinvestissent-ils les œuvres du passé dont l’esthétique ou la technique apparaissent datées ? Comment réutilise-t-on des fragments architecturaux anciens dans une construction nouvelle ? Les artistes peuvent-ils, sciemment, recourir à une technique obsolète, à des motifs anachroniques, à un style désuet ?

— En musique, on pourra s’intéresser à l’évolution du système de notation, son impact sur la réception des œuvres, les implications des glissements esthétiques de la monophonie à la polyphonie ou de l’ars antiqua à l’ars nova et à l’ars subtilior jusqu’à l’école bourguignonne, etc.

— En littérature, on pourra s’interroger sur le vieillissement des codes d’écriture, des formes littéraires, de certains textes, mais aussi de certains auteurs. La langue est elle-même frappée de vieillissement : comment copie-t-on un texte en ancien français à l’époque du moyen français ? Comment perçoit-on les anciens états de la langue ? Comment passe-t-on du vers à la prose ou inversement ?

— Dans un cadre social donné, comment traite-t-on les rites et les coutumes anciennes (on pense par exemple au traitement humoristique de la chasse au cerf blanc au début d’Erec et Enide) ? Comment fait-on coexister l’époque carolingienne ou antique et les realia des xiie et xiiie siècles dans l’épopée ? Comment représente-t-on une bataille ancienne : cherche-t-on à reconstituer des éléments de costumes et d’équipement ou actualise-t-on les cadres matériels ?

— Comment évolue le costume, quel regard et quels discours les contemporains portent-ils sur lui ? Cotes et surcots larges du xiiie siècle semblaient-ils désuets face à la mode masculine très ajustée du xive siècle ?

— Comment le renouvellement de l’art et de l’équipement militaires contribue-t-il à rendre des techniques guerrières obsolètes, désuètes, anachroniques ? Dans quelle mesure l’étrier et les évolutions techniques liées au cheval contribuent-ils, par exemple, à rendre les pratiques militaires carolingiennes dépassées ?

— Pratiques sociales et mœurs. Servage et esclavage devaient sembler des pratiques sociales d’un autre temps aux hommes du Moyen Âge central, qui affranchissent en masse.

— Enfin, on peut aussi s’interroger sur le phénomène d’obsolescence dans le domaine administratif et juridique : comment une institution en remplace-t-elle une autre, de quelle manière varie l’étendue des circonscriptions administratives ?

MODALITES DE SOUMISSION :

Cet appel à communication s’adresse aux étudiants de master, de doctorat et aux jeunes chercheurs de toutes les disciplines. Les propositions de communication, d’un maximum de 1000 mots, accompagnées d’un CV, devront être envoyées avant le 20 février 2017 à Sarah Delale, Maxime Fulconis et Mathias Sieffert (obsolete.questes[a]gmail.com), et pourront donner lieu à une communication orale de vingt-cinq minutes durant l’une des trois séances du séminaire (17 mars, 21 avril et 19 mai 2017) et/ou à une publication dans la revue de l’association (www.questes.revues.org).

Pour plus d'informations sur le séminaire de l'association Questes : http://questes.hypotheses.org