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Colloque : "Matérialité, esthétique et histoire des techniques. La collection François Lemai comme laboratoire" (Laval)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Jean-Pierre Sirois-Trahan)

Matérialité, esthétique et histoire des techniques La collection François Lemai comme laboratoire

29 octobre-2 novembre 2018

Colloque international, Université Laval, Québec 

Programme de cinéma de l’Université Laval, Partenariat international de recherche TECHNÈS

Université de Lausanne et Université de Montréal

Sous la direction de : André Habib (Université de Montréal), Louis Pelletier (TECHNÈS/Université de Montréal), Jean-Pierre Sirois-Trahan (Université Laval), Benoît Turquety (Université de Lausanne)

 

 

Le but de ce colloque sera de découvrir ce que les objets techniques et leur matérialité peuvent nous apprendre concrètement sur le cinéma, en lien avec les autres types d’archives. Il aura pour corpus d’études l’imposante collection d’appareils cinématographiques et pré-cinématographiques donnée à l’Université Laval par le collectionneur François Lemai en 2016 (voir la liste des appareils).

Cette initiative s’inscrit dans les récents développements sur l’« archive as a research laboratory » (Fossati et van den Oever 2016). Les chercheurs seront ainsi invités à venir passer une journée de travail sur les appareils de la collection, assistés par des praticiens, des restaurateurs et des archivistes, puis à partager le résultat de ce contact avec les objets dans le cadre de trois journées de colloque. Nous faisons le pari que les chercheurs retireront des bénéfices heuristiques de premier ordre de leur accès aux objets.

La crise provoquée par le numérique a rendu nécessaire pour les études cinématographiques de se tourner vers les questions technologiques. Paradoxalement, la culture numérique, soi-disant virtuelle et immatérielle, a permis de redécouvrir, non sans une mélancolie insistante, l’importance de la matérialité et de ses effets sur l’histoire esthétique. Nous voudrions pousser plus loin en examinant le point focal du dispositif cinématographique, les appareils de cinéma, pour voir si de nouvelles ressources d’intelligibilité ne se dégageraient pas de cette opération.

Si l’étude des appareils peut participer de l’histoire des techniques au sens strict, comme les travaux de Barry Salt et de Laurent Mannoni ont pu l’exemplifier, on perçoit de plus en plus les liens féconds entre dispositifs techniques et questions esthétiques et épistémologiques (Enticknap 2005; Turquety 2014). Une caméra ou un projecteur permet certains types d’usage et pas d’autres. Par exemple, Vincent Bouchard (2012) a pu reconstituer le développement du dispositif léger et synchrone (le « cinéma direct ») en croisant une analyse des films de l’Office national du film du Canada et une étude précise des appareils utilisés.

Un autre exemple récent serait le Projet Bolex mené à l’Université de Lausanne, où les appareils amateurs et semi-professionnels de la célèbre firme sont étudiés en liaison avec la publicité, les brevets, les manuels des caméras et les films effectivement réalisés. Nous voudrions, avec l’aide de la collection François Lemai, généraliser ce type d’études archéologiques. L’histoire des formes et des esthétiques, nous l’espérons, s’en verra complexifiée.

Un appareil cinématographique n’est pas qu’un objet. Comme machine complexe il médiatise un rapport au monde, ainsi que des relations diverses entre le réel et des réalités esthétiques (diégétique, par exemple). Il englobe et matérialise également toute une série d’usages, de gestes, de procédures et de discours, en tant que point de contact entre inventeurs, instances industrielles et praticiens (professionnels ou amateurs).

Comme l’écrivait Gilbert Simondon, « [c]e qui réside dans les machines, c’est de la réalité humaine, du geste fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent » (2012). C’est ce que Benoît Turquety (2014) a aussi appelé, pour caractériser la machine, une « archive des gestes ». Plus largement, un appareil cinématographique fonctionne comme une métonymie d’un contexte, que ce soit du côté du dispositif de production (studios, équipes de tournage) ou de réception (les salles de cinéma), et finalement, de tout un contexte social – le cinéma comme institution, industrie, division du travail et usine à rêves produit des effets sociologiques; de même, le film amateur interagit avec d’autres institutions, de la famille à l’Église ou au parti.

Plutôt que de focaliser l’analyse technologique du cinéma sur les grandes transitions déjà reconnues par l’historiographie, le parti pris de ce colloque consiste à affirmer que les appareils n’ont jamais cessé de se transformer, à plus ou moins grande échelle, tout au long de l’histoire du cinéma.

Dès les premiers temps, il est difficile de faire la part entre les projecteurs de lanterne magique, plus ou moins sophistiqués dans la machination du mouvement, et les projecteurs de vues cinématographiques. Mais même pendant la période classique, la stabilité des machines n’est jamais acquise, et chaque transformation de chaque modèle de caméra, de projecteur, de table de montage, etc., est rattachée à des changements dans les pratiques, les attentes, des techniciens aussi bien que des spectateurs. Finalement, l’analyse de chaque variante dans l’histoire des appareils est susceptible de mettre au jour des transformations culturelles, économiques ou institutionnelles peut-être importantes.

C’est pourquoi nous pensons que le vaste ensemble formé par la collection François Lemai constitue un apport potentiel formidable pour la compréhension d’aspects restés jusqu’ici méconnus de l’histoire des techniques, mais aussi des formes, des théories et des enjeux généraux de la culture cinématographique. Mais ces sources nouvelles pour l’histoire du cinéma posent aussi des problèmes méthodologiques et épistémologiques inédits, auxquels il est nécessaire de se confronter grâce à des protocoles de recherche spécifiques.

Normalement dans les musées du cinéma on regarde sans toucher. En général, les chercheurs travaillent avec les archives papier ou numériques, ou pire, considèrent les films comme des substances éthérées sans lien avec la réalité matérielle. Peu de chercheurs ont la chance de travailler directement avec les archives matérielles. Pourtant la manipulation des objets nous apprend beaucoup sur les techniques et les usages.

Une caméra possède une structure, une cohérence interne, un poids et une inertie, un équilibre particulier; sa manivelle a une certaine résistance; sa visée, une précision plus ou moins grande. Ces données occasionnent une certaine position du corps de l’utilisateur et des attitudes possibles par rapport aux objets filmés. Les lanternes magiques et les projecteurs ont des modalités diverses : un type d’objectif ou de système d’éclairage qui permettent tel type de projection, empêchent ou rendent difficile tel autre usage. Le design de chaque appareil peut signaler un positionnement « haut de gamme », voire luxueux, ou au contraire un pur désir de fonctionnalité pratique, et d’accessibilité technique ou économique.

Concrètement, nous voudrions que ce colloque se déroule, dans un premier temps, comme un laboratoire : après avoir fait leur recherche sur les films et les sources imprimées (journaux, brevets, publicités, corporatifs), les conférenciers auront la chance de confronter ce premier travail à la matérialité des appareils dans le cadre d’une journée de travail en archives.

Dans un  deuxième temps, après une journée de relâche où ils pourront modifier leur texte en fonction des découvertes faites, les conférenciers présenteront leur communication. Des expériences scientifiques ou des performances artistiques pourront même être tentées dans le respect des normes archivistiques.

 

COMMUNICATIONS

Le comité d’organisation du colloque sollicite des propositions portant entre autres sur :

  • Des études comparatives entre les objets de la collection François Lemai et ceux d’autres archives
  • Les liens nombreux entre technologies et esthétique
  • Les discontinuités dans l’histoire du cinéma et leurs liens avec des inventions techniques
  • Les relations entre le corps et ses organes (main, œil, etc.) et le corps de la machine et ses organes (poignée, manivelle, visée, pied, etc.)
  • Les formats rares (11 mm, 17.5 mm, 22 mm, 28 mm…)
  • Les structures conceptuelles implicites des machines
  • Les mécanismes particuliers : systèmes d’entraînement, d’obturation, de visée; les objectifs et les moteurs; les passe-vues des lanternes magiques; etc.
  • L’évolution incrémentale d’une marque ou d’un type d’appareils (les caméras 17.5 mm, par exemple)
  • Les différentes inventions et innovations et leurs effets sur l’esthétique filmique
  • Le design des appareils et le discours publicitaire (distinction, esthétisme, fonctionnalité, ergonomie)
  • Les questions de genres dans l’utilisation des appareils (dans le cinéma amateur, par exemple)
  • La différence entre les usages prévus par les inventeurs et les compagnies (dans les brevets et les manuels) et l’usage souvent innovant des cinéastes
  • Les chaînons manquants (par exemple, les lanternes magiques cinématographiques)
  • Le type de mouvement et les boucles d’images des différents jouets d’optique
  • Les systèmes d’éclairage et les types d’illuminant des lanternes magiques
  • Les matériaux des différents appareils (bois, cuirs, métaux, etc.)
  • Les corpus nationaux (russe, américain, etc.)
  • Les gun cameras et autres appareils militaires
  • Différents dispositifs de couplage image-son
  • Les problématiques méthodologiques rattachées à l’analyse des machines

Les personnes intéressées à présenter des ateliers, des démonstrations et des projections dans le cadre du colloque sont également invitées à soumettre leurs propositions au comité d’organisation. TECHNÈS en profitera, entre autres, pour faire un atelier sur la numérisation 3D des appareils de la collection François Lemai.

Les propositions de communication de vingt minutes doivent inclure un titre, un résumé de 300 mots maximum, une bibliographie sélective et une brève notice biographique. Elles devront être soumises dans l’une des deux langues du colloque, le français et l’anglais, à colloque.francois.lemai@gmail.com avant le 15 avril 2018.

Pour plus d’informations : colloque.francois.lemai@gmail.com      

 

BIBLIOGRAPHIE

Michel Auer, Histoire de la caméra ciné amateur, Paris : Ed. de l'Amateur, 1979, 174 p.

Christopher Beach, A Hidden History of Film Style: Cinematographers, Directors, and the Collaborative Process, Oakland, University of California Press, 2015, 248 p.

Vincent Bouchard, Pour un cinéma léger et synchrone! Invention d’un dispositif à l’Office national du film à Montréal, préface de Michel Marie, Villeneuve-d’Ascq (Nord), Presses Universitaires du Septentrion, 2012, 284 p.

Leo Enticknap, Moving Image Technology: From Zoetrope to Digital, New York, Wallflower Press, 2005, 208 p.

Giovanna Fossati et Annie van den Oever, Exposing the Film Apparatus: the Film Archive as a Research Laboratory, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2016, 478 p.

Alan Kattelle, Home Movies: a History of the American industry, 1897-1979, Nashua, N.H. : Transition Publishing, 2000, 411 p.

Laurent Mannoni, Le Grand Art de la lumière et de l'ombre : archéologie du cinéma, Paris : Nathan, 1995, 512 p.

Barry Salt, Film Style and Technology: History and Analysis, Londres : Starword, 2009 (3e édition), 453 p.

Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Paris : Aubier, 2012, 367 p.

Gilbert Simondon, Sur la technique : 1953-1983, Paris : Presses universitaires de France, 2014, 460 p.

Benoît Turquety, Inventer le cinéma : épistémologie : problèmes, machines, Lausanne : Éditions l'Âge d'Homme, 2014, 270 p.

Jean Vivié, Prélude au cinéma : de la préhistoire à l'invention, Paris : Harmattan, 2006, 277 p.

Jean Vivié, Traité général de technique du cinéma. T.1 : Historique et développement de la technique cinématographique, Paris : Bureau de Presses et d'Informations, 1946, 137 p.

John Wade, Lights, Camera, Action!: An Illustrated History of the Amateur Movie Camera, Atglen : Schiffer Publishing, Ltd., 2014, 160 p.