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La mise en scène théâtrale au XIXe siècle (Romantisme, 2020-2)

La mise en scène théâtrale au XIXe siècle (Romantisme, 2020-2)

Publié le par Romain Bionda (Source : Éléonore Reverzy)

Appel à contribution Dossier de la revue Romantisme « La mise en scène théâtrale au XIXe siècle » (N° 2020-2), sous la responsabilité de Roxane Martin

Les chercheurs s’entendent désormais sur ce point : l’art de la mise en scène n’est pas né un soir de mars 1887 sur la scène du Théâtre-Libre1 ; son directeur, André Antoine, l’avait d’ailleurs clairement dit :

Figaro saute par les fenêtres et le comte enfonce les portes. Hugo publie la Préface de Cromwell, le grand Dumas se joint à lui : le Moyen Âge chasse l’Antiquité : on ne raconte plus, sur la scène, les épisodes tragiques et les combats héroïques : Hernani y ferraille, Saint-Mégrin regarde les astres avant de se rendre chez la duchesse de Guise, et Ruy Blas pousse les meubles devant les portes de sa salle basse pour mourir en paix [...] ; on mange sur le théâtre, on y dort, on s’assied sur son lit pour rêver comme Chatterton. La mise en scène vient de naître, et, docile, elle va désormais suivre la production dramatique2.

En associant la naissance de la mise en scène avec l’apparition d’un théâtre de l’image, qui se met en place en même temps qu’il se théorise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, André Antoine construit la ligne qui relie Diderot à Zola, et inscrit le naturalisme théâtral dans le sillage des dramaturgies du tableau. Cet examen, longtemps occulté par l’historiographie, est d’autant plus intéressant qu’il assimile l’émergence de la mise en scène à une réforme de l’écriture dramatique. La matière scénique, revendiquée comme une composante essentielle du drame par les philosophes des Lumières, a pénétré l’écriture théâtrale au point de faire voler en éclat l’ancien système des genres3. La loi Le Chapelier de 1791, en décrétant la liberté des théâtres, a joué un rôle déterminant pour promouvoir ce type de dramaturgie ; le geste, le mot, la musique et l’image se sont accordés dans d’habiles combinatoires dont toutes ont eu pour enjeu de susciter l’effroi ou la fascination d’un public élargi au populaire. Il n’est donc pas étonnant de voir apparaître l’occurrence « mise en scène » sur les affiches des drames, pantomimes et féeries joués sur les théâtres parisiens dans les années 1800. Cette écriture dramatique nouvelle, circonscrite après les décrets de 1806-1807 au genre du mélodrame essentiellement (pour la simple raison que la politique culturelle mise en place par Napoléon n’autorisait plus le « mélange des genres » sur les scènes subventionnées), a servi de matrice aux réformes des romantiques. La rencontre de l’écriture dramatique et de la mise en scène s’est offerte, pour eux, comme un moyen de brouiller les catégories génériques et de conquérir les scènes officielles. Sous leur impulsion, les drames proposés à la Comédie-Française se sont revendiqués comme le creuset d’une fusion entre les éléments du littéraire et du spectaculaire et le metteur en scène, dont l’existence est déjà attestée à cette époque sur les scènes secondaires, est venu durablement s’imposer parmi les personnels dramatiques des théâtres subventionnés. Une fois consacrés dans l’antre de Melpomène, les codes de la mise en scène romantique ont pu être appliqués à d’autres genres et d’autres répertoires (y compris de l’Ancien Régime), conduisant à fondre dans une esthétique commune des œuvres aux conventions dramaturgiques extrêmement variées4.

Cette esthétique scénique a pourtant vite buté contre ses propres limites. La recherche du tableau dramatique a conduit à privilégier le décor et le réalisme, au point de rompre l’équilibre entre le texte et la scène, entre le mot et l’image. C’est pourquoi des voix dissidentes se sont rapidement fait entendre dans les années 1830, comme celle de ce critique du Journal des Débats qui, à propos de la parution du tome Théâtre des Œuvres complètes d’Alexandre Dumas, écrivait :

« Voilà les deux théories qui se disputent maintenant notre scène : le système qui met au premier rang la science des planches, et celui qui le met au dernier ; d’un côté la curiosité, de l’autre le développement des passions, des caractères et du langage ; le drame marché et le drame écrit ; la pacotille et l’art5. »

La surenchère dans les moyens « matériels » de la représentation a conduit une partie de la critique dramatique à réprouver l’hégémonie d’un art dont elle estime qu’il finit par écraser les beautés du texte dramatique, par anéantir les frontières entre les théâtres officiels et secondaires, par assujettir l’écriture théâtrale à des codes scéniques qui tendent à s’uniformiser. Jules Janin a parfaitement circonvenu les enjeux de ce débat en fustigeant « ces drames de fausse sublimité qui ne peuvent marcher sans les échasses du décorateur ». Le théâtre n’a plus pour vocation, selon lui, « d’interroger les fibres secrètes de l’âme, ni de nous faire méditer sur la vie telle qu’elle est ». Tout entier tendu vers la recherche de l’effet, il a cédé à une « poésie de décoration », une « poésie extérieure et matérielle » qui multiplie les images « sans dire les profonds mystères de leur réalité, de leur nécessité dans le monde [...], sans se refléter dans un miroir vrai, sans leçon d’existence, sans autre motif que de causer l’effroi6 ». La suprématie de l’image scénique a détruit la poésie dramatique ; le rapport à la réalité s’est dissout en effet de réel et le théâtre devait renouveler son rapport avec la vérité dramatique.

Cette analyse, que l’on pourrait penser circonscrite à la presse conservatrice et « antiromantique », a pu être menée par quelques artistes et auteurs dramatiques tout au long du XIXe siècle dans le but de rééquilibrer le rapport entre réel, vérité et émotion. Aussi Baudelaire brocarde-t-il l’ « impuissante imagination [de] ce public blasé qui exige des théâtres une perfection physique et mécanique, et ne conçoit pas que les pièces de Shakespeare puissent rester belles avec un appareil d’une simplicité barbare7 ». Berlioz interroge le rapport entre monde réel, image matérielle et imaginaire en accordant à la musique le pouvoir de raconter, de faire exister des corps et des voix sans aucun support scénique8. Théodore de Banville reproche à l’école romantique d’avoir fait prendre ces « habitudes grossièrement réalistes » au théâtre dans son ensemble, conduisant à fondre l’art dramatique dans celui du metteur en scène et du décorateur9. George Sand, dans la préface de François le Champi, fait ce constat : « l’art cherchait la réalité, et ce n’est pas un mal ; il l’avait trop longtemps évitée ou sacrifiée. Il a peut-être été trop loin. L’art doit vouloir une vérité relative plutôt qu’une réalité absolue10. » D’autres en revanche, comme Pixerécourt, Hugo ou Antoine (pour ne citer qu’eux), ont cherché, par le maniement des éléments scéniques, à véhiculer du sens et des valeurs susceptibles de réformer la société contemporaine. Auguste Vacquerie définit la mise en scène comme l’expression poétique par excellence parce qu’elle synthétise tous les arts et conjugue leurs effets, s’assurant ainsi d’un impact puissant sur le public11. On le constate à l’aune de ces quelques exemples : l’art de la mise en scène a suscité des positionnements esthétiques divers, dont les contradictions ne recoupent pas les traditionnelles oppositions binaires entre classiques et romantiques, entre naturalistes et symbolistes. Ce sont ces différents points de vue que ce dossier de la revue Romantisme souhaite interroger. Il cherchera à mener les investigations sur un long XIXe siècle de façon à mettre au jour les lignes de tension qui ont innervé la réflexion critique sur l’art de la mise en scène et à identifier des poétiques scéniques qui ont incontestablement nourri les expérimentations dramatiques du premier XXe siècle.

1 Voir sur ce point l’article d’Alice Folco, « La querelle sur les origines de la mise en scène moderne et les enjeux mémoriels autour de la figure d’André Antoine », dans L’écriture de l’histoire du théâtre et ses enjeux mémoriels, Marion Denizot (dir.), Revue d’Histoire du Théâtre numérique, n° 1, septembre 2013, p. 47-56.
2 André Antoine, « Causerie sur la mise en scène », Revue de Paris, 1er avril 1903, rééd. dans Antoine, l’invention de la mise en scène, Jean-Pierre Sarrazac et Philippe Marcerou (dir.), Arles, Actes Sud-Papiers, 1999, p. 110.
3 Voir Pierre Frantz, L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIsiècle, Paris, PUF, 1998.
4 Voir Roxane Martin, L’Émergence de la notion de mise en scène dans le paysage théâtral français (1789-1914), Paris, Classiques Garnier, 2014.
5 Journal des débats, 30 juillet 1834.
6 Jules Janin, Journal des débats, 8 janvier 1833.
7 Charles Baudelaire, « Morales du joujou » (1853), Œuvres complètes, Claude Pichois (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, t. 1, p. 582.
8 Dans Roméo et Juliette (1839), par exemple, où Berlioz parvient à faire exister par la seule musique personnages et décors. Voir l’ouvrage de Violaine Anger, Berlioz et la scène. Penser le fait théâtral, Paris, J. Vrin, 2016.
9 Théodore de Banville, Lettres chimériques, Paris, Charpentier, 1885, p. 315.
10 George Sand, François le Champi, comédie en trois actes et en prose, Préface : « À M. Bocage, directeur du théâtre de l’Odéon », Bruxelles, Lelong, 1850, p. 6.
11 Dans Profils et Grimaces, Paris, Michel Lévy frères, 1856.

Plusieurs axes, sans exclusive, pourront structurer les réflexions :

La scène dans l’écriture : On pourra, par exemple, s’interroger sur la manière dont s’articule, selon les auteurs, le rapport entre écriture dramatique et mise en scène. La mise en scène est-elle une donnée de l’écriture théâtrale ? Participe-t-elle à asseoir un projet philosophique ou politique de plus grande envergure qui, en conjuguant les effets de l’image et du mot, a cherché à engager une réforme en profondeur de la société contemporaine ? A-t-elle été perçue, au contraire, comme un obstacle à la liberté du créateur, étant trop fortement dominée par les conventions du décor réaliste ? Dans ce cas, sur quels types d’écriture théâtrale ce refus de la mise en scène a-t-il débouché ?

Le statut de l’auteur et du metteur en scène : Comment l’auteur conçoit-il sa collaboration avec le metteur en scène ? Est-elle assumée, redoutée, refusée ? Certains auteurs ont-ils souhaité se faire eux- mêmes metteurs en scène de leur œuvre de manière à imposer, dans le droit fil des Lumières, une conception de la représentation théâtrale comme totalité sémantique ? L’émergence du metteur en scène dans le paysage théâtral a-t-elle conduit à redéfinir le statut de l’auteur dramatique ? ou le statut de l’œuvre dramatique, désormais perçue comme œuvre scénique ? Comment se négocie la collaboration entre auteur et metteur en scène en termes de droits d’auteur ?

Les pratiques de lillusionnisme : Comment le spectacle se construit-il ? quelles sont les techniques utilisées pour les effets spéciaux ? Observe-t-on une corrélation entre les progrès de la machinerie théâtrale et l’essor de la figure du metteur en scène ?

Renouvellement des genres dramatiques : L’écriture scénique du romantisme, en associant étroitement le verbe, l’image et le son, a-t-elle favorisé de nouvelles expérimentations dramatiques visant à repenser le lien entre écritures musicale, littéraire et scénique ? La réforme de l’opéra par Wagner ou par Berlioz, par exemple, doit-elle être pensée dans ce contexte ? La suprématie du « grand spectacle » a- t-elle au contraire définitivement aboli les frontières entre les genres (drame, tragédie, opéra, opéra- comique, mélodrame, comédie...) ? A-t-elle favorisé la mise en place de nouvelles répartitions génériques, comme celle qui sépare le théâtre littéraire du théâtre spectaculaire par exemple, ou celle qui distingue le théâtre parlé, le théâtre musical et le théâtre dansé ? Ces mêmes distinctions sont-elles repérables dans les autres pays européens, moins fortement soumis au système des genres académiques ?

Le rapport entre monde réel, image matérielle et imaginaire : De nombreux critiques, tout au long du XIXe siècle, se sont insurgés contre le réalisme scénique, reprochant à l’image, devenue trop précise, d’étouffer l’imaginaire. Comment les auteurs et artistes dramatiques ont-ils investi ce rapport entre réel, image matérielle et imaginaire ? A-t-il donné lieu à des poétiques, à des écritures ou des esthétiques scéniques singulières ?

Les propositions d’articles (titre et résumé) sont à envoyer avant le 1er mars 2019 à Roxane Martin, coordinatrice du dossier (roxane.martin@univ-lorraine.fr).

Les articles sélectionnés seront à rendre au plus tard le 30 septembre 2019 (30 000 signes maximum, espaces comprises). Ils seront soumis à expertise avant la publication.