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Revue Balzac, n° 2 : 

Revue Balzac, n° 2 : "L'intériorité"

Publié le par Marc Escola (Source : Boris Lyon-Caen)

The Balzac Review/Revue Balzac, n° 2 :

« L’intériorité »

 

« Je ne trouve point de vie intérieure dans Balzac, mais plutôt une curiosité dévorante et tout extérieure, qui va de la forme au mouvement, sans passer par la pensée », écrivait Alain en 1937. De fait, La Comédie humaine n’occupe qu’une place congrue dans l’histoire littéraire du roman d’analyse, histoire qui remonte à La Princesse de Clèves, érige Stendhal en expert du cœur humain et surexpose le « moment psychologique » des années 1880. L’objectif ne saurait être, ici, de réévaluer Balzac. Comment oublier, en effet, que le personnage littéraire reste un être de papier, un « vivant sans entrailles », évoluant dans le cadre d’un univers de fiction ? Quelle subtilité, quelle lucidité prêter à un romancier qui représente moins qu’il n’invente ? De quelles découvertes l’écrivain pourrait-il se targuer – lui qui traite souvent de ses types créés ad hoc comme de matériaux transparents ?

Ainsi se profile l’hypothèse suivante : le roman balzacien s’attaque peut-être moins à la psyché proprement dite qu’à sa modélisation « classique ». Et soumet la représentation cartésienne du sujet à une quintuple interrogation :

1. La première est d’ordre historique. Les sujets balzaciens ne tirent-ils pas leurs propriétés du siècle où ils se développent, le dix-neuvième, ce siècle de l’intime ? Qu’advient-il au cadre de l’analyse psychologique lorsque « le privé devient autre chose qu’une zone maudite, interdite et obscure : le lieu plein de nos délices et de nos esclavages, de nos conflits et de nos rêves ; le centre, peut-être provisoire, de notre vie, enfin reconnu, visité et légitimé » (Michelle Perrot) ? Dans quelle mesure Balzac met-il donc la psychologie aux prises avec l’histoire ?

2. S’ensuit une deuxième interrogation, d’ordre sociologique. Si l’on en croit la leçon interactionniste, le « moi » ou le « soi » ne peuvent être considérés en eux-mêmes. Il existe une dynamique sociale de la conscience, qui demande de penser sur un mode dialectique le rapport de l’extérieur à l’intérieur : selon Norbert Élias, par exemple, « cette empreinte, l’habitus social, est la terre nourricière sur laquelle se développent les caractères personnels par lesquels un individu se différencie des autres membres de sa société ».

3. Cette société étant celle du roman, la troisième interrogation est d’ordre narratif. Impossible d’abstraire le personnage du milieu qui est le sien. Comme l’écrit Mikhaïl Bakhtine, « l’erreur fondamentale des chercheurs qui se sont déjà penchés sur les formes de transmission du discours d’autrui, est d’avoir systématiquement coupé celui-ci du contexte narratif » ; « le monde intérieur et la réflexion de chaque individu sont dotés d’un auditoire social propre bien établi, dans l’atmosphère duquel se construisent ses déductions intérieures, ses motivations, ses appréciations ». Cette nature relationnelle de l’intériorité engage tout le système des personnages : sa composition, sa hiérarchisation, son évolution, etc.

4. Sans être jamais passé par la case autobiographique, Balzac soumet à la psychologie classique une quatrième question, envisageable d’un point de vue stylistique : elle concerne les conditions d’accès à l’intériorité et les modalités de son expression. Psycho-récit, monologue rapporté, monologue narrativisé : les trois modes de représentation de la vie psychique que distingue Dorrit Cohn sont diversement pratiqués dans La Comédie humaine. La critique balzacienne est restée assez discrète, à leur propos. Penser ce problème en termes de fidélité ou – inversement – de stylisation suppose du reste une certaine idée de l’intériorité. Celle-ci est-elle structurée « comme un langage » ? Quid, alors, de ces mystérieuses contrées auxquelles nous a familiarisés le modèle du stream of consciousness ? Leur figuration ne tient-elle pas, même chez Balzac, de l’ultime défi ?

5. Une dernière question se pose donc, de nature cognitive : que nous suggère le roman, à l’échelle du seul personnage, mais du personnage situé, des états et des processus mentaux qui décident de nos vies ? N’opère-t-il pas, comme le savant au laboratoire, de façon à révéler l’étrange alchimie, l’étrange interférence des désirs et des croyances, des connaissances et des mirages, des émotions et des calculs ? Loin d’être souverain, le sujet balzacien semble souvent en état de siège et donc rétif à tout essentialisme. Il est le lieu, l’occasion, l’arène d’une psychomachie passionnée. Reste à examiner toute la dramaturgie qui en procède...

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Les propositions de contributions, accompagnées d’une brève notice biobibliographique (400 signes maximum), devront être envoyées aux adresses suivantes : boris.lyoncaen@gmail.com et thebalzacreview@gmail.com avant le 15 janvier 2018. Les articles (35.000 signes maximum, espaces compris) seront à envoyer avant le 15 septembre 2018.

The Balzac Review/Revue Balzac publie en anglais et en français. Chaque numéro comporte un dossier thématique et une section réservée aux propositions spontanées (Varia).

Nota bene : le premier numéro de The Balzac Review/Revue Balzac, « L’étranger », est à paraître en juillet 2018 (Classiques Garnier).