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L'histoire littéraire française et les approches externalistes de la littérature (ENS Paris)

L'histoire littéraire française et les approches externalistes de la littérature (ENS Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Jordi Brahamcha-Marin)

L’histoire littéraire française et les approches externalistes de la littérature

Séminaire littéraire des Armes de la critique (SLAC)

Ecole normale supérieure, Paris

 

L’année 1894, qui voit Gustave Lanson publier son Histoire de la littérature française et la Société d’Histoire littéraire de la France fonder la revue du même nom (RHLF), peut servir commodément de date de naissance officielle d’une nouvelle discipline, désormais désignée et théorisée comme telle : l’« histoire littéraire ». Pendant tout le premier vingtième siècle (jusqu’aux remises en cause formalistes des années 1960), l’université française a ainsi voulu fonder son étude de la littérature sur un souci de contextualisation historique. Il s’est alors agi de resituer les œuvres dans une histoire des formes, des mouvements, des courants, des querelles (donc dans une histoire interne à la littérature), mais aussi, parfois, dans une histoire sociale, culturelle, politique plus générale. Après une période de relatif déclin, l’histoire littéraire semble aujourd’hui connaître un certain renouveau, grâce à des chercheur/se-s comme Marie-Ève Thérenty ou Alain Vaillant.

Lanson est le premier grand théoricien de l’histoire littéraire ; il a eu peu de successeurs dans ce domaine, ses disciples (Joseph Vianey, Daniel Mornet…) étant généralement peu enclins à adopter sur leurs pratiques une posture réflexive[1]. Mais des postulats et des principes, plus ou moins implicites, se laissent toujours repérer quand on se penche sur les enquêtes empiriques menées par celles et ceux qui se réclament d’une démarche historique dans leur étude de la littérature. En particulier, ces travaux font généralement une large part à des questions qui intéressent particulièrement le Séminaire littéraire des Armes de la critique (SLAC). Lanson et les lansoniens sont ainsi soucieux d’intégrer à leur approche une dimension sociologique[2], de faire droit à la réception empirique des œuvres, de réfléchir à ce que sont les déterminations pertinentes dans la survenue d’une œuvre, de s’interroger sur la place qu’il convient d’accorder aux individus dans l’étude de la littérature. Peut-on aller jusqu’à parler d’une approche « matérialiste » des phénomènes littéraires ? Le théoricien marxiste Gueorgui Plekhanov pouvait en tout cas noter, dans un article écrit avant 1914 et publié en 1934 dans Commune, qu’« en général, [Lanson] relie assez volontiers  le développement de la littérature française à celui du régime social de la France », et qu’il développe « cette idée que, la littérature étant le reflet de la société, et la société […] l’unité des contradictions, la lutte de ces contradictions détermine la marche du développement de la littérature »[3]. Beau compliment sous sa plume, même s’il est suivi de fortes réserves ! Avec de tels points de départ, les historiens de la littérature se donnent les moyens de combattre certains autres postulats critiques, comme le mythe du génie incréé, la croyance en une hiérarchie objective des valeurs littéraires, etc.

Reste à savoir s’ils le font toujours de manière convaincante : c’est devenu un lieu commun, chez les auteur-e-s étudiant l’histoire littéraire, de souligner à quel point les lansoniens se sont souvent montrés plus naïfs, plus dogmatiques, moins subtils que Lanson lui-même[4]. Et reste à savoir si, parfois, l’histoire littéraire classique n’a pas tendance à se replier – de manière peut-être un peu décevante – sur des problématiques relevant de l’intertextualité, et donc encore internes à la littérature conçue comme un ensemble relativement clos. Peut-être est-ce le danger qui menace quand on donne à l’« étude des sources » l’importance que lui a donnée l’histoire littéraire du premier XXe siècle.

Comment une approche externaliste de la littérature, soucieuse d’étudier les modalités de son inscription sociale (tant du point de vue de la production des œuvres que de leur circulation et de leur réception), peut-elle faire fond sur les travaux de Gustave Lanson, des lansoniens, et au-delà de toutes celles et ceux qui, depuis plus d’un siècle, ont renouvelé cette discipline qu’est l’histoire littéraire et dont la RHLF est encore aujourd’hui l’étendard[5] ? En particulier, quels liens peut-on établir entre une histoire littéraire d’inspiration lansonienne et une démarche plus « matérialiste », en un sens relativement strict, telle que nombre de théoricien-ne-s marxistes ou influencé-e-s par le marxisme l’ont développée depuis plus d’un siècle, de Plekhanov à Fredric Jameson en passant par Sartre, Pierre Macherey, Raymond Williams, etc. ? Et jusqu’à quel point une sociologie de la littérature peut-elle être lansonienne ? Toutes ces questions peuvent être envisagées à partir des écrits des praticien-ne-s et des théoricien-ne-s de l’histoire littéraire, mais aussi à partir des discours tenus par ses adversaires ou rivaux, formalistes et structuralistes par exemple. En tout cas, ce sont elles que nous aborderons dans la séance du SLAC qui se tiendra le vendredi 25 janvier, à l’ENS Ulm, de 9h à 12h.

Les exposés pourront prendre la forme de réflexions théoriques générales, d’études de cas, de synthèse de travaux préexistants sur certains des sujets susmentionnés, etc.

Merci aux personnes intéressées d’envoyer une proposition de 300 mots environ, d’ici le 5 janvier, aux adresses suivantes : jordi.brahamcha.etu at univ-lemans.fr, laeliaveron at hotmail.com (une réponse leur parviendra avant le 9 janvier).

Chaque communication durera environ 25 minutes, sera suivie d’une discussion et pourra donner lieu à une publication sur notre site (https://adlc.hypotheses.org/seminaire-litteraire-des-armes-de-la-critique-slac-6e-annee-2018-2019).

 

 

[1] Voir sur ce point Luc Fraisse, « Une théorie de l’histoire littéraire est-elle possible ? », in Luc Fraisse (dir.), L’Histoire littéraire à l’aube du XXIe siècle : controverses et consensus, Paris, Presses universitaires de France, 2005, p. 5-15.

[2] Voir Martine Jey, « Gustave Lanson : de l’histoire littéraire à une histoire sociale de la littérature ? », Le Français aujourd’hui, n° 145, 2004/2, p. 15-22.

[3] Gueorgui Plekhanov, « Les jugements de Lanson sur Balzac et Corneille » (trad. Jeanne Toscane), Commune, n° 16, décembre 1934, p. 298.

[4] Voir par exemple Gérard Delfau, Anne Roche, Histoire, littérature : histoire et interprétation du fait littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1977, p. 149 ; Antoine Compagnon, « Lanson (Gustave) », in Jacques Julliard, Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français : les personnes, les lieux, les moments, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 815-816.

[5] Pour une synthèse sur cette revue – et donc pour une aperçu rapide du devenir de l’« histoire littéraire » française sur plus d’un siècle – , voir Sylvain Menant, « Revue d’Histoire littéraire de la France », in Bruno Curatolo (dir.), Dictionnair des revues littéraires françaises au XXe siècle : domaine français, vol. 2, Paris, Honoré Champion, coll. « Dictionnaires et réfrérences », 2014, p. 1091-1096.