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L'essai médiatique (Paris Est Marne-la-Vallée)

L'essai médiatique (Paris Est Marne-la-Vallée)

Publié le par Marc Escola (Source : Irène Langlet)

Appel à communications

L'essai médiatique

Colloque international

Marne-la-Vallée, 25-27 novembre 2019

 

Organisatrices :

Irène Langlet, EA 4120 LISAA, Université Paris Est Marne-la-Vallée UPEM

et Chloé Ouaked, EA 1087 EHIC, université de Limoges.

 

Le programme « Essai médiatique », soutenu par l’EA EHIC (axe 3) de Limoges, a comporté un séminaire à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Limoges, de 2016 à 2018 (voir http://essaimedia.hypotheses.org). Quatre universités s’associent pour organiser le colloque final d’où sera tiré un livre synthétique : UPEM, Université de Limoges, Université de Bologne et Université Catholique de Louvain-la-Neuve (UCL).

Les langues de travail seront le français et l’anglais.

Le colloque aura lieu les 25-26-27 novembre 2019 à l’UPEM Marne-la-Vallée.

Les propositions de communication (20-30 lignes accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique) seront à envoyer pour le 15 février 2019 à I. Langlet irene.langlet@u-pem.fr et C. Ouaked chloe.ouaked@unilim.fr.

 

Argument: l’essai médiatique

De la forme inventée par Montaigne, l’histoire culturelle a fait naître une espèce littéraire qui se présente souvent comme un anti-genre, libre, critique, personnel, et dont on approche bien l’esprit quand on considère ces trois caractères comme en interaction continue, dans toutes les combinaisons : l’essai sera libre parce que critique, personnel donc libre, critique parce que personnel, libre donc critique… Cette intime interaction caractérise mieux l’essai qu’une définition comme « genre littéraire », qui restera toujours paradoxale avec un « anti-genre » revendiqué. Longtemps réservé au livre, le terme d’essai a migré vers d’autres supports et d’autres systèmes de signes : l’essai photographique, l’essai filmique, l’essai numérique, l’essai dessiné… Par « essai médiatique », nous entendons ainsi, avant tout, toute forme essayiste qui ne peut se comprendre sans tenir compte précisément de son support et du régime sémiotique impliqué, dans le vaste écosystème intermédial qui caractérise la culture contemporaine depuis plus d’un siècle.

Dans un deuxième sens, nous comprenons l’essai « médiatique » comme l’essai à succès, l’essai grand public, l’essai relayé par les mass-médias. En résistant à la tendance qui consiste à exclure du genre essayiste cette « pensée par gros concepts, aussi gros que des dents creuses » (Deleuze), il s’agit d’examiner sans a priori élitiste cette production d’essais de grande consommation, et de mesurer finement leur rapport à l’essai distingué, légitimé. Dans cette perspective, on pourra notamment s’interroger sur l’articulation entre l’essai et le type d’émotion qui lui est associé en examinant par exemple la récurrence de l’affect mélancolique dans la production auteuriste.

Au sein des « territoires de la non-fiction » tels qu’approchés en 2017 et 2018 par un colloque à Paris-3 (dir. A. Gefen, P. Daros, A. Prstojevic), la zone essayiste se définirait en se distinguant résolument de la fiction, sans recours absolument nécessaire à la notion et aux outils du récit ou du témoignage, et sans se confondre non plus avec le documentaire, l’exposé informatif ou la vulgarisation des savoirs. On y attend, conformément à ce que 4 siècles d’histoire littéraire ont sédimenté dans le nom du genre, une liberté de thème, de forme et de ton, et un dispositif de constante prise de distance, voire de spécularité ironique, avec ces catégories qu’il côtoie. Etudier un « essai médiatique » consiste donc à comprendre le transfert d’une notion littéraire à des objets qui ne le sont pas, avec ce qu’elle amène de débats, de corpus textuels et théoriques, et d’enjeux esthétiques et épistémologiques. Le cinéma, la photographie, et à travers eux les genres du documentaire ou du reportage ont entrepris ce transfert de longue date ; la bande dessinée s’y est timidement et récemment risquée ; la question a été posée au sujet de l’immense ensemble des productions numériques nonfictionnelles et personnelles, dans toute leur diversité et l’extensivité que leur procure le réseau internet à ses différentes étapes de développement, de l’hypertexte initial aux réseaux sociaux actuels, en passant par la blogosphère (Wampole, 2016) et les dispositifs transmédia.

De W. Eugene Smith à Chris Marker, les cultures visuelles ont notablement gagné, avec la notion d’essai, la reconnaissance de l’irréductible subjectivité et relativité de l’image. Dans le cas de la photo, cela a pu engager un contrepied massif contre la supposée valeur documentaire du medium, ainsi qu’une prise de distance avec le support de presse qui en était le vecteur majeur de diffusion. Le brouillage entre l’objectivité et la subjectivité se redouble d’un brouillage des supports, et nourrit la « crise de la photographie-document » (Rouillé, 2005). Une histoire de l’essai photographique met ainsi en lumière une ligne de force de l’essai médiatique : le passage d’un emploi instrumental à une expression en propre, du journal au livre. L’histoire de l’essai filmique dispense une leçon différente, plus directement liée à l’imaginaire utopique du genre : avec Eisenstein ou Richter, il s’est agi d’inventer une forme capable de montrer ce qui est difficile à voir. Le caractère expérimental des essais de l’époque Godard ou Marker ont assumé cet héritage utopique, tout en nourrissant une recherche esthétique et épistémologique, et un geste de conception et d’expression qui se reconnaît dans des films grand public, ou à la télévision, par exemple dans le « Service Recherche » de feu l’ORTF. Les médias de la presse imprimée ou hertzienne, de l’audiovisuel privé ou public sont ainsi, visiblement, instructifs sur la fortune de l’essai en régime médiatique.

En outre, le video-essay se propose comme un nouvel exemple de métatextualité visuelle à dimension pédagogique. Il permet de limiter le métacommentaire textuel à l’analyse formelle et thématique et à l’interprétation critique, sans devoir décrire les images et les séquences filmées qui y sont insérées. Le congrès ACLA de Harvard (Wampole, 2016) a discuté l’usage américain du video-essay à la fois comme outil d’évaluation pédagogique et laboratoire pratique pour une plus large alphabétisation du genre chez les chercheurs et les enseignants. Le video-essay se présente dès lors comme une des formes de l’essai médiatique grand public, et demande une analyse attentive de l’usage que la communauté digitale en fait. Le projet Detecting Transcultural Identity in European Popular Crime Narratives (DETECt), financé dans le cadre de l’ERC Horizon2020 vise à développer, au cours d’une enquête sur le genre de la crime fiction dans les productions européennes contemporaines, la connaissance et la pratique du video-essay dans le public des chercheurs, enseignants et étudiants. Un axe de recherche du colloque considérera le video-essay comme essai médiatique qui actualise, dans un système d’interaction participatif, l’ancienne fonction pédagogique des écritures essayistiques.

Etonnamment, la bande dessinée et la sphère d’internet, qui regorgent, à l’évidence, de productions de type essayiste, n’ont pas adopté le terme, sauf pour des diffusions en ligne de photo-essays ou de film-essays. On propose d’y tester la valeur heuristique du nom de genre : en choisissant de lire comme des essais la « BD du réel », ou les formes souvent subjectives de la vulgarisation illustrée ; les blogs de journalistes, d’écrivains ou de scientifiques ; les articles Facebook ; les posts des forums de critique culturelle. Qu’apprend-on de ces médias, et que nous apprennent-ils des formes actuelles de la matrice essayiste : l’alliance d’une liberté de thème et de ton, de l’erratisme de la méthode, de la réflexivité de la forme, de la critique personnelle et du style composite ?

Enfin, pour ce qui regarde l’essai imprimé, la dé-hiérarchisation culturelle postmoderne recompose les lignes de front qui définissaient la posture essayiste distinguée. Pour Macé, la « haine de l’essai » du début du XXe siècle se jouait entre gens de lettres, dans les hautes sphères où la littérature légitimée pouvait avoir prétention à la pensée et aux « idées » ; mais celle du début du XXIe siècle se déroule dans une arène plus vaste où se font face littérature de masse et littérature distinguée, discours littéraire et discours médiatique, expression verbale et expression visuelle. Pour un critique comme Stanitzek, les élites littéraires des années 1970 ont maintenu stratégiquement un concept emphatique d’essai. Entretenant à dessein une confusion entre le statut social, la position éditoriale et les caractères stylistiques et philosophiques, ce concept d’essai ressemble à s’y méprendre à un petit appareil idéologique local (Stanitzek, 2011). La polémique initiée en Allemagne par Kaube a développé des arguments comparables (cf. Langlet, 2015). Faut-il alors se résigner à considérer l’essai comme une « pathologie du retard (de la contemplation) » impliquant d’« accepter l’aristocratie de l’écriture » (Macé, 2006) ? Il s’agira de faire entrer l’étude de l’essai de plain-pied dans l’écologie discursive de l’ère numérique ou de la « troisième ère médiatique » (après celles du journal au XIXe siècle et de l’audiovisuel au XXe), où jamais nul locuteur n’a autant écrit « ce qu’il en pense ».

Le colloque se donne des objectifs théoriques et de scrutation des corpus. Il attendra donc des propositions théoriques qu’elles précisent bien leurs corpus ; inversement, il attendra des propositions d’études de cas qu’elles débouchent sur des propositions conceptuelles générales.

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Bibliographie

Azoury Philippe, « L’essai documentaire, détour pour mieux parler de soi » [entretien avec Danièle Hibon], Libération, 27 février 2002 ; en ligne, URL : http://next.liberation.fr/culture/2002/02/27/l-essai-documentaire-detour-pour-mieux-parler-de-soi_395272.

Bacqué Bertrand, Neyrat Cyril, Schulmann Clara et Terrier Hermann Véronique (dir.), Jeux sérieux. Cinéma et art contemporains transforment l’essai, Genève, MAMCO, 2015.

Bazin André, (« Lettre de Sibérie. Un style nouveau : l’essai documenté », Radio télé ciné, n°461, 16 novembre 1958).

Bluher Dominique, « Convergences et divergences : du documentaire de qualité à l’essai cinématographique », in Bluher Dominique et Pilard Philippe, Le Court-métrage documentaire français de 1945 à 1968 : Créations et créateurs, PUR, 2009.

Corrigan Timothy, The Essay Film. From Montaigne, After Marker, Oxford University Press, 2011.

Groensteen Thierry, Bande dessinée et narration. Système de la bande dessinée 2, P.U.F., 2011.

Labarre Nicolas, « Ecrire un comics universitaire : Pourquoi ? », Picturing it, Carnet de recherche visuel, 2013 ; en ligne, URL : http://culturevisuelle.org/essaysincomics/?p=32

Langlet Irène, L’Abeille et la balance. Penser l’essai, Classiques Garnier, 2015.

Lugon Olivier, Le Style documentaire : d’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Macula, 2004.

Macé Marielle, Le Temps de l’essai, Belin, 2006.

Mitchell W.J.T., « The Photographic Essay », in Picture Theory, The University of Chicago Press, 1994.

Pourvali Bamchade, L’« Essai filmé » comme forme de la modernité cinématographique, 1953-1997, thèse de doctorat soutenue à Paris-Est sous la direction de M. Cerisuelo, 2014.

Rouillé André, La Photographie. Entre document et art contemporain, Folio Essais.

Smolderen Thierry, Naissances de la bande dessinée, Les Impressions Nouvelles, 2009.

Stafford Andrew, Photo-texts. Contemporary French Writing of the Photographic Image, Liverpool University Press, 2010.

Stanitzek Georg, Essay — BRD, Vorwerk 8, 2011.

Wampole Christy, direction du panel “Where is the Essay Going ?”, ACLA Conference, Harvard (USA), 17-20 mars 2016.