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L'enthousiasme et son ombre (revue L'Atelier)

L'enthousiasme et son ombre (revue L'Atelier)

Publié le par Marc Escola (Source : Sylvie Bauer)

L'enthousiasme et son ombre 


 

L'enthousiasme, ainsi que nous le rappelle son étymologie, articule un transport, une énergie et un discours. Dans le monde grec, les figures privilégiées en sont l'oracle et le poète, le premier possédé, le second inspiré par la parole des dieux, comme en témoigne le dialogue entre Socrate et Ion. Comme si un certain régime de la parole, du discours voyait son ressort ne se donner à entendre que comme rapporté à des forces divines. L'enthousiasme est ainsi un transport dont est d'emblée marquée l'intensité, la force d'ébranlement, puisque s'y engage un pathos, qui dépossède autant qu'il possède. Il est indissociable du récit de sa double scène, celle du corps, des transes ou des fièvres qui l'accompagnent, et celle de la parole, de sa rhétorique, de ses accents et de son adresse. Il engage également un régime de la puissance dans son lien à la création, celle du temps ou d'une œuvre à venir. Il est de cette ferveur qui réapparait dans la puissance de création hors du commun qui caractérise le génie, dans les temps euphoriques de la manie, ainsi que l'évoque Aristote dans ses pages consacrées au génie et à cette ombre de l'enthousiasme qu'est la mélancolie. Il se conjugue au singulier ou au pluriel puisqu'une secte lui empruntera son nom pour désigner la ferveur religieuse sous le sceau de laquelle elle se place.

Il est également à articuler à la croisée de l'histoire et de la pensée politique, car il est au centre des crises politico-religieuses qui précèdent puis traversent les Lumières et se voit de ce fait placé sous les feux croisés de la critique philosophique. Ce dont témoignent ces débats, c'est que les lignes de différenciation selon lesquelles il est envisagé bougent : tout dépend des termes dans l'ombre desquels il est placé. En ce sens l'enthousiasme s'avère être un cristallisateur de questions épistémologiques et politiques majeures. Ainsi s'engagent sous la plume de Shaftesbury puis de Locke des débats sur les liens entre l'enthousiasme, la vertu, la connaissance. Ce qui est en jeu alors c'est l'enthousiasme comme faculté de la connaissance et moteur de l'action, en tant que registre d'une imagination visionnaire. Il peut s'y voir alors mesurer à l'aune de la raison, fût-elle don de Dieu, et mis au soupçon lorsqu'il témoigne d'une irrationalité enfiévrée ou d'une nature pathologique. L'enthousiasme, déjà distribué dans des sèmes divers dans les différentes langues, se voit alors affecté de différentes valeurs, tantôt au service du déchaînement des fanatismes et des folies meurtrières, tantôt s'alliant à la raison, à la volonté et à la pensée.

Mais du fait du régime inassignable de l'énergie dont il relève, il cristallise également les questions liées au ressentir et à l'esthétique : il est alors pensé comme affect de joie qui augmente la puissance de créer et d'agir chez Spinoza, comme modalité du sentiment sublime chez Kant, ou comme force de vie qui s'exalte dans la pensée chez Nietzsche. Souvent il s'articule alors à la peine mais la dépasse car il est épreuve de l'incommensurable. Son déchaînement enfiévré ne cesse de faire porter sur lui l'ombre d'un dérèglement pathologique : celui-ci sera tantôt transvalué en Grande Santé comme chez Nietzsche, ou au contraire sondé dans son énigme comme le fera Freud à la fois dans son exploration de la manie dans l'essai Deuil et mélancolie, et dans celle de l'identification dans l'essai Psychologie des foules et analyse du moi.

Quand il devient force historico-politique comme dans les élans révolutionnaires du XVIIIème et du XIXème siècle, il saisit les foules, noue la performativité de la parole politique aux mouvements des corps collectifs, œuvre à même la fabrique de l'histoire en faisant advenir de nouvelles formes politiques, non sans toujours comporter un risque de basculement, son ombre de terreur. Il recèle alors en lui une force d'appel et de hantise, se conjugue sur le mode d'un idéal, d'une nostalgie, ou d'une répulsion, souvent mêlant l'un à l'autre. Au XXème siècle, il cède la place à la conjonction d'exaltations au service d'une dé/raison meurtrière qui œuvre à la massification des corps collectifs. L'énergie de la fièvre, loin d'engendrer et de renouveler les liens sociaux et politiques est mise au service de l'implacable œuvre de déliaison qu'est la pulsion de mort.

Le numéro de la revue est une invitation à s'attarder sur les effets critiques que suscite ce pathos par lui-même facteur, fauteur de crise. On pourra se proposer d''interroger cet affect en crise, de la crise, à travers les généalogies qui le traversent, les intrications textuelles dans lesquelles il est appréhendé, le noyau instable et complexe que mobilisent les termes d'énergie, de liaison et de déliaison, tant dans la philosophie, la psychanalyse que dans la littérature et les arts visuels. On y interrogera les différents modes de sa puissance d'affect, dans les façons dont il traverse les corps, les formes de la représentation et des discours tantôt pour se communiquer à travers elles, tantôt pour les requérir dans un geste critique, tantôt pour les confronter à l'imprésentable.

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Les articles (30 000 – 55 000 caractères) pourront être rédigés en français ou en anglais. 

Propositions détaillées (300-500 mots) à envoyer à:

Sylvie Bauer (sylvie.bauer@wanadoo.fr) et Chantal Delourme (delourmechantal4@gmail.com).

Date limite d’envoi des propositions : 20 décembre 2017.

Date limite d’envoi des articles : 15 avril 2018

Pour toute information concernant la revue et sa politique éditoriale, consulter le site :

http://revues.u-paris10.fr/index.php/latelier