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Autour de Pilote de guerre de Saint-Exupéry : écritures de la défaite en 1939-1940 (Arras)

Autour de Pilote de guerre de Saint-Exupéry : écritures de la défaite en 1939-1940 (Arras)

Publié le par Romain Bionda (Source : Evelyne Thoizet)

Appel à communications 

Journée d’étude - 3 avril 2020

« Autour de Pilote de guerre de Saint-Exupéry : écritures de la défaite en 1939-1940 »

Université d’Artois - Arras - Laboratoire Textes et cultures, équipe TransLittéraires

 

Le 23 mai 1940, le capitaine Antoine de Saint-Exupéry survole Arras lors d’une mission aussi périlleuse qu’inutile dont il ressort miraculeusement vivant. Cette mission d’observation qui inspira en grande partie l’écriture de Flight to Arras aux États-Unis, devenu Pilote de Guerre en France, donnera lieu à des manifestations commémoratives organisées par l’association Artois Saint-Exupéry et la ville d’Arras, qui s’inscrivent plus largement dans le 80ème anniversaire de la Bataille de France.

L’équipe interne « TransLittéraires » du laboratoire de recherche « Textes et cultures » de l’université d’Artois s’associe à cette commémoration en proposant une journée d’étude, le 3 avril 2020, sur les écritures de la défaite autour de Pilote de guerre de Saint-Exupéry.

Du 10 mai au 25 juin 1940, la France vit la plus terrible débâcle de son histoire, après une guerre sans combats de dix mois, appelée « drôle de guerre » par Roland Dorgelès. Depuis le 3 septembre 1939, date de la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne qui vient d’envahir la Pologne, la France est paralysée par une stratégie défensive élaborée par un État-Major militaire passéiste et dépassé. Les populations frontalières d’Alsace et de Moselle, ainsi que du sud-est, proches de l’Italie fasciste, sont déplacées. Après des mois d’attente au front et d’atermoiements politiques à l’arrière, les événements se précipitent : le 10 mai 1940, les troupes nazies envahissent la Belgique ; le 13 mai, elles franchissent la frontière naturelle prétendument inviolable des Ardennes en contournant la ligne Maginot puis, très rapidement, conquièrent les territoires du nord et du nord-est, malgré la résistance des soldats français pourtant mal commandés et livrés à eux-mêmes (10 000 tués en 6 semaines). Les populations de ces régions fuient vers le sud pour échapper à l’étau allemand ; à l’exode de mai succède en juin un raz-de-marée humain irraisonné et incontrôlable, qui vide la France du nord de la Loire de ses habitants, jetés sur les routes dans des conditions très éprouvantes. 

Cette débâcle s’accompagne d’une crise politique, idéologique et morale dont Saint-Exupéry fait part dans sa trilogie sur la guerre et tout particulièrement dans Pilote de guerre. Enfin affecté dans le groupe de Reconnaissance Aérienne II/33 le 26 novembre 1939, il devient pilote de guerre, après des mois d’inactivité, le 3 décembre 1939, à Orconte (en Haute-Marne) : témoin d’une déroute des valeurs et du sens, il met en œuvre une écriture de la défaite que les intervenants sont invités à analyser et à faire résonner avec d’autres œuvres connues (Claude Simon, Julien Gracq, Romain Gary, Irène Némirovski etc.) ou parfois un peu oubliées (Léon Werth, André Chamson, Claude Mauriac, etc.). Ce n’est pas « l’engagement singulier » de Saint-Exupéry (sujet du colloque sur Pilote de guerre organisé par Delphine Lacroix en juin 2012) que cette journée d’étude veut distinguer mais les résonances de son écriture avec celle d’autres écrivains, penseurs, politiques, historiens, sur ce moment historique constitué par la drôle de guerre et la débâcle. 

1) Un premier axe de réflexion porte sur l’écriture spécifique, non de la guerre, mais de la défaite : les auteurs témoins observent, analysent, prennent des notes (carnets, journal) qu’ils configurent parfois en récit, d’un exode, d’une attente ou d’une vie quotidienne bouleversée ; ils réfléchissent, expliquent, ou bien échouent et renoncent à comprendre. Les œuvres produites, parfois très tardivement éditées, se caractérisent par leur hétérogénéité, d’une simple prise de notes au jour le jour à une construction narrative élaborée, émaillée de réflexions philosophiques qui confinent à l’essai. Comment l’écriture exprime-t-elle ce qui se disperse et se délite ? Quelle part est laissée au silence, aux ellipses et aux ruptures dans ces textes qui racontent l’attente de la drôle de guerre et la débâcle des deux derniers mois ? Les thèmes et motifs récurrents produisent-ils un imaginaire singulier de cette période ou bien reprennent-ils celui des guerres antérieures (de la première guerre mondiale notamment) ? 

Comment l’espace de la débâcle est-il représenté ? Quels régimes temporels caractérisent les œuvres qui racontent la drôle de guerre (attente, répétition, durée longue) et la débâcle (événement, brièveté de cette guerre éclair) ? On pourra aussi s’interroger sur l’amplitude temporelle choisie : certains auteurs se limitent aux deux mois de la débâcle (Léon Werth) ou bien commencent leur récit au début de la drôle de guerre et le terminent à l’invasion allemande (Julien Gracq). D’autres choisissent de le débuter encore plus tôt (aux accords de Munich en 1938, vrai début de la guerre selon certains historiens, voire en 1934, année des vaincus selon Chamson) et de l’étendre à l’Occupation (Irène Némirovski). Ces choix narratifs produisent des sens différents qu’il conviendra de questionner.

2) Le rapport au réel des œuvres qui portent sur cette période mérite aussi réflexion. Les récits référentiels (en histoire) se distinguent des récits non référentiels (en littérature) qui ne sont pas soumis aux critères d’exactitude et ne se réfèrent pas exclusivement au monde réel, revisitant ainsi la période considérée et l’ouvrant à des significations nouvelles (Julien Gracq, Irène Némirovski). Mais les textes factuels et les récits référentiels (carnets, journaux intimes, lettres, mémoires, chroniques, biographies, etc.) qui fondent le travail de l’historien font aussi partie du corpus proposé à l’étude.

Que l’auteur soit observateur, journaliste, historien, romancier ou essayiste (et l’identification de sa voix est importante), qu’il entretienne avec le réel une relation distanciée (ironique ou cynique, désabusée ou satirique) ou empathique, qu’il survole la France ou la parcourt à ras de terre, qu’il soit en exil ou en France, il éprouve le sentiment de vivre la fin d’un monde voire du monde civilisé. La France est devenu le « royaume du matelas » selon l’oxymore de Léon Werth, où l’on marche sans but, « la gamelle dans le dos » (Auboyneau et Verdier), jusqu’au « dernier village » décrit par André Chamson. L’action héroïque se dilue dans une attente interminable ou dans une mission absurde. Quel traitement subit alors le modèle épique du héros combattant au nom de valeurs collectives ? Le soldat (aviateur, artilleur,  fantassin, cavalier ou marin) peut-il encore croire en un destin comme Romain Gary dans La Promesse de l’aube ? Quelle est la fonction du sacré dans un univers qui se délite ? Que deviennent les valeurs morales et les rites sociaux séculaires ?

3) On pourra s’interroger en troisième lieu sur les tentatives de lutter par l’écriture contre la déliaison et la déshumanisation engendrées par la drôle de guerre et surtout la débâcle : anesthésiés par les discours (voire les chansons) qui occultent la défaite, devenus des jouets entre les mains d’une dictature qui va les écraser, manipulés par la propagande nazie et les rumeurs les plus folles, soldats et civils fuient éperdument. Aussi les auteurs cherchent-ils d’abord à rétablir une vérité, à refonder des usages qui lient une communauté : l’hospitalité n’est plus un simple rituel immémorial pour Léon Werth, c’est l’expression d’une volonté individuelle. L’essai, la biographie, le récit opposent à un monde dispersé, troué et désorienté le tissage serré d’une argumentation, d’une vie, ou d’une action.

Pour retrouver le sens perdu de cette « étrange défaite », Marc Bloch en analyse les causes bien au-delà de l’impéritie de l’État-Major. On pourra s’intéresser aux dispositifs narratifs inventés par les écrivains, tel Claude Simon qui alterne, dans L’Acacia, les années 1939-1940 avec celles de 1914 à 1919. Certes le montage lie cette guerre étrange à la précédente et en oriente le sens, mais le personnage qui raconte après coup ce qu’il a vécu constate qu’il a plaqué des phrases sur la réalité insaisissable de ce qu’on ne peut même pas appeler une guerre : « à la vérité cela n’avait ni formes définies, ni noms, ni adjectifs, ni sujets, ni complément, ni ponctuation (en tout cas pas de points), ni exacte temporalité, ni sens, ni consistance sinon celle, visqueuse, trouble, molle, indécise, de ce qui lui parvenait à travers cette cloche de verre plus ou moins transparente sous laquelle il se trouvait enfermé ».  L’expérience du « délabrement universel » (Terre des hommes, O.C. I, p. 192) à laquelle la conscience moderne est confrontée mène à l’élaboration d’une philosophie de l’absurde où s’inscrit, non sans tensions, le roman philosophique de Saint-Exupéry.

 

Calendrier

Les propositions de communication, d’une vingtaine de lignes, seront envoyées avant le 30 septembre 2019 à l’adresse suivante : evelyne.thoizet@univ-artois.fr 

Elles seront accompagnées d’une brève présentation de l’auteur.

Les actes de la journée d’étude seront publiés.

 

Coordination : Évelyne Thoizet, équipe interne TransLittéraires du laboratoire Textes & Cultures (EA 4028)

 

Bibliographie

 

Corpus d’étude indicatif

 

Saint-Exupéry, Antoine, Flight to Arras, [Reynal & Hitchcock, New York, 1942] ; Pilote de guerre, [Éditions de la Maison française, New York, 1942], Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1942, Bibliothèque de la Pléiade, tome 2, 1999.

Antoine de Saint-Exupéry, Du vent, du sable et des étoiles, édition établie par Alban Cerisier, Paris, Gallimard, Quarto, 2018.

 

Auboyneau, Robert et Verdier, Jean, La Gamelle dans le dos, mai-juin 1940, Paris, Fayard, 2012. 

Benjamin, Walter, Lettres sur la littérature, édition établie et préfacée par Muriel Pic, traduite de l’allemand par Muriel Pic avec Lukas Bärfuss, Éditions Zoé, 2016.

Bernanos, Georges, Scandale de la vérité, [1939], in Essais et écrits de combats, tome I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, p. 577-613.

–, Nous autres, Français [...], in Essais et écrits de combats, op. cit., p. 617-772.  

–, Les Enfants humiliés, Journal 1939-1940 [1949], in Essais et écrits de combats, tome I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, p. 773-905.

–, Lettre aux Anglais, [1942] in Essais et écrits de combats, tome II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995.

Bloch, Marc, L’Étrange défaite, [1946], Paris, Gallimard, Folio Histoire, 1990.

Chamson, André, André Chamson, les livres de la guerre, Paris, Omnibus, 2005.

–, Quatre mois, carnet d’un officier de liaison, op. cit., p. 167-213.

–, Le dernier village,  [Paris, Mercure de France, 1946], op. cit., p. 215-280. 

–, Écrit en 40, op. cit. p. 295-307.

Charles-Roux, François, Cinq mois tragiques aux affaires étrangères (21 mai - 1er novembre 1940), Paris, Plon, 1949.

Chaves Nogales, Manuel, L'Agonie de la France, [La agonía de Francia], Trad. Catherine Vasseur, Paris, La Table Ronde, coll. « Quai Voltaire », 2014.

Cordier, Daniel, Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon, Paris, Lattès, 1982, tome 1 ;

–, La République des catacombes, Paris, Gallimard, 1999 ;  

–, Alain Caracalla, 2009.  

Gary, Romain, La Promesse de l’aube [1960], Paris, Gallimard, Folio, 1980. 

Gracq, Julien, Un balcon en forêt, Paris, Éditions José Corti, 1958.

–, Manuscrits de guerre, Paris, Éditions José Corti, 2011. 

Guehenno, Jean, Journal des années noires, Paris, Gallimard, 1947.

Claude Mauriac, Le Temps accompli, tome IV, Travaillez quand vous avez encore la lumière, Paris, Grasset, 1996. 

Moulin, Jean, Premier combat, Paris, Éditions de Minuit, 1947.

Némirovski,  Irène, Suite française, Paris, Éditions Denoël, 2004.

Simon, Claude, L’Acacia, Paris, Éditions de Minuit, 1989.

–, Le Jardin des plantes, Paris, Éditions de Minuit, 1997.

–, La Bataille de Pharsale, Paris, Éditions de Minuit, 1969.

Vallotton, Gritou et Annie, C’était au jour le jour. Carnets (1939-1944), Paris, Payot, 1995, (préface de Dominique Veillon).

Werth, Léon, 33 jours, [Viviane Hamy, 1992], rééd. Viviane Hamy, avec la préface de Saint-Exupéry, 2015.

 

Ouvrages et revues consacrés à Pilote de guerre

Gosselin, Monique et Petit, Edmond, (dir.), Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes et Pilote de guerre, Roman 20-50, n° 29, juin 2000. 

Lacroix Delphine (dir.), Pilote de guerre, l’engagement singulier de Saint-Exupéry, actes du colloque de Saint Maurice de Remans, 29-30 juin 2012, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2013.