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Francis Carco, l'Apache des Lettres

Francis Carco, l'Apache des Lettres

Publié le par Université de Lausanne (Source : Antoine Piantoni)

Minores 19/20

Lettres modernes Minard

Volume 3

Francis Carco, l’Apache des Lettres

 

Pour beaucoup, Francis Carco (1886-1958) est et restera le romancier du Milieu, l’amateur des bouges mal famés de la Place Blanche, de Pigalle et de la Butte Montmartre, le chantre gouailleur d’une faune interlope qui mêle Apaches, marlous et femmes perdues, dans un Paris labyrinthique où les ors des Grands Boulevards peinent à tenir à distance la boue des fortifs. On ne compte plus les évocations de Carco qui reprennent la lettre adressée à Léopold Marchand dans laquelle il se promet « de foutre dans la gueule des bourgeois, des romans musclés et pourris dont ils se pourlécheront les babouines. »

Cette image, sans être totalement erronée, ne rend que très partiellement justice à l’écrivain que fut Carco. Membre de l’Académie Goncourt dès le milieu des années trente, il fut reconnu, et presque adoubé, par Paul Bourget dès la parution de son premier roman, Jésus-la-Caille, en 1914. Dans le sillage de l’auteur du Disciple tout autant que dans celui de Dostoïevski, Carco est bien l’auteur de nombreux romans qui placent sous le scalpel de l’anatomiste les soubresauts de la conscience malheureuse, pervertie ou coupable, dont L’Homme traqué qui reçut le Grand Prix du roman de l’Académie française en 1922, offre un exemple saisissant. 

Mais Carco fut d’abord poète, et jeune provincial « monté » à Paris afin de vivre le destin de ses pères en littérature, comme ses lectures de jeunesse l’attestent, de Baudelaire à Rimbaud en passant par Tristan Corbière. Carco explora tous les genres et toutes les veines de l’héritage romantico-symboliste du xixe siècle, multipliant les plaquettes et recueils, passant du poème en prose avec Instincts (1911) aux piécettes verlainiennes de La Bohème et mon cœur (1912) et des Chansons aigres-douces (1913). Cette production poétique s’épanouit au sein de l’éphémère aventure fantaisiste qui rassemble une petite pléiade provinciale s’efforçant de répondre d’une manière paradoxalement grave et légère à la crise de vers mallarméenne qui n’en finit pas de se prolonger dans le concert des avant-gardes du début du xxe siècle, se tenant sous le double patronage de Francis Jammes et Henry Bataille.

L’avant-garde préoccupe le Carco poète mais également le Carco amateur de peinture, lui qui fut l’Ami des peintres pour reprendre le titre de l’un de ses ouvrages, et qui fréquenta les rapins de la Butte et de Montparnasse et se prit de passion pour les œuvres de Modigliani ou encore Maurice Utrillo. Ses nombreuses collaborations avec peintres et graveurs comme Luc-Albert Moreau, Dignimont ou Raoul Dufy témoignent d’un fécond dialogue entre les arts picturaux et littéraires. Avant d’être un passeur ou un glosateur, Carco fut avant tout un amoureux de la peinture.

Homme de presse, de radio, d’édition, Carco multiplia les casquettes et atteignit donc une forme de respectabilité qu’il tâchera d’affermir au moyen de ses nombreux volumes de mémoires et de souvenirs littéraires, qui balisent une trajectoire mouvementée, depuis la jeunesse bohème (De Montmartre au Quartier latin, 1927, Montmartre à vingt ans, 1938, Bohème d’artistes, 1940) jusqu’à l’âge des regrets mélancoliques et nostalgiques (Nostalgie de Paris, 1941, Ombres vivantes, 1947). Cette démarche est chevillée à une volonté introspective qui fait coïncider le mémorialiste avec le moraliste dans des volumes qui interrogent l’enfance et les rapports conflictuels engendrés par le refus de l’atavisme (Mémoires d’une autre vie, 1934, À voix basse, 1938).

Auteur en son temps populaire, aux tirages très rentables, Carco semble désormais tombé dans un relatif oubli. Il a pourtant contribué de manière significative à la vie littéraire de son temps. Aussi pourra-t-on explorer les différents axes d’études suivants qui n’ont pas la prétention d’être exhaustifs :

1. Polygraphe, Carco propose une œuvre protéique et il peut être fécond de s’interroger sur les relations inter-génériques qui peuvent s’établir entre, par exemple, les romans et les reportages ou bien entre la poésie et les romans. De même, on pourra examiner dans quelle mesure les romans de Carco s’inscrivent dans une thématique ou une forme singulière ou bien commune à un genre, comment la tradition romanesque réaliste et naturaliste, notamment celle du récit de crime, se trouve prolongée ou revivifiée dans l’œuvre romanesque de Carco. Par ailleurs, dans une perspective stylistique et linguistique, comment situer les romans de Carco par rapport aux expérimentations contemporaines d’un Céline ou d’un Sartre qui exploitent les ressources de l’oralité et des sociolectes ?

2. Les contributions journalistiques de Carco peuvent également servir à mesurer la pérennité ou les altérations de la fonction de creuset de la petite ou grande presse pour la création littéraire, à la suite des travaux menés par Alain Vaillant et Marie-Ève Thérenty. En outre, quelle cohérence esthétique se dégage des contributions de Carco, tant sur le plan littéraire que sur le plan pictural ? Peut reconstituer des principes ou des positions théoriques ou bien un refus du dogmatisme ? L’étude des collaborations plus ou moins suivies de Carco avec différents journaux et revues permettrait également de cartographier les différents réseaux que l’écrivain a tissés et la visibilité éditoriale qu’ils lui ont permis d’acquérir. Carco fut en outre un fervent participant, dès ses débuts, des petites revues littéraires, tant parisiennes que provinciales, et inaugura, avec plus ou moins de succès, des périodiques littéraires qui s’inscrivaient dans la dynamique de la petite presse symboliste et post-symboliste.

3. La dimension sociologique de la figure de Carco peut sans doute également être prise en compte : la multiplicité des postures et des images que l’auteur donne de soi, tantôt poète provincial sans le sou, tantôt arpenteur méthodique du crime parisien au succès commercial notoire, ou encore académicien Goncourt respecté et courtisé. Carco concourt d’ailleurs à façonner et recomposer ces différentes images pour proposer une mosaïque troublante dans son œuvre de mémorialiste. Il s’octroie une place (rôle dans le mouvement poétique, dépositaire d’une tradition ou promoteur de novations) qu’il convient d’interroger notamment au prisme de la réception critique de son œuvre foisonnante. 

4. Le genre des mémoires offre un autre champ de réflexion notable. Mine de renseignements à lire avec précaution, cette œuvre dialogue avec celle d’autres écrivains ayant côtoyé Carco et proposé leur propre vision des événements et de la vie littéraire contemporaine. Se dessine à cette occasion une géographie parisienne qui fortifie le prestige de lieux dotés d’un capital symbolique fort comme Montmartre et Montparnasse, mais l’œuvre mémorialiste de Carco contribue également à une poétique du souvenir qui se mue très souvent en déploration élégiaque mêlant constat mélancolique de la jeunesse envolée et solitude de l’âge mûr entouré des spectres des disparus, notamment ceux fauchés par la guerre de 1914 ou emportés dans la tourmente de 1940, à commencer par les deux frères de Carco, Charles et Jean.  

5. À une époque où, comme l’a démontré Michel Raimond dans La crise du roman (1966), le roman est concurrencé par le récit biographique, Carco s’est aussi illustré par diverses publications, véritables projets au long cours ou travaux de commande alimentaires, fourbissant une galerie de portraits qui informe sur la généalogie littéraire qu’il s’est rêvée. De François Villon (Le Roman de François Villon, 1926) à Maurice Utrillo (Utrillo, 1956), Carco revient sur les existences de ses chers artistes maudits. Il fut même directeur d’une collection chez Grasset, « La Vie de Bohème », dès 1928, qui rassemble des biographies romancées de figures parfois oubliées. De quelle manière les récits de Carco reconfigurent-ils la réception des figures littéraires qu’il évoque ? En quoi contribuent-ils à la pérennité d’un imaginaire collectif autour de la vie de bohème ?

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Calendrier

Pour une publication en 2021 du volume 3 de la Série thématique « Minores 19/20 », Lettres Modernes Minard, les contributeurs sont invités à adresser leur proposition avant le 28 février 2019 (résumé d’une page maximum avec éléments biobibliographiques) à l’adresse suivante : carco.minores@yahoo.com; et, si accord, leur texte avant le 30 novembre 2019.