Actualité
Appels à contributions

"L’ailleurs par temps de mondialisation" (revue Fixxion)

Publié le par Marc Escola (Source : Jean-Marc Moura)

FIXXION n° 16. L’ailleurs par temps de mondialisation

dirigé par Charles Forsdick, Anna-Louise Milne et Jean-Marc Moura

L’ailleurs est une possibilité narrative dont les séductions demeurent intactes, même s’il s’est singulièrement rapproché en ce début de siècle placé sous le signe de la mondialisation. Entendu ici comme un espace géographiquement et historiquement situé – à la différence des mondes imaginaires, de la Garabagne à l’utopie ou à la science-fiction –, il constitue une scène où l’Autre devient accessible et où l'altérité est mesurée à partir d'un être-au-monde commun, d'une histoire partageable. Il permet ainsi une confrontation avec l’inconnu à laquelle peut être attribuée une salutaire qualité de dépaysement, parfois même une valeur initiatique, comme ce fut le cas pour J.M.G. Le Clézio avec les Indiens du Mexique ou, dans la direction inverse, pour Idriss dans La Goutte d’or de M. Tournier.

Le temps est-il encore au récit de voyage ?

Michel Butor (la série des Génie du lieu) ou Nicolas Bouvier (L’Usage du monde) en ont renouvelé les cadres, mais l’arpentage du monde suit peut-être aujourd’hui d’autres voies, dans le sillage de Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie), de Patrick Deville (Kampuchéa), d’Olivier Rolin (Le météorologue) ou de son frère Jean (Peleliu). Le roman du voyage, si le terme convient, permet de mettre en place une morale de l’action que les circonstances historiques de l’Europe permettent difficilement d’imaginer, et il garde aussi une importance critique, parce qu’il favorise une prise de conscience des clichés. Les modalités de la mise à distance sont alors multiples, allant de l’échange au rejet, du respect ambigu à la mesure de soi-même. Mais, dans sa version industrielle, celle du tourisme de masse, le voyage devient lui-même objet de satire, chez Michel Houellebecq évoquant le tourisme sexuel (Plateforme) ou chez Laurent Mauvignier dans Autour du monde. Les positions ne sont néanmoins pas toujours aussi tranchées, et le même Mauvignier peut avec Continuer attribuer au voyage une valeur éducative, voire rédemptrice. Ne reste-t-il, dans un monde voué à la spécialisation folklorique et au catalogue de la patrimonialisation, que des ailleurs de pacotille ? Ou au contraire la mondialisation induit-elle une nouvelle morale du regard ?

Où trouver cet ailleurs qui s’évanouit ?

Dans un renversement significatif, c’est moins vers l’Ouest que se tourne une génération récente que vers une Russie à la fois littéraire et réelle. C’est sur les traces de grands écrivains d’autrefois, à l’instar de Dumas, Custine, Mme de Staël, Diderot et de tant d’autres, que vont (vers l’Est) Maylis de Kerangal (Tangente vers l'est), Sylvie Germain (Le Monde sans vous), Olivier Rolin (Sibérie), Dominique Fernandez (Transsibérien), Mathias Enard (L'Alcool et la Nostalgie), ou encore Danièle Sallenave (Sibir). On peut encore y ajouter  Cédric Gras (Vladivostok, Neiges et moussons), Eric Faye et Christian Garcin (En descendant les fleuves), la Québécoise Astrid Wendlandt (Au bord du monde), ou la Suissesse Aude Seigne (Chroniques de l'Occident nomade).

Cet ailleurs peut être géographiquement proche de la France, comme dans le cas de ce qu’on nomme la “francophonie du Nord”, pour des auteurs tels le Belge Pierre Mertens, les Suisses Jacques Chessex et Aude Seigne ou les Québécois Réjean Ducharme et Astrid Wendlandt, avec l’itinéraire si particulier entre Québec, Orient et France d’un Wajdi Mouawad. Ou plus éloigné quand il s’agit de l’Afrique, qu’elle soit du Nord – on songe au Maghreb d’un Tahar Ben Jelloun, d’un Rachid Boudjedra, d’un Kamel Daoud ou d’un Kebir Ammi – ou subsaharienne. Aux grands auteurs post-coloniaux ont succédé des écrivains tels Gaël Faye, Alain Mabanckou, Leonora Miano ou Tierno Monénembo qui souvent évoquent leur relation à ce territoire français ressemblant pour eux à un ailleurs sans l’être vraiment. Ils le font parfois sur le mode humoristique (Abdourahman Waberi, Aux Etats-Unis d’Afrique). On peut aussi songer aux ailleurs de l’océan Indien, évoqué dans les œuvres de Natacha Appanah, Ananda Devi ou Jean-Luc Raharimanana, ou de l’océan Pacifique, chez Chantal Spitz ou Déwé Gorodé.
La question est moins de spatialiser les relations que de se demander ce que ce pivotement de point de vue apporte et comment il renouvelle les formes narratives. Les Caraïbes – que ce soit Haïti, notamment décrite par Dany Laferrière et Louis-Philippe Dalembert, ou les Antilles – sont propices à ce décalage du regard et des langues. Maryse Condé (Hérémakhonon) ou Simone Schwarz-Bart (Ti Jean L’Horizon) s’intéressent à la relation entre l’Afrique et l’archipel caribéen, qui peut d’ailleurs être envisagée dans le souvenir de la sinistre traversée transatlantique (Edouard Glissant, Sartorius ; Patrick Chamoiseau, L’Esclave vieil homme et le molosse). On peut aussi, comme Glissant, tenter de penser la relation entre les différentes îles des Caraïbes, comme autant d’ailleurs les unes pour les autres, avant d’envisager une relation générale mettant en mouvement tous les ici et tous les ailleurs (Tout-Monde et Traité du Tout-Monde).

Ce décentrement concerne évidemment les écrivains de langue française issus d’espaces non francophones. Vassilis Alexakis, François Cheng, Dai Sijie, Nancy Huston, Milan Kundera ou Andréï Makine, parmi bien d’autres auteurs, appartiennent au paysage littéraire français, tout en se réclamant d’un ailleurs originel qui confère à leur œuvre sa singularité et qui, en même temps, vient subtilement brouiller les frontières entre les cultures.

Un ailleurs de quoi ?

L’ailleurs supposait un centre, dont il fallait s’arracher. Mais sur une terre globalisée, aux centres multiples et mobiles, comment continuer de penser cet envers ? Que se passe-t-il quand c’est de l’ailleurs que s’opère ce renversement ? Quels en sont les modes nouveaux de récit ? Il sera indispensable de faire une part importante aux écrivains qui écrivent en français sans être Français, parce qu’ils instaurent, à partir de leur culture, une relation particulière entre ici et ailleurs, une condition créatrice hybride où les termes de l’identité et du lieu se voient brouillés.
Comment les auteurs construisent-ils ou déconstruisent-ils les relations entre un ici et un ailleurs ? Quels types de représentation en donnent-ils ? Quels sont les formes, les buts, les effets de ces écritures contemporaines de l’ailleurs ? On pourra éventuellement poser la question des médiations culturelles, sociales, idéologiques qui orientent le regard d’un écrivain, qui le précèdent et le déterminent, parfois à son insu, constituant un élément décisif pour la genèse d’une œuvre.

Telles sont quelques-unes des questions que le prochain dossier de Fixxion voudrait poser, dans les limites de la production romanesque en langue française depuis les années 1980. On privilégiera les études problématiques plutôt que monographiques. Il s’agit moins de cartographier les lieux possibles d’un exotisme dépassé que se demander ce que la mondialisation produit comme figures – paradoxales, retournées, réactivées – de l’ailleurs.

Suggestions bibliographiques:

Amselle, J.L., Rétrovolutions. Essais sur les primitivismes contemporains, Paris, Stock, 2011

Appadurai, A., Modernity At Large: Cultural Dimensions of Globalization. Minneapolis, U. of Minnesota Press, 1996

Apter, E.,The Translation Zone: A New Comparative Literature, Princeton U.P., 2006

Ascari, M., Literature of the Global Age: a Critical Study of Transcultural Narratives, Mc Farland Publ., 2011

Belleau, Jean-Philippe, Ethnophilie. L’amour des autres nations, Presses Universitaires de Rennes, 2015

Beniamino, M. : La Francophonie littéraire. Essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan, 2000

Damrosch, D., World Literature in Theory, Wiley/Blackwell, 2013

Ette, O., ZwischenWelten Schreiben, Berlin, Kadmos, 2005

Gauvin, L., La Fabrique de la langue, Paris, Seuil, 2004

Hargreaves, A., Forsdick, C., Murphy, D. (éds): Transnational French Studies. Postcolonialism and Littérature-monde, Liverpool U.P., 2012

McDonald, C., Suleiman, S. (dir.), French Global. A New Approach to Literary History, Columbia U.P., 2010

Moretti, F., “Conjectures on World Literature”, New Left Review (Jan-Feb. 2000)

Porra, V., Langue française, langue d’adoption. Une littérature “invitée” entre création, stratégies et contraintes (1946-2000), Hildesheim-New York, Georg Olms Verlag, 2011

Provenzano, F., Historiographies périphériques. Enjeux et rhétorique de l’histoire littéraire en francophonie du Nord, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2011

Sapiro, G. (dir.), Les Contradictions de la globalisation éditoriale, Paris, Editions du Nouveau Monde, 2009.

Les propositions de contribution, environ 300 mots en français ou en anglais, sont à soumettre par le biais du site et à envoyer d’ici le 1er juin 2017 à Charles Forsdick (c.forsdick@liverpool.ac.uk), Anna-Louise Milne (anna-louise.milne@ulip.lon.ac.uk); ou Jean-Marc Moura (jean-marc.moura@u-paris10.fr).

Les articles définitifs seront à remettre avant le 1er décembre 2017.

                            ‘Elsewhere’ in the time of globalization

edited by Charles Forsdick, Anna-Louise Milne and Jean-Marc Moura

‘Elsewhere’ remains a narrative possibility, a coordinate that is nowhere precise, even though globalization has spread its parameters and its perceptual apparatus ever more extensively across the planet. As a notion it designates a geographically and historically situated space, not an imaginary world. Its value is to establish a scene that is other to the one where we are, that is other to where our story is perhaps anchored. It is when elsewhere that we encounter the Other, away from our shared being-in-the-world. Sometimes elsewhere implies a change of scenery; sometimes we go elsewhere without any ostensible movement.

This issue of Fixxion will explore ‘elsewhere’ through a series of approaches. We will measure the distance to ‘elsewhere’ against the sorts of peregrinations that have given rise to our contemporary concept of travel literature. While Michel Butor (the series Génie du lieu) or Nicolas Bouvier (L'usage du monde) transformed this practice from its nineteenth-century origins, contemporary writers have again redirected its modes and its attentions towards new paths. We might think of Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie), Patrick Deville (Kampuchéa), Olivier Rolin (Le météorologue) or his brother Jean (Peleliu). Meanwhile, in its industrial version, that of mass tourism, the journey has become an object of satire with Michel Houellebecq evoking sexual tourism (Plateforme) or Laurent Mauvignier in Autour du monde. Here the quest for an elsewhere just seems to lead to narcissism and junk culture. Yet the positions are not always so clear-cut, and the same Mauvignier seems in Continuer to be closer to the sort of redemptive aspirations that have been traditionally associated with the formative experience of travel. So is there still an elsewhere to explore through the patient or laborious traversal of a corner of the globe? And have the ethical stakes in that patience, or that labour, changed?

It seems perhaps particularly significant that for a number of contemporary writers of French the turn East, and particularly towards Russia, has been such a significant move. They follow, of course, in the footsteps of many illustrious predecessors, such as Diderot, Dumas, Custine and Madame de Stael, but our working hypothesis is that this great continental expanse between Europe and Asia offers the likes of Maylis de Kerangal (Tangente vers l'est), Sylvie Germain (Le monde sans vous), Olivier Rolin (Sibérie), Dominique Fernandez (Transsibérien), Mathias Enard (L'alcool et la nostalgie) and Danièle Sallenave (Sibir) a very different elsewhere today, inseparable from the forces of globalisation. To these authors we might add Cédric Gras (Vladivostok, Neiges et moussons), Eric Faye and Christian Garcin (En descendant les fleuves), as well as the Quebecer Astrid Wendlandt (Au bord du monde), and the Swiss Aude Seigne (Chroniques de l'Occident nomade).

And we must also look to the other points of the compass, towards the writing in French on the African continent and as well as West, towards the Americas, with perhaps particular interest in authors who have moved through these spaces and hold within their writing their multiple inflections. We might think of the itinerary between Quebec, Orient and France of a Wajdi Mouawad. Or of North African and Sub-Saharan writers whose trajectories are both Northwards and Westwards, following the paths mapped out by colonial rule, now often supplemented and even circumvented by new pressures on global displacement. From Tahar Ben Jelloun, Rachid Boudjedra, to Kamel Daoud or Kebir Ammi, or Gaël Faye compared with Alain Mabanckou, Leonora Miano and Tierno Monénembo. Where does elsewhere exist or subsist in their writing? And what about in the works of Natacha Appanah, Ananda Devi or Jean-Luc Raharimanana, or those of Chantal Spitz or Déwé Gorodé.

Our objective is less to spatialize relationships than it is to ask what happens to elsewhere when there is no obvious, or unquestioned centre from which to detach. How does generalised migration across the globe of things and people open up new spaces for elsewhere – for an ‘ailleurs’ – to take shape, to find form, in writing in French? And is the choice of French, by authors for whom the language is not a language ‘of birth’ or the only language of expression - Vassilis Alexakis, François Cheng, Dai Sijie, Nancy Huston, Milan Kundera or Andrei Makine – prompted by these possibilities for elsewhere?  

These are some of the questions that the next issue of Fixxion would like to ask of novel production in the French language since the 1980s. We intend to emphasize approaches that offer new ways of problematizing our conceptions of ‘elsewhere’ rather than monographic studies. It is less a matter of mapping the places where an outdated exoticism might linger than wondering what sort of paradoxes and possibilities remain ‘elsewhere’ and whether the first of those paradoxes might lie in the slippery slopes between adverbial and nominal forms, between process and substance, between how and where…

Proposals for papers, about 300 words in French or in English, should be sent by 1 June 2017 to Charles Forsdick, Anna-Louise Milne and Jean-Marc Moura.

The final papers will be submitted on this site (Submissions) by 1 December 2017 for evaluation by the committee of the Critical Review of Contemporary French Fixxion.