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Fabula-LhT : Le Moyen Âge pour laboratoire 

Fabula-LhT : Le Moyen Âge pour laboratoire

Publié le par Jean-Louis Jeannelle

 

                     Fabula-LhT, n° 20 : Le Moyen Âge pour laboratoire

                     Numéro dirigé par Florent Coste (École française de Rome) : florent.coste@orange.fr

 

En quels termes un homme médiéval pourrait-il bien décrire une œuvre littéraire du xviie siècle, du xxe siècle ou du début du xxie siècle ? C’est sous la forme d’une telle expérience de pensée que ce numéro voudrait articuler le médiéval et l’ultérieur, en particulier le moderne et contemporain, en faisant le pari que l’homme médiéval ne serait pas totalement à cours de mots face à une œuvre qui lui est, aux yeux de l’historien, amplement postérieure.

Paul Zumthor aussi bien que Hans Robert Jauss nous ont appris que la distance historique qui nous sépare du Moyen Âge peut produire un sérieux effet de défamiliarisation avec notre propre sens de la littérature. Pour appréhender ce qui peut nous sembler le plus proche, la littérature moderne et contemporaine, ne pourrait-il pas être profitable d’envisager un détour par le plus lointain – un Moyen Âge dont les œuvres dépaysent nos catégories les plus usuelles. Quelles descriptions pourrions-nous alors produire d’œuvres du xviie ou du  xixe siècle si nous adoptions à cet effet des catégories, des échantillons ou des référents médiévaux ? À quelle pensée du contemporain accèderait-on si on acceptait ainsi d’enjamber tout ce qui sépare la littérature médiévale des œuvres qui s’écrivent et se publient aujourd’hui ? Verrait-on nos corpus reconfiguré ou nos canons redistribués par les déplacements des frontières littéraires ainsi causés ? En faisant l’économie de toutes les mythologies sur la « rupture romantique » ou de la « modernité », en s’abstenant aussi bien, et délibérément, de toute hypothèse sur des influences ou des filiations historiques, cette livraison de Fabula-LhT invite à mettre entre parenthèses, comme dans une expérience de laboratoire, les conditions historiques de composition ou de lecture de telle ou telle œuvre médiévale, pour se permettre d’en exporter, en dépit de l’Histoire, tout le potentiel de renouveau conceptuel.

Il en irait par conséquent ici de lectures médiévales du contemporain (et non de lectures contemporaines du médiéval). En se tenant à bonne distance du plagiat par anticipation ou d’une archéologie médiévale du contemporain, et en inversant la procédure même du médiévalisme (entendu comme l’étude de la réception du Moyen Âge par la « modernité »), l’expérience de pensée portée par ce numéro de Fabula-LhT invite ainsi à ne pas regarder le Moyen Age comme une « période », comme une « époque », ou même comme un « corpus » de références propres au réemploi ou à la rémanence. Au contraire, on travaille ici à le considérer comme un point de vue d’où il est profitable de reproblématiser ou de redécrire tout ou partie de la littérature moderne et contemporaine.

En somme, il apparaîtrait comme un bric-à-brac, dans lequel puiser des objets textuels au fonctionnement symbolique insolite, pour bousculer nos habitudes de description poétique et stimuler notre imagination théorique. Dans un atelier, il arrive que les matériaux à disposition nécessitent de confectionner de nouveaux outils pour les manipuler et les travailler. Il arrive aussi que ces outils développent nos capacités d’action autrement qu’attendu. Dans cet atelier théorique qu’est le Moyen Âge, les matériaux sont pour nous les manuscrits médiévaux, et les outils les concepts issus de nos théories littéraires. Quelles surprises nous réserve donc cet atelier ? Sans doute pensera-t-on à retravailler sur la mouvance de l’œuvre médiévale, aux formes continuées et collaboratives de création qui président à sa transmission, aux modes de collection et d’organisation de textes pluriels, dans des entités cycliques, compilés, modulaires ou combinables. Probablement faudra-t-il s’interroger sur les possibilités de transformation théorique, au-delà même du Moyen Âge et de la médiévistique (que recèlent, par exemple et entre autres, les pistes de la New Philology). Plus généralement, n’y a-t-il pas à rediscuter l’autonomie du fait esthétique à l’aune de pratiques qui s’en passaient très bien ?

Cet appel s’adresse, sans exclusive, aux médiévistes, aux contemporanéistes et aux spécialistes des autres périodes. Un tel projet réclame seulement de conjoindre un effort de modélisation théorique, une connaissance fine de l’écriture médiévale et un souci d’articulation à des pratiques modernes ou contemporaines. L’objectif est bien de retraduire dans des termes qui nous sont compréhensibles ce que l’homme médiéval traduit en ses propres termes face à une œuvre moderne ou contemporaine. On doit par conséquent s’autoriser l’inventivité qu’un tel détour d’imagination suppose, quitte, si on le souhaite, à effectuer des lectures croisées, à écrire à quatre mains. Il est aussi possible de faire l’expérience de pensée à l’intérieur de formats d’écriture médiévaux (commentaire, glose, question, etc.) ou de faire un usage plus ou moins intensif des langues médiévales (latine ou vernaculaires).

 

Les textes soumis devront être adressées avant le 30 juin 2017 aux adresses suivantes : romain.bionda@unil.ch  et jeannelle@fabula.org. Ils seront évalués de manière anonyme, conformément aux usages de la revue. La version définitive des textes sélectionnés sera à remettre au plus tard le 1er septembre 2017.

 

 

Éléments de bibliographie

R. Howard Bloch, Alison Calhoun, Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Joachim Küpper et Jeannette Patterson (dir.), Rethinking the new Medievialism, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2014.

Pierre Chastang, « Archéologie du texte médiéval. Autour de travaux récents sur l’écrit au Moyen Âge », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2008/2, 63e année, p. 245-269.

Michèle Gally et Vincent Ferré, « Médiévistes et modernistes face au médiéval », Perspectives médiévales [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014. [URL : http://peme.revues.org/5761]

Hans Robert Jauss, « Littérature médiévale et expérience esthétique. Actualité des Questions de littérature de Robert Guiette », Poétique, n° 31, 1977, p. 322-336.

Hans Robert Jauss, « The Alterity and Modernity of Medieval Literature », New Literary History, vol. 10, n° 2, 1979, p. 181-227

Mireille Seguy et Nathalie Koble (éd.), « Le Moyen Âge contemporain. Perspectives critiques », Littérature, n° 148, 2007/4.

Paul Zumthor, Parler du Moyen Âge, Paris, Éditions de Minuit, Critique, 1980.