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Dubuffet vs la Culture (Rennes)

Dubuffet vs la Culture (Rennes)

Publié le par Romain Bionda (Source : Brun Baptiste)

Université Rennes 2

Jeudi 6 avril 2017

 

Résumé :

Jean Dubuffet a produit une « critique de la culture », projet éminemment culturel et paradoxal qui vise un « en dehors » de la culture tout en sachant que de tels « en dehors » ne sont, comme il dit, que des « chimères » ou des « mirages ». Cette « critique de la culture » qu’il présente comme un nihilisme actif répondant joyeusement au nihilisme de la culture occidentale a des accents à la fois rousseauiens et nietzschéens, mais ne sombre jamais dans le « primitivisme ». L’objectif de cette journée d’étude est de décrire cette critique sous ses diverses espèces — car Dubuffet la formule théoriquement et l’exerce à travers ses pratiques artistiques (peinture, sculpture, musique, édifices…) — et d’en préciser l’esprit. Quelles énergies s’est-il appropriées pour la formuler ? Qui l’a suivi ? Qui s’est montré réservé ? Quelle est son actualité ? Et quel est son devenir ?

 

Annonce :

Cette journée d’étude aura lieu à l’université Rennes 2 le jeudi 6 avril 2017. Elle est organisée par Baptiste Brun (Histoire et Critique des Arts, EA 1279, Université de Rennes 2) et Christophe David (Histoire et Critique des Arts, EA 1279, Université de Rennes 2).

 

Argumentaire :

Jean Dubuffet (1901-1985) a produit une œuvre obéissant à une logique paradoxale et tirant une partie de sa force de la contradiction dans laquelle elle se meut. Cette contradiction, c’est celle de toute « critique de la culture », projet éminemment culturel, qui vise un « en dehors » de la culture tout en sachant que de tels « en dehors » ne sont, comme dit Dubuffet, que des « chimères » ou des « mirages ».

Dubuffet est au clair sur ce qu’il entend par « culture » : « Dans la définition même de ce qui est visé par le terme de culture, il y est question de plus ou de moins, car la culture commence avec le langage même, voire avant même qu’il n’apparaisse : ne plus chier dans ses langes est déjà de la culture ». Il est au clair également sur le caractère chimérique de ces « en dehors » de la culture qu’il vise : « Le chimérique a ses degrés comme a les siens la consistance et, par ailleurs, il est aussi, suivant les cas — et les moments —, plus ou moins consenti. Il y a le chimérique involontaire et le chimérique délibéré, assumé en toute lucidité, puissante arme offerte à chacun contre le réel, […] contre l’ordre ».

À prôner une telle méthode, le risque est grand.

D’ici à ce qu’on dise que celui qui vise des chimères et des mirages cède au « mythe » de l’anti-culture, il n’y a qu’un pas. Gaëtan Picon l’a franchi dans une lettre et la réponse de Dubuffet vaut d’avance pour toutes les réserves analogues : « Vous parlez dans votre lettre du “mythe” de l’anti-culture ? On appelle mythe quelque chose dont on fait état et qui en réalité n’existe pas. Or la culture est quelque chose qui existe. La déférence à la culture, le conditionnement de la culture sont des choses qui existent chez chacun à dose de plus ou de moins. Le désir de s’en libérer ou, tout au moins, s’en distancer, le désir d’explorer, d’expérimenter, d’adopter des véhicules autres que celui que la culture nous a imposé (je veux dire : un autre regard sur le monde, une autre interprétation de celui-ci, un autre vocabulaire et, par suite, une autre forme de manipulation de ce vocabulaire, donc une autre pensée), ce désir existe : il se rencontre chez certains — en plus ou en moins. Il n’est pas un mythe. Je sais bien que nous sommes si fortement conditionnés par la culture que nous ne pouvons jamais nous affranchir totalement de son conditionnement, de références à elle. Mais que nous ne puissions le faire totalement n’empêche pas qu’on puisse le faire un peu (plus ou moins) et qu’au moins on soit — ou ne soit pas — en désir de le faire. Donc cela existe, c’est une position d’esprit qui existe ». Ce désir, cette position d’esprit sont la condition de l’œuvre.

Son travail considérable de peintre et de sculpteur, son infatigable activité d’écrivain, ses expériences musicales et théâtrales, ses séjours au Sahara, lieu propice à l’apparition de mirages – désertant la culture occidentale, Dubuffet n’y trouvera pas un désert de culture, mais la puissante culture du désert –, ou encore sa quête de l’art brut sont portées par l’esprit de cette critique de la culture et visent d’autres chimères et d’autres mirages. « L’œuvre de Dubuffet dans sa totalité peut apparaître comme la chronique de ses longs démêlés avec la culture », résume Max Loreau. « Dans sa totalité » : dans le propre travail de Dubuffet où les Matériologies peuvent être regardées comme de la « peinture contre culture » et où L’Hourloupe peut apparaître comme une « para-culture » superposée à la culture tout comme dans sa quête de l’art brut qu’il définit comme un art réalisé par des personnes « indemnes de toute culture artistique ».

Cette critique de la culture à des accents à la fois rousseauiens et nietzschéens.

Comme Rousseau, Dubuffet a pu présenter ses positions comme « anti-culturelles ». Là où Rousseau dit, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes que la raison, avant-poste de la culture, « [vient] à bout d’étouffer la nature », Dubuffet déclare la culture asphyxiante. Là où Rousseau dit, dans l’Essai sur l’origine des langues, que l’écriture « altère » la langue, Dubuffet fait de celle-ci le principe d’une « civilisation de la congélation » — ce qui ne les empêche pas l’un et l’autre d’écrire.

Dans le sillage de Nietzsche — à la voix duquel Dubuffet joint sa voix lorsqu’il réclame un « art qui danse » —, il a réfléchi sur le nihilisme et les valeurs. Tout comme Nietzsche, il distingue un nihilisme passif et un nihilisme actif ou productif. Le nihilisme passif, celui qui a fait de la culture occidentale ce qu’elle est devenue, c’est souvent avec des accents rousseauiens qu’il le stigmatise. L’idée nietzschéenne d’un nihilisme actif, il l’a faite sienne : il n’hésite pas, quand il en parle, à dire « mon nihilisme ». Ce nihilisme actif « agit, dit-il, à la manière d’une formation d’un vide qui force la pensée à secréter de quoi le combler ». Chez Dubuffet comme chez Nietzsche, le nihilisme actif est joyeux : « Point de rire, point de gaieté donc, ni d’humour où l’eau n’est pas nourrie du gaz nihiliste ». Le nihilisme actif se doit d’être pétillant. Une valeur à laquelle Dubuffet, philosophe artiste, fait souvent subir le double geste de critique /transmutation qui caractérise le nihilisme actif est le Beau. Du Beau, conçu comme vénusté, Dubuffet fait la généalogie et considère qu’il est une valeur empruntée à une culture étrangère, la culture grecque antique, ce qui va le mener, comme Rousseau et Nietzsche, à reconsidérer l’Antiquité grecque en tant qu’origine de la culture occidentale. La critique du Beau sera un axe de la critique dubuffétienne des valeurs, une critique menée sur tous les fronts : philosophie, peinture, sculpture, musique, théâtre, etc. Elle donne une idée de ce qu’est cette critique/transmutation dubuffétienne quand elle fonctionne à plein régime sur tous les fronts.

Au carrefour des arts, de la philosophie, de l’anthropologie, de l’ethnologie, de la psychiatrie, etc. Dubuffet revient sur l’opposition sauvage vs. civilisé en visant à travers sa critique de la culture une sauvagerie occidentale. Mais attention, ce n’est pas de « primitivisme » qu’il s’agit. Dubuffet récuse d’avance cette lecture. La tentation est grande de réagir à Dubuffet comme certains ont réagi (et continuent à réagir) à Rousseau (qui n’a jamais parlé de « bon sauvage ») pour mieux le neutraliser. Ni l’un ni l’autre ne sont primitivistes.

 

L’objectif de cette journée d’étude est de décrire cette critique de la culture sous ses diverses espèces — car Dubuffet la formule théoriquement et l’exerce à travers ses pratiques artistiques (peinture, sculpture, musique) — et d’en préciser l’esprit. Outre de Dubuffet lui-même et de sa critique, on y parlera aussi des énergies qui ont alimenté ou orienté cette critique (Jean-Jacques Rousseau, Arthur Schopenhauer, Friedrich Nietzsche, Dada, Marcel Mauss, Louis-Ferdinand Céline, Henri Michaux, Antonin Artaud, Jean Paulhan, Raymond Queneau, etc.) ainsi que des artistes et auteurs qui l’ont relayée (Asger Jorn, Claes Oldenburg, Raymond Hains, Jacques Villeglé, Jean-Michel Basquiat, Claude Simon, Gilles Deleuze et Félix Guattari, Hubert Damisch, Gilbert Lascault) et de ceux qui ont émis des réserves à son endroit (Jean Tinguely, Witold Gombrowicz, Raoul Vaneigem, Pierre Bourdieu, Henri Meschonnic, etc.). On s’interrogera aussi sur l’actualité et sur le devenir de cette critique.

 

Modalités de soumission :

L’appel s’adresse à des chercheuses et chercheurs travaillant en philosophie de l’art, histoire de l’art, sociologie, musicologie, histoire littéraire, théorie littéraire, anthropologie, etc.

Les propositions de communication en français, allemand, anglais ou espagnol (titre de la contribution et résumé de 15 à 20 lignes) devront être envoyées au plus tard le 28 février 2017 à Baptiste Brun (brunbaptiste@yahoo.fr) et Christophe David (christophe.t.david@wanadoo.fr). Elles seront accompagnées d’une notice de 5 à 6 lignes (nom prénom, rattachement universitaire s’il y a, articles ou livres marquants). Les communications n’excèderont pas 25 minutes et pourront être prononcées en langue française ou anglaise.