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Épistémocritique (Romantisme)

Épistémocritique (Romantisme)

Publié le par Romain Bionda (Source : Éléonore Reverzy)

Épistémocritique
Numéro de
Romantisme coordonné par G. Séginger, 2019/1

Si les échanges entre science et littérature sont anciens, au tournant entre le XVIIIe siècle et le XIXe siècle un contexte scientifique et culturel nouveau (sur lequel pèse de moins en moins le poids de la religion), la promotion de nouvelles sciences dans le domaine de l’histoire de la terre et du vivant (qui recourent au récit et aux spéculations pour mettre en forme leurs connaissances), puis une promotion des savants grâce à la Révolution et la multiplication des institutions et des lieux de sociabilité communs donnent une impulsion nouvelle à l’échange entre la littérature et les savoirs. La littérature elle-même devient un objet d’étude : une critique et une histoire de la littérature se développent, prenant en compte son historicité et son rapport au milieu et au contexte culturel, tandis que l’historiographie s’intéresse de plus en plus au rôle historique des idées, des représentations et des savoirs qui participent à la transformation des mentalités et ont un rôle dans le cours de l’histoire. Ainsi la littérature en vient parfois à être considérée comme l’agent d’une transformation historique : elle agit par les représentations, les savoirs, la sensibilité qu’elle diffuse. Se développe alors une conscience de l’historicité des savoirs et des représentations, de la complexité de leur genèse, de leur action socio-culturelle, voire politique. Au xxe siècle, le développement d’une histoire des idées crée un continuum entre la science et la culture, tandis que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre le partage des « deux cultures » (C. P. Snow en 1959) même parmi les scientifiques (voir les livres de Jean-Marc Levy-Leblond) ou les philosophes des sciences (Vincent Jullien, Sciences, agents doubles en 2002). Quelques travaux commencent même à paraître à partir des années 1970 sur le rôle de l’imagination et de la culture dans l’invention scientifique, tantôt écrits par de scientifiques comme le physicien Gérald Holton (L’imagination scientifique. Étude de cas, 1978), tantôt par des littéraires comme Fernand Halluy (spécialiste de poésie baroque) qui publie en 2004 Les structures rhétoriques de la science de Kepler à Maxwell. Dans les années 1920 à 1960, les travaux d’Alexandre Koyré sur les changements de « schémas structurels » dans les conceptions du monde, qu’il désigne aussi comme des « révolutions » selon une conception discontinuiste de l’histoire générale des représentations, développent aussi l’idée d’une culture globale. L’archéologie des savoirs pratiquée dans les années 1970-1980 par Michel Foucault reprend l’idée de révolutions épistémologiques pour montrer comment se mettent en place de nouvelles structures du savoir communes à l’ensemble des disciplines mais aussi à la culture, comment s’inventent de nouveaux objets communs (la vie et l’organisation interne des êtres vivants par exemple au xixe siècle), comment s’élaborent des régularités discursives qui traversent des champs de la connaissance et de la pensée différents. Les travaux de Bakhtine sur le dialogisme (traduits en français en 1970), sans faire du rapport entre savoir et littérature leur objet d’étude, postulent néanmoins l’existence d’un « acte culturel créateur », ce qui permet de rapprocher « l’acte cognitif » et « l’acte artistique » et de fonder une idée du texte plus dynamique, dont l’écriture provient de la rencontre et de la fusion d’énoncés et de voix diverses.

C’est dans ce contexte où se multiplient des théories du texte, du dialogisme, où l’histoire des idées se transforme, où émergent les idées de révolutions épistémologiques et de régularités discursives par-delà les frontières disciplinaires, et où surtout le rôle de la littérature et de la culture est réévalué dans un ensemble, que se formulent dans les années 1990 les questionnements propres à l’épistémocritique (Michel Pierssens emploie pour la première fois le terme dans Savoirs à l’œuvre). Forte de tout un arrière-plan théorique, l’épistémocritique s’affirme contre l’approche simpliste des savoirs dans le texte littéraire : il ne s’agit plus de faire une critique des sources, un repérage de connaissances scientifiques mais d’expliquer la réécriture littéraire de savoirs qui ne sont d’ailleurs pas toujours eux-mêmes des connaissances scientifiques de première main. La notion de « savoir » – bien théorisée depuis Michel Foucault – renvoient plus largement à des formations discursives qui n’entretiennent parfois que des relations très indirectes et lointaines avec la science, ou qui d’autres fois se sont formées avant ou en marge des sciences. L’épistémocritique, qui affirme donc nettement sa dimension critique, s’attache à l’étude de la réécriture des savoirs, à l’étude des procédés et des effets divers (esthétiques, épistémiques, idéologiques), qui peuvent relever aussi bien de la poétique du récit que de la stylistique (en particulier les métaphores), de l’étude des genres. Elle se montre attentive aux processus de condensation et d’hybridation qui transforment les savoirs soit pour les convertir en fiction, en figures, en péripéties, en images poétiques, soit pour les intégrer à de nouvelles structures de signification, à des discours différents, à des représentations du monde, à une analyse du social, à une réécriture de l’histoire…

Ce numéro de Romantisme se donne pour objet une méthode critique – l’épistémocritique – et il proposera des articles qui aborderont d’une part des questionnements propres au xixe siècle qui ont contribué par la suite à la genèse de l’épistémocritique, et d’autre part, des articles qui préciseront ce que l'épistémocritique a apporté à l'étude du XIXe siècle (mise au jour de nouveaux corpus, renouvellement des approches, rapports avec l’histoire des sciences…). Ce numéro permettra donc d’affiner la définition de cette orientation critique, de ses méthodes, de ses objectifs et de faire un bilan de ses apports majeurs à la connaissance du long xixe siècle (le tournant entre les Lumières et le romantisme ayant son importance).

 

Les propositions (avec un résumé d’une vingtaine de lignes) sont à adresser à Gisèle Séginger avant le 30 mars 2018 : seginger.gisele@msh-paris.fr