Actualité
Appels à contributions
Domestiquer la nature - Séminaire Questes des jeunes chercheurs médiévistes (Paris)

Domestiquer la nature - Séminaire Questes des jeunes chercheurs médiévistes (Paris)

Publié le par Romain Bionda (Source : Yoan Boudes)

“Domestiquer la nature”  : Séminaire Questes
Appel à contributions en études médiévales 

 

Des moines bénédictins défrichant en vue d’édifier un monastère aux paysans camarguais bonifiant les paluds, de l’apiculteur médiéval installant un essaim dans sa ruche à sainte Marthe domestiquant la Tarasque, des habitants de Gênes agrandissant la digue du Molo aux manouvriers des polders flamands faisant reculer la mer, les médiévaux se sont continuellement efforcés, bien avant l’anthropocène, de domestiquer la nature à leur avantage. 

Dans un contexte de multiplication récente des études sur la nature et ses représentations au Moyen Âge, le présent séminaire entend interroger les attitudes et les actions par lesquelles les médiévaux ont cherché à maîtriser et à transformer leur environnement. La mise en lumière des rapports protéiformes entre sociétés et nature permettra également de voir selon quelles modalités elles s’influencent et se transforment mutuellement. 

Dans cette perspective, le terme de nature sera ici entendu comme tout ce qui n’a pas été, ou pas encore, transformé par l’action humaine. La nature est en effet avant tout pour les médiévaux l’état originel et profond d’une chose, tel que Dieu l’aurait créée. Si l’homme médiéval se pense comme partie intégrante d’une nature conçue pour sa commodité, il n’en est pas moins condamné, après le péché originel, à lutter contre la bête pour sa survie et à arracher de la terre son pain quotidien. Mais, si la nature est l’oeuvre de Dieu, toute action d’appropriation et de transformation de cette dernière n’est-elle pas une atteinte à la création divine ? 

Cette question se pose avec acuité dès les premiers siècles du Moyen Âge, puis de manière particulière à partir du XIe siècle, où l’emprise des sociétés sur les espaces naturels se fait plus forte. La domestication pourra quant à elle être définie comme tout acte délibéré d’appropriation et de transformation d’éléments naturels en vue d’assurer la commodité des êtres humains. Or, le Moyen Âge, qui englobe l’homme dans sa définition de la nature, semble davantage penser l’action humaine sur l’environnement en termes de continuité que de rupture. Entre la forêt sauvage, intouchée, et le verger entièrement ordonné de la main du jardinier, tout un gradient de situations d’anthropisation existe : ce sont ces étapes diverses de domestications qui sont sans doute les plus riches d’enseignement. 

Il est également possible d’envisager les actions de domestication dans leur plus grande diversité : de la domination et l’altération la plus matérielle jusqu’aux efforts intellectuels de rationalisation. Classer ou ranger pour rendre intelligible une nature complexe et multiforme peut ainsi être une manière de la domestiquer et donc la comprendre au sens littéral, c’est-à-dire « prendre avec soi ». En proposant un inventaire ou une représentation de la nature, les textes médiévaux contribuent à renforcer la connaissance et l’emprise de l’homme sur l’environnement dans lequel il évolue et où il occupe une place à part. Auteurs et artistes contribuent également à faire de l’espace naturel un réceptacle allégorique pour sa pensée ou ses valeurs. 

Ainsi, si les hommes et les femmes du Moyen Âge ne se pensent jamais, eux et leurs productions, comme une altérité radicale à la nature, comment comprendre les circonstances dans lesquelles ils agissent directement sur elle, la transforment pour leur usage, la modifient par leurs pratiques ? 

Axes de réflexion : 

Les propositions de communications devront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes de réflexion suivants : 

  • Réalités matérielles. 

Héritier de la prégnante tradition romaine, le Moyen Âge, loin d’être l’époque de l’homme rare subissant son environnement, est marqué par nombre d’entreprises de domestication de la nature. Même si elles lui préexistent, les opérations de bonification des terres humides, de défrichement, de construction de digues ou d’aménagements hydrauliques comme les aqueducs se multiplient à compter des Xe-XIe siècles. Évoquer de manière impressionniste mais précise l’évolution d’un paysage ou d’un finage, des pratiques d’élevage domestique ou d’un cours d’eau domestiqué pour faire tourner un moulin nécessite de mobiliser des domaines aussi divers que l’archéologie et l’architecture, l’histoire de l’économique et l’étude des dynamiques de peuplement. 

  • Cadre intellectuel et technique. 

Ces actions matérielles s’accompagnent de réflexions techniques ou philosophiques. Comment l’action de l’homme sur la nature, chambrière de Dieu, alimente-elle les réflexions et les discours des théologiens ? Comment les expériences empiriques de domestication de la nature aboutissent-ils à la conception de traités techniques ou de textes agronomiques et, en retour, comment cette littérature permet-elle la mise en oeuvre d’entreprises de plus grande ampleur ? 

Du berger à l’apiculteur, de l’encyclopédiste à l’architecte, tous ont produit des discours, écrits ou oraux, pratiques ou philosophiques, dont l’étude peut nous aider à approcher les avatars de l’attitude prométhéenne à l’époque médiévale. 

  • Représentations. 

Dans nombre de représentations littéraires ou iconographiques, la nature soumet l’homme à ses lois. Même lorsqu’elle est représentée comme domestiquée ou en voie de l’être, la nature ne saurait se réduire à un simple antagoniste ou un espace neutre pour sa narration. S’intéresser à la mise en scène esthétique des rapports entre individu et nature peut nous permettre de mieux comprendre les imaginaires médiévaux et leurs implications dans l’art, la société et la politique. Ainsi, l’analyse de représentations de scènes de chasse ou de triomphe sur la bête, de cadres idylliques composés par la main de l’homme tels que le verger, les canaux du Milanais ou le bel paesaggio toscan seraient ainsi riches d’enseignements. 

Plus encore, lorsqu’elle déploie ses phénomènes ou ses paysages, la nature participe souvent d’une dialectique avec l’homme, tantôt ordonnateur du monde naturel, tantôt lui-même dépeint comme sauvage. Ces problématiques se retrouvent à travers les espaces ruraux du Roman de Renart, le verger du Roman de la Rose ou la forêt des exploits arthuriens. L’exploitation par les auteurs de la nature pour figurer, encadrer ou faire s’exprimer les actions et les émotions des héros humains, peut-elle alors répondre au concept de domestication, supposant que la représentation de la nature se plie aux besoins de l’homme, fussent-ils fictionnels ? 

Informations pratiques : 

« Domestiquer la nature » est le troisième thème annuel du séminaire de l’association Questes. Cet appel à communication s’adresse aux doctorants et jeunes chercheurs de toutes les disciplines, tout en restant ouvert aux étudiants de master 2. 

Les propositions de communication problématisées, d’un maximum de 3000 caractères, accompagnés d’un CV, devront être envoyées avant le 18 février 2018 à Yoan Boudes, Maxime Fulconis et Simon Hasdenteufel (questes.domestiquerlanature[a]gmail.com), et pourront donner lieu à une communication orale de vingt-cinq minutes durant l’une des trois séances du séminaire (13 avril, 11 mai et 15 juin 2017) qui auront lieu à la Maison de la Recherche de Paris-Sorbonne (rue Serpente, 75005) et/ou à une publication dans la revue de l’association (www.questes.revues.org). 

Bibliographie indicative : 

John Aberth, An Environnemental History of the Middle Ages. The Crucible of Nature, Londres/New York, Routledge, 2013. 

Comprendre et maîtriser la nature au Moyen Âge. Mélanges d’histoire des sciences offerts à Guy Beaujouan, Genève-Paris, 1994. 

François Clément, Histoire et nature. Pour une histoire écologique des sociétés méditerranéennes (Antiquité et Moyen Âge), Rennes, 2011. 

Robert Durand (éd.), L’homme, l’animal domestique et l’environnement du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Nantes, 1993. 

Vito Fumagali, Paysages de la peur. L’homme et la nature au moyen Âge, Bruxelles, 2009. 

Fabrice Guizard-Duchamp, Les Terres du sauvage dans le monde franc (IV-IXe siècle), Rennes, 2009. 

Pierre Hadot, Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de nature, Paris, 2004. 

Richard C. Hoffmann, An Environmental History of Medieval Europe, Cambridge, 2014. 

Fabrice Mouthon, Le sourire de Prométhée : l’homme et la nature au Moyen Âge, Paris, 2017. 

Bernard Ribémont, De natura rerum. Études sur les encyclopédies médiévales, Orléans, 1995. 

Michel Zink, Nature et poésie au Moyen Âge, Paris, 2006. 

Michel Colardelle (dir.), L’Homme et la nature au Moyen Âge. Actes du Ve congrès international de la Société d’archéologie médiévale tenu à Grenoble (1993), Paris, Errance, 1996.