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Déconstruire le genre du rose : approches antidisciplinaires (Paris)

Déconstruire le genre du rose : approches antidisciplinaires (Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Kévin Bideaux)

APPEL À COMMUNICATION

DÉCONSTRUIRE LE GENRE DU ROSE :

APPROCHES ANTIDISCIPLINAIRES

Mardi 20 Novembre 2018

59 Rivoli - 59, rue de Rivoli, 75001 Paris

 

Un nombre conséquents de chercheur∙e∙s, à l'instar du célèbre historien des couleurs Michel Pastoureau, porte une attention particulière entre autre au noir, au blanc ou au rouge. Ces riches travaux ont été réalisés à l'aune de disciplines diverses, comme l'histoire de l'art, l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, la linguistique, mais aussi les neurosciences.

Cependant, une couleur semble susciter moins d’intérêt : le rose. Il faut dire que son histoire est récente, et que durant des siècles elle ne fut considéré que comme une nuance de rouge[1], avant que l’importation au Moyen Âge du bois de brésil — d’abord depuis l’Orient[2], puis depuis le Brésil[3] — n’encourage sa diffusion, en particulier dans les enluminures[4],  et son introduction dans le vocabulaire[5] au travers de ses diverses appellations, telles que « rosin » (The Booke of Secret, 1596)  ou « rosette » (De Arte Illuminandi, XIVe s.).

Son lien très étroit avec le féminin en occident a aussi contribué à en faire un sujet d’étude secondaire, le rose étant associé à une féminité stéréotypée, romantique, mièvre, puérile[6]. Pourtant, la symbolique féminine du rose est loin d’être une évidence, la preuve en est son existence dans les seuls pays occidentaux et occidentalisés, et son absence de relation au genre dans les siècles passés[7]. Il faudra attendre les années 1930 et l’émergence d’une mode étatsunienne consistant à différencier les bébés selon leur sexe pour que s’installe la symbolique féminine du rose et que cette couleur devienne la couleur des femmes[8]. Le développement du gender marketing se chargera alors de répandre l’idée selon laquelle les filles préfèrent le rose et les garçons le bleu[9], à commencer par la division chromatique des jouets pour enfant selon le sexe[10].

Devenue une couleur stigmatisante, le rose est depuis une couleur rejetée à la fois par les femmes qui ne veulent pas être associées à des valeurs négatives de superficialité[11], et par les hommes, le rose devenant en même temps une couleur anti-masculine[12]. Le rose était par ailleurs employé pour signifier les déportés homosexuels durant la Seconde Guerre Mondiale, avant que cette même couleur ne soit reprise par les homosexuels comme couleur étendard de leur sexualité. 

Comme toutes les couleurs, il est difficile de circonscrire l’analyse du rose à une seule discipline, de même qu’il serait réducteur de réduire le rose à sa seule symbolique féminine : « une seule et même couleur appelle des lectures innombrables[13] » nous rappelle Joseph Albers. Aussi le rose est-il également associé à la chair, à la sexualité, à l’amour, à l’exotique, au kitsch, à la gourmandise, à l’enfance, ou encore tout simplement à la rose dont il tire son nom[14]. S’il est possible que ces symboliques soient en lien avec la symbolique féminine occidentale du rose (soit qu’elles en sont constituantes, soit qu’elles en résultent), il est tout autant possible de penser ces thématiques en dehors du féminin, notamment en décontextualisant la couleur du cadre occidental et contemporain.

Cette journée d’étude se donne ainsi comme objectifs de déconstruire la symbolique féminine du rose en tentant de déterminer les facteurs qui ont conduit à cette féminisation, mais aussi d'examiner comment cette symbolique liée à la couleur s'est diffusée au travers de représentations (qu’elles soient artistiques ou médiatiques), de pratiques sociales ou de discours biologisant.

En adoptant une démarche « antidisciplinaire »[15], les communicant∙e∙s sont donc invité∙e∙s à interroger le rose pour en saisir les particularités (ou du moins une partie) selon des approches qui tiendront compte du fait que les couleurs sont avant tout des concepts avant d’être des mots et des perceptions visuelles[16]. Ces communications pourront répondre aux questions soulevées par les différents axes, proposés à titre indicatif.

Axe 1 : Histoire du rose et de sa symbolique féminine

L’histoire des couleurs se superpose à une histoire de la peinture, mais ne saurait se contenter de cette seule approche. En effet, l’histoire du rose est dépendante d’une histoire de la colonisation (conquête du Brésil), d’une histoire économique (commerces avec l’Orient et les Amériques, développement du gender marketing[17]), d’une histoire des techniques (de la teinture, de la peinture), d’une histoire des sciences (influence de l’Optique de Newton[18], création des premières couleurs de synthèse[19]), d’une histoire de la mode (influence de Madame de Pompadour, traditions d’habillement des enfants) ou encore d’une histoire de l’art (querelle du coloris[20], dénigrement du rococo[21]). Il convient alors de déterminer comment ces éléments ont pu (ou non) contribuer à la féminisation du rose.

Axe 2 : La rose et le rose : une origine commune ?

Si son nom en découle, la couleur rose tel qu’elle l’était employé chez les grecs sous la forme ῥόδον et chez les latins sous la forme roseus ne désignait pourtant peut-être pas notre rose d’aujourd’hui, mais du rouge[22]. Jusqu’au Moyen Âge tardif, les roses n’étaient que soit rouges soit blanches en Occident [23]. Colorant les doigts de l’Aurore chez Homère (Odyssée, IV, 4) et Apulée (Métamorphoses, III), ou la bouche de Vénus chez Silius Italicus (Guerres Puniques, VII, v. 448-449), rose-fleur et rose-couleur partagent pourtant leur symbolique féminine rétrospectivement, et tous deux sont associés au romantisme ou à la délicatesse des femmes. Entre botanique, littérature et linguistique, cet axe s’emploiera de répondre aux responsabilités réciproques du rose et de la rose dans leurs symboliques communes.

Axe 3 : Le rose dans les représentations de femmes : du sexisme au féminisme

La répétition des stéréotypes de genres chromatiques aussi bien dans le gender marketing[24], le marketing des jouets des enfants, dans la mode[25], mais aussi au travers des productions artistiques, qu’elles soient féministes ou non[26], contribue paradoxalement à renforcer le lien du rose au féminin. Il s’agira alors de voir comment les représentations artistiques et médiatiques des femmes en rose au cours des siècles (et notamment lors du XVIIIe siècle), puis l’utilisation politique du rose chez des artistes féministes (Sylvie Fleury, Kate Gilmore, Portia Munson ou le mouvement radical softness) emploient la symbolique du rose pour véhiculer un discours sexiste ou féministe.

Axe 4 : Masculinités en rose : homosexualité, queerness et virilité

La vague de millennial pink qui a déferlé sur le monde de la mode a requestionné le lien présumé entre genre et couleur, en diffusant notamment un discours autours d’une « nouvelle » couleur genderfluid[27]. Pourtant, depuis que le rose est associé au féminin, il est en même temps devenu une couleur anti-masculine. Porté par des hommes, il influe sur la perception de leur virilité et peut suggérer l’homosexualité (triangles roses, Baker-Miller Pink[28]) et entraîner des réactions homophobes[29]. Il s’agit alors d’analyser les emplois du rose associés au masculin pour en révéler les effets. Il est en effet perçu comme « subversif » lorsqu’il est utilisé par les artistes queer pour déstabiliser la binarité du genre (EVA & ADELE, Candy Ken), mais il peut aussi construire une masculinité si virile que le rose ne réussit pas à l’ébranler (le Stade Français, Hugh Hefner, Sugar Ray Robinson).

*

Journée d’étude organisée par des doctorant∙e∙s du LEGS (Laboratoire d’études de genre et de sexualité), le 20 novembre 2018 au 59Rivoli, 59, rue de Rivoli, 75001 Paris, dans le cadre de l’exposition « 50 nuances de rose ».

 

MODALITES DE SOUMISSION :

Les propositions de communication sont attendues pour le 26 octobre 2018, et devront comporter les éléments suivants : le nom, les coordonnées, l’institution du∙de la/des auteur∙e∙s (si rattachement institutionnel), ainsi qu’un résumé de 2000 à 3000 signes (espaces comprises).

Les propositions sont à envoyer à Kévin Bideaux (bideaux.kevin@gmail.com),

ainsi qu’à Marie-Dominique Gil (gil.mariedominique@gmail.com).

 

 

[1]. Michel Pastoureau, 2003. Les Couleurs de notre temps. Paris, Christine Bonneton, p. 140.

[2]. Richard W. Dapson, & Caroline L. Bain, 2015. « Brazilwood, sappanwood, brazilin and the red dye brazilein: from textile dyeing and folk medicine to biological staining and musical instruments », Biotechnic & Histochemistry, 90(6), pp. 401-423.

[3]. Didier Normand, 1992. « Le commerce des bois d'Amérique tropicale », Cahiers d'outre-mer, 179-180, « Les plantes américaines à la conquête du monde », pp. 249-261.

[4]. Marie-Laure Sauty de Chalon & Benjamin Smadja, 2014. L’art du marketing to women. Paris, Dunod.

[5]. Patricia Roger, Inès Villela-Petit & Solène Vandroy, 2003. « Les laques de brésil dans l'enluminure médiévale: reconstitution à partir de recettes anciennes », Studies in Conservation, 48(3), pp. 155-170.

[6]. Alain Rey, 2016. Dictionnaire de la langue française. Tome II. M-Z. Paris, Dictionnaire Le Robert, p. 2091.

[7]. Annie Mollard-Desfour, 2002. Le Rose : Dictionnaire de la couleur, mots et expressions d’aujourd’hui, XXe-XXIe siècle. Paris, CNRS, p. 26.

[8]. Jo Barraclough Paoletti, 2012. Pink and Blue: Telling the Boys from the Girls in America. Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press.

[9]. Véronique Boulochet Passet & Sabine Ruaud, 2016. « La couleur, variable stratégique en marketing : une illustration de sa mise en œuvre », in : La couleur au cœur de la stratégie marketing. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur.

[10]. Carol Lynn Martin & Diane Rubble, 2004. « Children's Search for Gender Cues Cognitive Perspectives on Gender Development. », Current Directions in Psychological Science, 13(2), pp. 67-70.

[11]. Stefano Puntoni, 2011. « The Color Pink Is Bad for Fighting Breast Cancer », Harvard Business Review, 89(7/8), pp. 30-31.

[12]. Vanessa LoBue & Judy S. DeLoache, 2011. « Pretty in pink: The early development of gender-stereotyped colour preferences », British Journal of Developmental Psychology, 29(3), pp. 656-667.

[13]. Josef Albers, 2008 [1975]. L’Interaction des couleurs. Traduction de Claude Gilbert. Vanve, Hazan, p. 11.

[14]. Philippe Durand Guerzaguet, 2013. Rose. Paris, Eyrolles.

[15]. Kévin Bideaux, 2018. « Étudier la couleur : une approche antidisciplinaire », in : Laura Déléant, Jérémy Filet & Lisa Jeanson (dir.), Questionner la recherche. Contributions des jeunes chercheurs aux systèmes complexes. Nancy, Presses Universitaires de Nancy, pp. 333-348

[16]. Michel Pastoureau, 2010. Les Couleurs de nos souvenirs. Paris, Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », p. 232.

[17]. Marie-Laure Sauty de Chalon & Benjamin Smadja, 2014. L’art du marketing to women. Paris, Dunod.

[18]. Isaac Newton, 2015 [1704]. Optique. Paris, Dunod.

[19]. François Perego, 2005. Dictionnaire des matériaux du peintre. Paris, Belin, p. 132.

[20]. Jacqueline Lichtenstein, 1999 [1989. La Couleur éloquente. Paris, Flammarion.

[21]. Victoria Charles & Klaus H. Karl, 2010. Le Rococo. New York, Parkstone Press International.

[22]. Michel Pastoureau, 2016. Rouge. Histoire d’une couleur. Paris, Seuil, p. 146.

[23]. Charles Joret, 1892. La Rose dans l’Antiquité et au Moyen-Âge. Histoire, légendes et symbolisme. Paris, Émile Bouillon, pp. 187-188.

[24]. Véronique Boulocher-Passet & Sabine Ruaud (dir.), 2016. La couleur au cœur de la stratégie marketing. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, pp. 183-252.

[25]. Valerie Steele (dir.), 2018. Pink: The History of a Punk, Pretty, Powerfull Color. New York, Thames & Hudson.

[26]. Barbara Nemitz (dir.), 2006. Pink. The Exposed Color in Contemporary Art and Culture. Ostfildern, Hatje Cantz Publishers.

[27]. Voir à ce sujet les différents articles diffusés dans la presse internet : Véronique Hyland, 2016. « Is There Some Reason Millennial Women Love This Color », The Cut [en ligne]. Disponible sur : https://www.thecut.com/2016/07/non-pink-pink-color-trend-fashion-design.html [consulté le 01/09/2018] ; January Jones, 2017. « Androgynous and ironic: How Millennial Pink came to define a generation », Domain [en ligne]. Disponible sur : https://www.domain.com.au/advice/androgynous-and-ironic-how-millennial-pink-came-to-define-a-generation-20170328-gv845x/ [consulté le 01/09/2018] ; etc.

[28]. Oliver Genshow, Thomas Noll, Michaela Wänke & Robert Gersbach, 2015. « Does Baker-Miller pink reduce aggression in prison detention cells? A critical empirical examination. », Psychology, Crime & Law, 21(5), pp. 482-489.

[29]. Avi Ben-Zeev & Tara C. Dennehy, 2014. « When boys wear pink: A gendered color cue violation evokes risk taking », Psychology of Men & Masculinity, 15(4), pp. 486-489.