Actualité
Appels à contributions
Penser la (dé)naturalisation de la race et du sexe : actualité de Colette Guillaumin (Ottawa) 

Penser la (dé)naturalisation de la race et du sexe : actualité de Colette Guillaumin (Ottawa)

Publié le par Marc Escola (Source : Félix L. Deslauriers)

APPEL À COMMUNICATIONS

Penser la (dé)naturalisation de la race et du sexe : actualité de Colette Guillaumin

Colloque international et multidisciplinaire

Juin 2019, Ottawa

 

Lire Colette Guillaumin aujourd’hui, c’est redécouvrir un travail pionnier de dénaturalisation des catégories de race et de sexe, ainsi que les effets théoriques d’une colère qui a produit des outils décisifs pour penser l’oppression dans une perspective de lutte et d’émancipation. 46 ans après la parution de sa thèse sur L’Idéologie raciste (1972 [2002]) et 40 ans après la publication de ses articles fondateurs sur le sexage (1978a ; 1978b), la pensée de la sociologue française reste d’une grande actualité. En témoignent les constantes références à ses œuvres depuis leur parution ainsi que la réédition, en 2016, de son anthologie Sexe, race et pratique du pouvoir (1992).

Les travaux de Colette Guillaumin irriguent de nombreuses recherches aujourd’hui dans des domaines aussi variés que la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, les études littéraires et les études féministes. Le présent colloque, international et multidisciplinaire, se veut l’occasion de revenir sur ces analyses afin de poursuivre, au-delà du décès de Colette Guillaumin survenu en 2017, la conversation qu’elle menait avec des communautés de chercheur-e-s et de militant-e-s.

Penser la race et le sexe, débusquer les fondements de l’idéologie naturaliste

Les travaux de Guillaumin s’inscrivent dans deux champs centraux du savoir aujourd’hui : la race et le sexe. Elle les a abordés de manière inédite en démontant méticuleusement l’idéologie naturaliste, qui est au cœur de ces catégories de la domination. Ses premières analyses, présentées dans L’idéologie raciste, représentent « un tournant dans l’histoire des idées », comme le souligne la sociologue québécoise Danielle Juteau (2017a). Tandis que le racisme est alors communément appréhendé comme une doctrine qui hiérarchise « des races » comprises comme des unités déjà-là, Guillaumin démontre que c’est justement la croyance en l’existence de catégories naturelles qui caractérise l’idéologie raciste. Celle-ci apparaît comme telle en Occident vers la fin du XVIIIe siècle, avec le colonialisme européen et l’esclavagisme de plantation dont elle est indissociable. L’idéologie raciste participe ainsi d’un rapport social spécifique d’appropriation qui implique l’accaparement sans aucune sorte de mesure de la force de travail et dans lequel les corps sont faits et pensés comme des choses. On doit ainsi à Guillaumin d’avoir retourné l’idée de Nature et théorisé la « race » comme un rapport social, historique et politique, d’appropriation.

C’est à partir de ce premier travail que Colette Guillaumin pensera sociologiquement le sexe, comme l’une des figures de l’idée de Nature en tant qu’elle constitue une matrice commune à différents systèmes de différentiation interne à l’humanité. Dans la revue Questions féministes, Guillaumin propose le néologisme « sexage » pour qualifier les rapports par lesquels se produisent des hommes et des femmes. Il s’agit bien pour elle de « classes de sexe », suivant la perspective féministe matérialiste qu’elle contribue à élaborer. Elle opère cependant un déplacement par rapport à la démarche de plusieurs théoriciennes féministes de l’époque, en prenant pour point de référence non pas le mode de production capitaliste, mais deux autres modes d’appropriation du travail historiquement et géographiquement situés : le servage féodal et l’esclavage de plantation. Le sexage s’en rapproche pour autant qu’il constitue un rapport d’appropriation des corps « réservoirs de force de travail » et non un simple rapport d’exploitation de la force de travail. Dans le sexage, plus spécifiquement, les femmes sont ainsi réduites « à l’état d’outils » dont « l’instrumentalité s'applique de surcroît et fondamentalement à d'autres humains » : au travail d'entretien matériel des corps. C’est ce rapport d’appropriation qui caractérise le sexage et qui persiste aujourd’hui sous des formes diverses, déterminant une division sexuelle du travail (rémunéré et non rémunéré) particulièrement désavantageuse pour les femmes, assignées au travail domestique, au care des personnes malades ou âgées, à l’élevage des enfants, et au service sexuel des hommes.

Une influence majeure

L’influence de Guillaumin est majeure (Juteau, 1995 ; Naudier et Soriano, 2010), bien qu’elle ne soit pas toujours explicitement reconnue. Elle est aisément repérable du côté des féminismes et lesbianismes matérialistes, comme chez Nicole-Claude Mathieu (l’« anatomie politique », 1991 [2013]), Paola Tabet (l’organisation sociale de la reproduction, 1985, et l’échange économico-sexuel, 2004) et Monique Wittig (la « pensée straight », 1980) – contributrices, comme elle, à la revue Questions féministes. On repère également son influence du côté des sociologues Danielle Juteau (l’ethnicité comme rapport social, 1996 ; l’ évolution des formes de l'appropriation des femmes [avec Nicole Laurin], 1988 ; l’homogénéité et hétérogénéité de la classe des femmes, 2010) et Jules Falquet (théorie des vases communicants, 2016), ainsi que des sociolinguistes Claire Michard et Claudine Ribéry (la « pratique linguistique du rapport de sexage », 2008). Celle-ci est aussi reconnaissable dans les travaux classiques de Balibar et Wallerstein (1988) sur le nouveau racisme. L’incidence de la pensée de Guillaumin s’étend par ailleurs à d’autres champs de la recherche, comme ceux des migrations et des relations interethniques (Juteau, 2015 ; Pietrantonio, 2005), de l’intersectionnalité (Kebabza, 2005-2006 ; Galerand et Kergoat, 2014 ; Amari, 2015 ; Juteau, 2016 ; Falquet, 2016), des mouvements sociaux, du travail et de la mondialisation (Dunezat, 2007 ; Weiss, 2007 ; Falquet, 2008 ; Kergoat, 2009 ; Galerand, 2015), de la sexualité (Amari, 2012 ; Chamberland, 1989 ; LeBreton, 2015 ; Hamel, 2003), ou encore de la critique des sciences « de la nature » (Kraus, 2000 ; Touraille, 2011) et des études littéraires (Bourque, 2016). C’est le cas dans le monde francophone, mais aussi de plus en plus dans les mondes hispanique, italien et lusophone (Curiel, 2014 ; Curiel et Falquet, 2015 ; Caloz-Tschopp et Veloso Bermedo, 2013 ; Ribeiro Corrosacz et Perilli, 2017).

Cette influence du travail de Guillaumin traverse aussi les générations, comme en témoigne l'organisation de la journée d'étude Efigies à Paris en juin 2005. Danielle Juteau (2017b) écrivait d'ailleurs récemment que « parmi les nouvelles générations de féministes, plusieurs […] s’en servent, dans leurs luttes et dans leurs analyses ». Parmi celles qui mobilisent ses travaux dans les luttes concrètes, mentionnons le mouvement du lesbianisme politique au Québec dans les années 1980 (Turcotte, 1998) et, plus récemment, le collectif SEUM en France (2017).

Pour un état des lieux de la recherche guillauministe aujourd’hui

Malgré l'importance du travail de Guillaumin et de ses répercussions, les concepts qu'elle a développés restent largement méconnus et, parfois, mal compris – voire rejetés, souvent au nom de leur prétendu essentialisme. On a par exemple mal saisi, en certaines occasions, la façon dont elle abordait dans un même mouvement la constitution de différentes catégories sociales, de même que sa manière de penser ces rapports sociaux de façon dynamique et située sur le plan historique.

Il manque à l’heure actuelle d’espaces de mise en commun pour rassembler les personnes qui mobilisent les travaux de Guillaumin partout dans le monde. Pourtant, ces derniers ne cessent de résonner dans le contexte actuel marqué par un retour en force de l’idéologie naturaliste, par la montée des racismes et des nationalismes, à travers le monde et par le redéploiement des luttes sur ces différents fronts. Dans l’espace académique, on observe un regain d’intérêt pour les théories critiques et matérialistes, d’une part, et diverses tentatives d’élaboration d’outils pour penser la pluralité et l’articulation complexe des rapports sociaux, d’autre part. Ainsi, de nombreux éléments de contexte justifient la pertinence de se réapproprier les outils et analyses guillauministes, voire de les adapter pour penser le monde d’aujourd’hui.

Objectifs du colloque

L’objectif du colloque est donc de créer un moment de dialogue autour des travaux et des concepts de Guillaumin, à travers des réflexions portant sur divers objets, terrains de recherche ou expériences militantes et via des questionnements méthodologiques, théoriques ou épistémologiques issus de plusieurs disciplines et pays.

Il s’agira de faire le point sur les concepts qu’elle a développés : « idée de Nature », « corps-machine-de-travail », « sexage », « appropriation privée et collective » (et leurs contradictions), « libre vente de la force de travail », « minoritaires et majoritaires », « fractions de classe » (susceptibles de faire avancer les débats fondamentaux sur l’intersectionnalité), « idéel dans le matériel » (impliquant de réfléchir aux liens entre discursivité et matérialité, ainsi que d’aborder les débats avec les théories queer et poststructuralistes). Ce serait l’occasion de réfléchir à l’intérêt que peuvent représenter ces concepts dans d’autres contextes que celui de la France, mais également d’autres disciplines que la sociologie, voire dans le cadre d’approches interdisciplinaires. Enfin, il sera question de la postérité et des prolongements de la pensée de Guillaumin, en particulier pour comprendre l’imbrication aujourd’hui globale des formes d’oppression dans le cadre de la mondialisation.

Axes proposés

1. Apports conceptuels

Ce colloque se veut d’abord l’occasion de revenir sur les nombreuses contributions théoriques de Colette Guillaumin :

— Sur sa théorisation de l’idée de Nature et des rapports d’appropriation ;

— Sur les implications épistémologiques et politiques de son matérialisme, sur les ruptures qu’elle a pu opérer vis-à-vis du marxisme, de l’idéalisme et du naturalisme ;

— Sur la manière dont elle a envisagé les relations qu’entretiennent les rapports de pouvoir (de distance ou de similitude, de contradiction potentielle ou de lien organique) ;

— Sur la question de l’hétérogénéité interne aux groupes appropriés, des classes et des fractions de classes ;

— Sur celle du rapport de l’idéel au matériel, de l’importance du langage, des consciences et des inconscients collectifs ;

— Sur le thème de la construction sociale des corps et des systèmes de marque ;

— Sur celui du travail et de l’exploitation ;

— Ou encore sur le fait que la production de théories est liée à la pensée collective et à l’action des mouvements sociaux en lutte (voir son analyse sur les « effets théoriques de la colère des opprimées »).

Les propositions de communications rassemblées dans ce premier axe pourraient s’intéresser aux apports et limites des différents concepts guillauministes ou les réinscrire dans le contexte de leur énonciation, en donnant à voir les influences qui les sous-tendent.

2. Réception, actualisations et prolongements

Seront tout autant considérées les propositions portant sur :

— La réception des travaux de Guillaumin selon les contextes, les disciplines ou les époques, incluant celle qui leur est réservée actuellement ;

— L’intérêt que représentent ses analyses ou leurs usages dans des disciplines autres que celles de la sociologie comme les Ethnic and Racial Studies, les études post ou décoloniales, les études féministes ou de genre, la linguistique, la littérature, la dramaturgie, la politique, l’anthropologie, la traductologie, etc. ;

— Les lectures ou utilisations militantes de ses analyses (antiraciste, féministe, marxiste, socialiste, du lesbianisme politique, etc.) ;

— Les études comparatives entre ses travaux et d’autres ouvrages féministes ou ancrés dans une autre perspective située ;

— Des aspects centraux de ses analyses comme les questions du marquage des individus appartenant à une classe appropriée, de la codification des comportements sociaux, de l’aliénation dans le travail ou de la conscience nécessaire au processus d’émancipation ;

— Son traitement de phénomènes révélateurs d’enjeux idéologiques comme l’émergence de sciences du comportement animal dans les années 1960 ;

— Son analyse d’actes sociaux non reconnus comme tels comme le massacre de Polytechnique à Montréal en 1989 ;

— La pertinence de ses travaux sur le sexe et la race dans un contexte néolibéral qui voit une augmentation accélérée de la concentration des richesses entre les mains de quelques hommes blancs au détriment de l’ensemble des êtres humains (augmentation des migrant-e-s et des chômeur-e-s, destruction de forces productives et des systèmes de protection sociale, pays en voie de disparition).

*

Modalités

Nous invitons les personnes intéressées à nous faire parvenir les informations ci-après avant le 1er août 2018 à l’adresse suivante ccguillaumin@gmail.com :

  • Nom et prénom, affiliation ou université d’attache, adresse courriel et postale, ainsi qu’une courte notice biographique ;
  • Le titre provisoire et une proposition de communication (200 mots) sans votre nom, dans un fichier séparé ;
  • Éventuels besoins financiers dans la mesure où nous obtenons des fonds (veuillez noter que, le cas échéant, une priorité sera accordée aux personnes venues du Sud, à la retraite ou aux études).

Un comité scientifique sélectionnera les candidatures et une réponse vous sera communiquée dans les plus brefs délais.

 

 

Le comité organisateur

Dominique BOURQUE, Université d’Ottawa

Sandrine CHAREST-RÉHEL, Université d’Ottawa

Jules FALQUET, Université Paris Diderot Paris 7

Elsa GALERAND, Université du Québec à Montréal

Félix L. DESLAURIERS, Université d’Ottawa

Linda PIETRANTONIO, Université d’Ottawa