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Charles Pennequin : poésie tapage (Lyon 3)

Charles Pennequin : poésie tapage (Lyon 3)

Publié le par Marc Escola (Source : Anne-Christine Royère)

Colloque : 23-24 avril 2020 – Université Jean Moulin - Lyon 3

Organisation :

Anne-Christine Royère (Université de Reims Champagne-Ardenne, CRIMEL)

& Gaëlle Théval (Université de Rouen, MARGE – Lyon 3)

 

En termes de poésie, Charles Pennequin appartient indéniablement à la catégorie de « ceux qui merdrent[i] ». Avant d’être publié chez Al Dante, Dernier Télégramme puis P.O.L, il fait paraître son premier ouvrage Le Père ce matin (postfacé par Jean-Pierre Verheggen) en 1997 aux éditions Carte blanche, dans la collection « Prodromes » dirigée par Christian Prigent. Proche de Nathalie Quintane, de Christophe Tarkos et de Vincent Tholomé, il fonde et publie avec eux l’unique numéro de la revue Facial (1999), « revue qui a pour base la défense de la poésie faciale […] qui est aussi, comme le définit Christophe Tarkos, la poésie de merde[ii]. » Il publie également dans Poézi prolétèr (1997), « revue semestrielle de poésie contemporaine et de recherche expérimentale sur la langue française », fondée par Katalin Molnár, Christophe Tarkos et Pascal Doury, ainsi que dans de nombreuses autres revues : Doc(k)s, Java, Ouste, Fusées, La Parole vaine, etc. Sa poésie « faciale », au ras des pâquerettes, ses poèmes « bête[s] ou simplifié[s], délabré[s] ou standard[iii] » n’ont cependant pas l’imprimé pour seul support. Ils œuvrent sur tous les fronts.

Comme Charles Pennequin le suggère concernant Dedans, son premier ouvrage publié chez Al Dante en 1999, « le texte […] veut la sortie, nécessaire, pour ne pas demeurer enterré dans la page[iv] », revendiquant ainsi une « poésie action », selon l’expression de Bernard Heidsieck. Il ajoute :

La lecture publique d’un texte, c’est en quelque sorte redécouper dans un livre, recadrer un ensemble de mots, des mots qui doivent cette fois passer à la moulinette de la parole. C’est là qu’il y a un geste performé avec le poème, dans la rapidité de le lire (ou non), dans le souffle, et toutes les difficultés physiques qui entrent en ligne de compte[v].

Sa poésie performée se déploie ainsi sur scène et dans les espaces institutionnels, mais également dans les espaces publics (quai gares, rues, bords de route, bars…), et dans des vidéo-performances qu’il poste régulièrement sur son site[vi] et sur YouTube : « Je ne suis pas un poète mais un gesticulateur, déclare le poète. Je m’éructe et me crie, je danse et me ris, la poésie est une voix qui gesticule dans l’écrit[vii] ». Un poème, intitulé « Ne plus dire », décrit ainsi sa pratique :

Je fais des lectures

Je fais des perfs

Je fais des perfs-lectures

Ou des lectures-perfs

Je fais des poème-actions, je m'actionne

Et j'écris-tape

Je tape dans le lard de l'air, je m'escrime

À parler, je dansouille

Et me traverse et fais l'arsouille

Et me gesticule, m'éructe et me art

-icule et invective ainsi

Ma vie[viii].

Cette oralité est également explorée dans le cadre des improvisations filmées ou enregistrées au dictaphone, celles-ci étant soient diffusées en public, en dialogue avec la performance in situ, ou publiées en vinyle (Dictaphones, FRAC Franche-Comté, 2018) et dans des lectures performées avec des musiciens, en particulier Jean-François Pauvros[ix].

Cette dimension performative est aussi celle de l’exploration plastique de l’écrit[x], à laquelle se livre Charles Pennequin dans certaines de ses performances (Poèmes collés dans la tête), mais aussi dans ses affiches, tracts, écritures sur affiches, poèmes visuels, ou encore dans les montages hétérogènes d’Alias Jacques Bonhomme, publiés en collaboration avec Jacques Sivan chez Al Dante en 2014. Ainsi des livres tels Tennis de table (Éditions Plaine Page, 2016) mêlent écriture manuscrite, dessins, croquis et dactylogrammes dans un montage volontairement pauvre.

Enfin, l’œuvre de Charles Pennequin, on l’aura compris, n’est pas une œuvre solipsiste. En 2007, il fonde avec le dessinateur Quentin Faucompré, et les poètes Antoine Boute, Cécile Richard et Édith Azam le collectif Armée noire qui, en intervenant dans diverses manifestations culturelles, impulse des pratiques créatives collaboratives « entre art brut et poésie expérimentale[xi] » dont une revue rend compte (2 tomes parus en 2010 et 2016).

Ainsi, par sa relation critique à la poésie (« L’usage qui est fait de la poésie est nul[xii] »), par sa méfiance à l’égard du « harcèlement textuel[xiii] » du langage, par son absence de recherche esthétique (« j’ai abandonné le style ce matin même[xiv] »), par son anti-lyrisme, qui n’est pas renoncement à la voix, mais travail intensif de la banalité de la parole et de ses ratages, de la logorrhée des paroles glanées, par son intérêt pour « tous les parlers qui font des trous[xv] », la poésie de Charles Pennequin tient tout autant de la « post-poésie[xvi] », de la « caisse à outils[xvii]» que de la « voix-de-l’écrit[xviii] ». Comme le souligne Christian Prigent, la poésie de Charles Pennequin, comme celle de Christophe Tarkos, se situe dans le prolongement direct de la rencontre, dans les années 1970-1980, des poètes sonores avec les avant-gardes textuelles :

Je crois que si quelque chose de neuf a eu lieu ces dernières années en France dans le champ du poétique, ce quelque chose (varié, multiple) doit beaucoup à ce qu’a ravivé et déplacé cette rencontre en soulevant la question de la projection orale des enjeux poétiques. On le voit aujourd’hui avec le renouvellement et la diversification des styles de performances orales […]. Et parmi ce qui se publie aujourd’hui de moins conventionnel, on constate les marques de ce que ces expériences de “lecture publique” ont imposées comme formes (litaniques, giratoires, scandées – voire psalmodiables) à ce qui s’imprime dans des livres (voir les textes de Christophe Tarkos ou de Charles Pennequin)[xix].

C’est sur ces vingt-cinq années de poésie, de performances, de lectures, de publications en revues et en livres, d’interventions et d’actions dans l’espace public, mais aussi de productions numériques que ce colloque souhaiterait revenir. Il s’agira d’explorer les modalités et les poétiques d’une œuvre foisonnante, mais aussi de mettre au jour les liens qui l’unissent au substrat poétique et artistique passé et contemporain.

Axes de réflexion (non exhaustifs)

  • Les relations entre corps / voix / action
  • La dimension politique de sa poésie, notamment via le collectif Armée noire
  • La place du collectif dans son œuvre : revues, actions dans l’espace public (Armée Noire), performances en collaboration, ouvrages en collaboration
  • Les différentes pratiques performatives, dans et hors espaces institutionnels espace public, vidéo, scènes
  • Les pratiques plastiques, multi-supports (affiches, revues, interventions dans l’espace public, livres d’artistes, livres pauvres)
  • La graphomanie de Pennequin et ses lieux de diffusion : publications imprimées, internet, réseaux sociaux, site personnel
  • Les différentes pratiques génériques : poésie / non-poésie / post-poésie, performance, roman (Gabineau-les-bobines), essais et articles (Charles Péguy, par exemple)
  • La poétique de l’idiotie, du « ras-les-pâquerettes »

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Calendrier

31 décembre 2019 : remise des propositions de communication (présentation d’une page accompagnée d’une courte bio-bibliographie) aux deux adresses suivantes : gaelle.theval@univ-rouen.fr / anne-christine.royere@univ-reims.fr

15 janvier 2019 : validation des propositions par le comité scientifique

 

 

[i] Christian Prigent, Ceux qui merdrent, Paris, P.O.L, 1991.

[ii] http://www.revues-litteraires.com/articles.php?pg=888

[iii] « Charles Pennequin ou le dictaphone au rythme des vies », entretien avec Serge Martin, dans Le Français d’aujourd’hui, 2007/4, n° 159, p. 98. En ligne : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2007-4-page-97.htm

[iv] Ibid., p. 99.

[v] Ibid.

[vi] https://www.charles-pennequin.com

[vii] « Tout ce qui nous parle (gesticulations, articulations & opinions) », 31/03/2017. En ligne : https://www.charles-pennequin.com/textes/page:4

[viii] « Ne plus dire », 06/09/2017. En ligne : https://www.charles-pennequin.com/textes/page:4

[ix] Tué mon amour, TraceLabel, 2008 ; Causer la France (en public), CdL Editions, 2015.

[x] Voir, par exemple, la section « Binettes » de son site : https://www.charles-pennequin.com/image

[xi] http://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=6371

[xii] « L’usage qui est fait de la poésie est nul », 23/02/2016. En ligne : https://www.charles-pennequin.com/textes/page:7

[xiii] Charles Pennequin, Pamphlet contre la mort, Paris, P.O.L, 2012, p. 99.

[xiv] Ibid., p. 128.

[xv] Ibid., p. 191.

[xvi] Jean-Marie Gleize, Sorties, Al Dante, coll. « Questions théoriques », 2009.

[xvii] Jean-Michel Espitallier, Caisse à outils : un panorama de la poésie française aujourd'hui, éd. revue, Paris, Pocket, 2014.

[xviii] « La Voix-de-l’écrit » de Christian Prigent est publié pour la première fois en 1984 dans Françoise Janicot, Poésie en action, Issy-les-Moulineaux, Loques-NèPE, p. 93-96. Le texte est repris et retravaillé dans la revue TXT (n° 17, 1984, p. 33-38) et dans les volumes La Voix-de-l’Écrit (Vanves, NèPE éditeur, 1987), L’Écriture, ça crispe le mou… (Meuvy-le-Roi, Alfil éditions, 1997, p. 41-51) et Compile (Paris, P.O.L., 2011, p. 7-28).


[xix] Ne me faites pas dire ce que je n’écris pas, entretiens avec Hervé Castenet, Saussines, Cadex éd., 2004, p. 32.