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Balzac et le comique (Paris)

Balzac et le comique (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Jacques-David Ebguy)

Balzac et le comique (vendredi 14 juin 2019 à La Maison de Balzac)

Groupe International de Recherches Balzaciennes

 

À Gazonal qui s’étonne de l’étendue de ses connaissances, Bixiou répond, dans Les Comédiens sans le savoir, qu’il « faut tout connaître » « pour pouvoir rire de tout[1] », marquant ainsi l’importance du rire et du comique dans l’appréhension balzacienne du réel. C’est à la « verve comique » que « se reconnaissent tous les grands artistes[2] », lit-on également dans La Comédie humaine : d’où l’intérêt d’examiner à de nouveaux frais la question du comique balzacien et d’esquisser un portait de Balzac en « chercheur » de comique(s).

Le comique n’est certes pas terra incognita pour la critique balzacienne. Du  grotesque (les travaux d’Elisheva Rosen et de Ruth Amossy[3] notamment) au trait d’esprit (étudié par José-Luis Diaz[4] et Laélia Véron[5]), de l’ironie (voir l’ouvrage dirigé par Eric Bordas, Ironies balzaciennes[6]) à l’humour[7], du witz à la blague (voir les travaux de Nathalie Preiss[8]), les différentes formes du comique balzacien ont été (parfaitement) analysées. Mais peut-être faut-il aujourd’hui, dans l’esprit de l’ouvrage de Maurice Ménard[9], à tous égards fondateur, s’efforcer de saisir le comique comme fait total, comme vision du monde. L’heure serait à l’appréhension globalisante, à l’inscription de la question du comique balzacien dans un contexte géographique, théorique, temporel plus vaste, dans un dialogue avec les travaux de la revue Humoresques[10] par exemple ou avec la réflexion d’Alain Vaillant sur le rire[11]. À quoi reconnaît-on le comique chez Balzac ? Qu’est-ce que la vision comique ? Pourquoi le comique ? Il s’agirait donc moins d’en énumérer les différentes formes que de tenter d’en saisir, transversalement, la visée et la « forme-sens ».

Trois aspects de l’inscription du comique dans le texte balzacien retiennent d’emblée l’attention.

Le comique comme vision

La Comédie humaine : le titre même de l’ensemble romanesque composé par Balzac dit d’emblée le lien entre le geste de saisie du monde et de son (absence de) sens et l’attention aux virtualités comiques de la vie humaine et sociale. La vérité sera « comique » ou ne sera pas. Cette attention au comique potentiel du réel ou à ce qui fait du réel une comédie suppose cependant une prise de distance par rapport au jeu des passions et des intérêts caractéristique de la réalité humaine et sociale. Espace-temps des passions et des luttes d’un côté, regard et lucidité comiques de l’autre, comme si le roman aménageait un lieu depuis lequel considérer globalement l’ensemble.

Mais si le comique suppose l’adoption d’un certain point de vue, il est aussi à chercher, à dégager, en profondeur. Quand Balzac, réfléchissant dans une lettre à Mme Hanska (7 novembre 1837) à « l’immense jugement qu’il faut au poète comique », il écrit qu’il lui « faut entrer dans le fond des choses[12] », comme si le comique consistait à dénuder les apparences et à gagner les profondeurs cachées. Ainsi permet-il, plus précisément, de montrer la double nature des choses : réel et idéal, fini et infini, matière et esprit, envers et endroit… Car n’est-ce pas cette dualité de la réalité qui est, in fine, au principe du comique ?

En ce sens, le comique balzacien, manière de faire percevoir le monde et de présenter ses contradictions, relève d’un niveau qu’on pourrait dire métaphysique. Rapport de l’être et du néant, sens de l’Histoire, possibilité du sens : telles sont aussi les questions qu’il pose et avec lesquelles il joue. « L’histoire est une plaisanterie permanente dont le sens échappe[13] » peut-on lire dans un petit texte de Balzac, La Comédie du diable

Un comique « de position »

Mais l’interrogation pourrait porter également sur le « lieu » de ce comique, sur la distance de ce qu’on pourrait appeler le « point de vue comique » au réel présenté. Car, chez Balzac, les échelles d’appréhension varient. C’est parfois à la surface, des mots et des choses, que surgit, théâtral et spectaculaire, le comique. Du côté de la caricature, du trait d’esprit, du jeu de mots, ce comique de la déformation et du prélèvement, au ras des manières d’être, de se mouvoir, de parler, suppose une vision-saisie en gros plan, au plus près du réel. Ailleurs, c’est de l’éloignement et de la réduction des actions considérées qui en découle, que naît le comique. Avec les distances changent les tonalités. Le comique tantôt accuse l’écart, le dualisme, de la matière et de l’esprit, du corps et de l’âme, tantôt comble le distance, en faisant remonter à la surface le caché. Le rire est tantôt jouissance joyeuse d’une matière mouvante (des signifiants, des corps), tantôt ébranlement du monde et de sa stabilité. La même dualité se retrouve dans la « situation » du narrateur, comme absorbé parfois par les êtres et la réalité présentés, tantôt dans la position d’un observateur-scénographe exhibant de loin une réalité en déséquilibre[14]. Ne sont-ce ces variations de points de vue et de formes, cette oscillation entre le local et le global qui donnent au comique balzacien ses singularités ?

Un comique contrarié et contrariant

On pourrait souligner enfin que le comique balzacien se présente rarement comme une forme pleine, apparaît rarement en pleine forme. Certes, Balzac souligne très tôt que « le rire est un besoin en France » que  « le public demande à sortir des catacombes où le mènent, de cadavre en cadavre, peintres, poètes et prosateurs[15] » : le comique doit permettre de se garder de la morbidité sclérosante d’un certain romantisme et de la pesanteur des idéologies. Mais ce comique n’est plus celui de l’ère de Rabelais[16]. N’est-il pas du côté de la raillerie, devenue, selon le Balzac des années 1830, « toute la littérature des sociétés expirantes[17] » ? Le romancier exprime très souvent sa crainte que disparaissent le comique et ses conditions dans la société française des années 1830-1840[18]. Et l’on ne s’étonnera donc pas de retrouver chez Balzac un « comique qui ne fait pas rire », selon une formule de Flaubert, un comique railleur, qui n’efface pas, voire met en valeur, la dimension tragique ou pathétique de la réalité. Nul hasard à ce que soit sans doute chez Balzac que se rencontre d’abord le terme de « comi-tragique[19] ». Le roman balzacien présente une « alliance du comique et du tragique[20] », des « scènes à la fois comiques et tragiques[21] ».  Souvent « terrible » ou « horrible », le comique naît d’un détail qui, en soi, ne l’est pas. Ces scènes « comiquement dramatique[s][22] » ou « horriblement comiques », ce comique, mélangé, « mêlé », comme contrarié, dont la formule « Viva ridendo malis[23] » pourrait être l’emblème, doivent aussi permettre d’échapper à une vision trop sérieuse ou univoque du réel, moins pour redresser la perspective que pour la déplacer et ajouter du réel au réel, de la connaissance à la connaissance.

C’est à la manière dont le comique participe au projet balzacien d’exploration d’un monde complexe et en devenir que l’on voudrait donc s’intéresser ici, en évitant aussi bien de ne considérer le comique que comme un simple ornement ou délassement que d’en faire un principe systématique ou une clôture figée du sens.

Voici les pistes qui peuvent guider les propositions de communication (sachant qu’elles ne sont pas exhaustives). On pourra :

Revenir sur la définition et la terminologie du comique

-Faire le point sur la terminologie utilisée par Balzac : « comédie », « comique », « drolatique », « drôle »…

-Interroger les tonalités du comique : le comique gai, le comique grotesque, l’humour noir[24], etc.

-Revenir sur les distinctions et recoupement entre comique, ironie, humour, blague, esprit, satire ; interroger la notion très balzacienne du « drolatique », celle d’« ironie humoresque[25] », ou encore celle d’« ironisation[26] »

-Situer Balzac et le comique balzacien par rapport aux grandes théories du rire et de la comique.

-Comparer la conception du comique balzacien par rapport à celle d’autres auteurs (Rabelais, Hugo, etc.)

Analyser l’écriture romanesque du comique

-Distinguer les différentes réalisations du comique et notamment le rapport entre comique verbal et le comique non-verbal

-S’interroger sur les « lieux » du comique balzacien. Y a-t-il chez Balzac, des situations, des régimes textuels, des types de personnages, comiques ?

-Examiner l’inscription du comique dans le texte, le lien entre comique et composition des œuvres.

Interroger les rapports entre comique et genres non romanesques

La question du comique excède le corpus de La Comédie humaine. On pourra s’interroger sur la compatibilité entre comique et formes romanesques mais aussi sur la présence, le rôle et les spécificités du comique dans les diverses productions balzaciennes

Les écrits de jeunesse (certains s’inscrivant dans la lignée de ce qu’on appelle les « romans gais », comme Jean-Louis ou la fille trouvée)

Les écrits journalistiques

Les Contes drolatiques

La Physiologie du mariage

La production théâtrale (notamment Le Faiseur)

Revenir sur la « vision du monde » que dévoile le comique balzacien

-Considérer comment s’articulent la force comique et l’axiologie des romans balzaciens.

-Analyser la « pragmatique » du comique balzacien. Quel(s) effet(s) ce comique provoque-t-il ? Quelles sont les tonalités qu’il mobilise ? Quel(s) lecteur(s) – rieur, complice, mis à distance, décalé, « partagé » – appelle-t-il à l’existence ? 

-Peser la place du comique dans l’élaboration de La Comédie humaine. Est-il une manière d’échapper aux attendus de l’œuvre, ou à l’inverse la formule obligée d’une pleine saisie du réel, la condition de la constitution du « monument-Comédie humaine » ?

-Réfléchir sur le rapport entre vision esthétique et vision du monde

*

Les propositions et titres de communication sont à envoyer avant le 15 mai aux adresses suivantes :

jdebguy@club-internet.fr.

 

 

 

 

[1] Les Comédiens sans le savoir, CH, VII, p. 1197.

[2] Pierre Grassou, CH, VII, p. 1096.

[3] Voir notamment d’Elisheva Rosen, « Le grotesque et l’esthétique du roman balzacien », in Claude Duchet, Jacques Neefs (éd.), Balzac : L’invention du roman, Paris, Belfond, 1982, p. 139-156, « Le pathétique et le grotesque dans La Cousine Bette », in Françoise van Rossum-Guyon et Michiel van Brederode (dir.), Balzac et Les Parents Pauvres : Le Cousin Pons, La Cousine Bette, Paris, SEDES, 1981, p. 121-133, « Le festin de Taillefer ou les saturnales de la monarchie de juillet, in Balzac et La Peau de chagrin, Claude Duchet (dir.), Paris, SEDES, 1979, p. 115-126, et, de Ruth Amossy, « L’esthétique du grotesque dans Le Cousin Pons », in Françoise van Rossum-Guyon et Michiel van Brederode (dir.), Balzac et Les Parents Pauvres : Le Cousin Pons, La Cousine Bette, op. cit., p. 135-145.

[4] José-Luis Diaz, « "Avoir de l’esprit" », L’Année balzacienne, 2005, p. 145-174.

[5] Laélia Véron, « Le trait d’esprit dans La Comédie humaine de Balzac : étude stylistique », thèse soutenue le 2 mars 2017, Ecole Normale Supérieure de Lyon.

[6] Éric Bordas, Ironies balzaciennes, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2003.

[7] Michael Riffaterre, « Contraintes de lecture : l’humour balzacien », L’Esprit créateur, vol. 24, n° 2, été 1984, p. 12-22.

[8] Nathalie Preiss, Pour de rire ! La blague au XIXe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, « Perspectives littéraires », 2002.

[9] Maurice Ménard, Balzac et le comique dans La Comédie humaine, Paris, Publications de la Sorbonne / Presses Universitaires de France, 1983.

[10] Voir notamment Marie Panter, « Le rire du romancier : "humour", "ironie", "parodie" dans les théories postromantiques du roman », Humoresques, n° 41, printemps 2015.

[11] Voir notamment Alain Vaillant, La Civilisation du rire, Paris, CNRS éditions, 2016.

[12] Lettres à Mme Hanska, t. I, Paris, Laffont, « Bouquins », 1990, p. 423.

[13] La Comédie du diable, Œuvres diverses, t. II, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1996, p. 1104.

[14] Sur cette double dimension, voir Juliette Grange, Balzac. L’argent, la prose, les anges, Paris, La Différence, 1990, p. 209-213.

[15] « Complaintes satiriques sur les mœurs du temps présent », Œuvres diverses, t. II, op. cit., p. 743.

[16] D’où le détour par le passé et l’écriture des Contes drolatiques en parallèle à celle de La Comédie humaine.

[17] Balzac, préface de La Peau de chagrin, CH, X, p. 55.

[18] Voir par exemple la préface de Splendeurs et Misères des courtisanes : « L’aplatissement, l’effacement de nos mœurs va croissant. Il y a dix ans, l’auteur de ce livre écrivait qu’il n’y avait plus que des nuances ; mais aujourd’hui les nuances disparaissent. Aussi [...] n’y a-t-il de mœurs tranchées et de comique possible que chez les voleurs, chez les filles, et chez les forçats, il n’y a plus d’énergie que dans les êtres séparés de la société. (CH, VI, p. 425).

[19] Échantillon de causerie française, CH, XII, p. 487.

[20] Lettres à Mme Hanska, t. I, « 13 mars 1839 », op. cit., p. 480.

[21] La Rabouilleuse, CH, III, p. 492.

[22] Lettres à Mme Hanska, t. I, « 11 mars 1835 », op. cit., p. 237.

[23] La Comédie du diable, op. cit., p. 1103. 

[24] Voir notamment la partie consacrée à Balzac dans l’ouvrage d’Érik Leborgne L’Humour noir des Lumières, Paris, Garnier, 2018.

[25] Voir Éric Bordas, Discours et détours. Pour une stylistique de l’énonciation romanesque, Presses Universitaires du Mirail, 2003, p. 183.

[26] Concept proposé par Vincent Bierce dans sa thèse Le sentiment religieux dans « La Comédie humaine » d’Honoré de Balzac. Foi, ironie et ironisation. Thèse soutenue sous la direction d’É. Bordas, à Lyon, en 2017.