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 Auto/biographie, polyphonie, plurivocalité

Auto/biographie, polyphonie, plurivocalité

Publié le par Université de Lausanne (Source : Beatrice BARBALATO)

AUTO/BIOGRAPHIE, POLYPHONIE, PLURIVOCALITÉ

XVIème rencontre de l’Observatoire Scientifique   de la mémoire écrite, orale et iconographique

L’ass. cult. Mediapolis.Europa http://mediapoliseuropa.com/

en collaboration avec l’Istituto Centrale per i Beni Sonori e Audiovisivi, et la

Biblioteca di Storia Moderna e Contemporanea,

Via Michelangelo Caetani 32 - 00186 Roma

et avec

la Casa della Memoria e della Storia

Via di S. Francesco di Sales, 5, 00165 Roma

Les lundi 19,  mardi 20 juin et mercredi 21, 2017

Le calendrier complet sera communiqué à la clôture du programme.

    Polyphonie, plurivocalité, remake peuvent-ils être des clés de lecture pour des récits autobiographiques écrits, oraux, iconographiques ? La citation, le renvoi, la référence à d’autres textes réalisent-ils la célèbre et paradoxale locution Je est un autre de Rimbaud (1871) ?   

L’utilisation de mots ou d’images prélevés d’un autre contexte et transplantés dans un corpus textuel propre peut répondre à deux objectifs opposés : d’un côté ces éléments peuvent être intégrés en tant que ‘porteurs de vérité’  ; de l'autre, ils peuvent être utilisés comme des instruments purs et simples (« Lorsqu’on n’a pas les mots, on va les chercher », dit un personnage du film Porte aperte, tiré du roman éponyme de L. Sciascia (mise en scène G. Amelio, scénario de G. Amelio et V. Cerami, 1990).

Le mot ‘citation’, rappelle Antoine Compagnon, n’existait pas dans la langue grecque ni latine (A. Compagnon, 1979, p. 95) : « Platon, qui recommande la méfiance par rapport à la répétition et au discours direct, les met en œuvre dans son texte ; Aristote, qui juge leur pouvoir favorablement, s’abstient d’en user » (ibid., p. 109).

La référence par excellence au concept de polyphonie est le livre de Bakhtine La poétique de Dostoïevski (1929). Bakhtine examine quelle place a la voix de différents personnages dans la narration polyphonique de Dostoïevski, et il en déduit que même si cette unicité est déclinée polyphoniquement dans le récit par l’auteur, le moi du personnage est toujours au-dessus (Ibid. p. 47). Dostoïevski, affirme Bakhtine, ne ramène jamais le monde et les consciences des personnages à un dénominateur commun, dans le sens où la dramaturgie garde toute sa tension, jamais couverte par l’idéologie de l’auteur.

Toutes distinctions faites et sans tenir compte d’un regard esthétique, on trouve aussi cette procédure dans des autobiographies et dans des interactions quotidiennes, comme en témoignent des études récentes de sociolinguistique sur des phénomènes interactionnels translanguaging, stylisation et crossing (Ben Rampton 2005 & Ofelia García-Wen Li, 2014).

Collage, plurivocalité, pastiche dans la « culture du bas »

 Bakhtine écrit : « Le paysan analphabète, à des distances infinies de tout centre, plongé naïvement dans une existence quotidienne qu’il tenait pour immuable et immobile, vivait au milieu de plusieurs systèmes linguistiques : il priait Dieu dans une langue (le slavon d’Église), il chantait dans une autre, en famille, il en parlait une troisième et, quand il commençait à dicter à l’écrivain public une pétition pour les autorités du district rural, il s’essayait à une quatrième langue (officielle, correcte, ‘paperassière’). C’étaient des langages différents, même du point de vue social et dialectologique. Mais ils n’étaient pas dialectiquement corrélatés dans la conscience linguistique du paysan. Il passait de l’un à l’autre sans y penser, automatiquement : chacun était indéniablement à sa place, et la place de chacun ne pouvait être discutée. Il ne savait pas encore voir le langage (ni le monde verbal qui lui correspondait) avec ’les yeux’  d’un autre langage, par exemple, voir le langage et le monde quotidiens à partir du langage de la prière, de la chanson et vice versa » (M. Bakhtine, 1978, p. 116-117).

I quaderni di Luisa est le journal intime d’une femme à demi-analphabète qui adopte les registres linguistiques à la fois du médecin, des enseignants de ses enfants et des experts, s'imaginant ainsi avoir la légitimité de se raconter ; elle ne peut le faire qu’en recourant à la parole d’autrui. Dans cette entreprise, elle s’autorise ainsi à décrire sa vie quotidienne à travers les langages qu’elle considère comme influents. (Luisa, I quaderni di Luisa, Piacenza, Terre di mezzo, 2002. Premio dell’Archivio diaristico di Pieve S. Stefano, 1990).

Même ancrage, même si sous une autre prémisse, celui de Clelia Marchi, qui dans Gnanca ‘na busìa, - Même pas un mensonge - (Milano, Mondadori, 1992), une autobiographie en dialecte de Mantoue, justifie son droit à se raconter sur le drap matrimonial, parce que son instituteur d'école primaire avait expliqué que c'était la tradition des Étrusques.

La technique de reprendre dans un monologue la voix des autres est aussi présente dans le théâtre de narration contemporaine. Ainsi, la polyphonie exemplaire d’Ascanio Celestini est l’axe portant de son théâtre. Il dit lui-même avoir écouté et réécouté mille fois la voix des autres pour se faire leur porte-parole dans un récit à la première personne. 

La parole comme logos

Youri Lotman rappelle, en mentionnant Boris Uspenskij, qu’écrire un texte en slavon d’Église était déjà en soi une garantie de sa véridicité (Youri Lotman, 1999, p. 187). C’est d’une certaine manière le même concept qui est à l'œuvre dans Les Maîtres de la vérité dans la Grèce archaïque de Marcel Detienne (1967). L’aède, le devin, le roi de justice étaient censés prononcer des mots de vérité. Dans la tradition chrétienne, l'endroit de l'église où le prêtre prononce le sermon est appelé la « chaire de vérité ». L’évocation de mots spécifiques, l'invocation de personnes spécifiques peuvent déterminer le prestige et la fiabilité de l’écriture. Cela vaut aussi dans le domaine autobiographique.

L’adoption d’une langue étrangère (pensons à la noblesse russe du XIXe siècle comme la décrit Tolstoï) ou l’adoption de registres déterminés confirment souvent l’aspiration à apparaître plus proches ou à s’identifier à la réalité de certaines situations.

Le Je absolu dans la narration romanesque

Si, dans la « culture du bas » comme dans l’interaction quotidienne, s’accréditer via des registres réputés plus adéquats n’est pas soumis à un amalgame, ni harmonisé selon des critères esthétiques dans l’intention d’assimiler sa propre image aux situations auxquelles on voudrait appartenir, par contre dans la culture haute, comme dit Barthes en renvoyant à Flaubert, l’écrivain veut empêcher le lecteur de comprendre qui parle, parce c’est le véritable objectif de l’écriture (R. Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1973, p. 146). Flaubert affirme : « La Bovary, c’est moi », il signifie aussi que tout le geste de l’écrivain professionnel est autobiographique. Selon la célèbre distinction qu'opère Barthes entre écrivains  et écrivants, la reconnaissance des sources assume des fonctions différentes.

Dans sa confession le Secretum (1347-1349), Pétrarque introduit un dialogue imaginaire avec saint Augustin en présence de la Vérité et fait prononcer au Père de l'Église des extraits de ses propres œuvres ! Il soutient de la sorte sa propre excusatio (par rapport au reproche autoformulé d’acedia). Ce sont des interventions de chirurgie esthétique.

L’horizon épistémique (Cesare Segre, 1992, voir en particulier Riflessioni sul punto di vista, pp. 13-26) peut s’aplatir ou se dialectiser, agir à travers des formes additionnelles ou mises en perspective, en rendant dans ce cas les sources inidentifiables. Pasolini lui-même a écrit sur le fonctionnement de l’écriture du « bas » et du « haut » et sur leurs façons respectives de copier et de citer (Antonio Piromalli&Domenico Scarfoglio, 1976, p. 60).

Écrire est toujours récrire

Citer intégralement, devenir la source. C'est le paradoxe de Borges : que faisait Pierre Menard en voulant récrire le Quichotte ? Il lui semblait que vouloir être au XIXe siècle un romancier du XVIIe était une simulation. En quelque sorte, être Cervantès et arriver au Quichotte était moins ardu ; ainsi, dans cet anachronisme et effacement du temps, Menard excrète son profil autobiographique pour devenir Cervantès lui-même (Jorge-Louis Borges, «  Pierre Menard, autor del Quijote » – Ficciones, in Obras Completas I, dir. Rolando Costa Picazo et Irma Zangara, Argentina, Emecé Editores, 2009, [1944], pp. 842-847). Inutile de souligner le nombre d’horizons interprétatifs vers lesquels nous conduit Borges, qui renverse complètement le sens commun donné à l’artifice de la citation et à l’appropriation subreptice de la voix d’autrui. Borges a-t-il pensé à l’Éternel Retour de Nietzsche et à La Répétition de Kierkegaard (1843) ? À la nécessité de revenir sur les mêmes lieux, de répéter des passages déterminés de sa propre vie pour se re-connaître ? Kierkegaard se positionne critiquement vers la philosophie dialectique de Hegel et postule l’idée que la répétition, proche du concept grec de réminiscence, évoque des moments de ce qu’il a déjà été, et en le répétant le fait revivre dans l’actualité, en le transformant en acte. Le mot médiation est étranger, pas seulement dans la forme mais dans le mérite : répéter est par contre reprendre, refaire vivre des moments que, dans leur totale singularité, l’homme a élu comme colonnes de sa propre existence pour être libre, c’est-à-dire au-delà de tout déterminisme.

Cette démarche, cette conscience que répéter est consubstantiel à sa propre existence, on la trouve avec une argumentation différente, chez Casanova, qui manifeste au début de ses Mémoires (écrits en français, entre 1789 et 1798, publiés à titre posthume) son propre Esse est percipi, à travers la ré-évocation : « En me rappelant les plaisirs que j'ai eus, j'en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j'ai endurées, et que je ne sens plus. [...] Je sais que j'ai existé, car j'ai senti ; [...] je sais aussi que je n'existerai plus quand j'aurai cessé de sentir ».

Si revenir sur les mêmes souvenirs, les mêmes endroits, les mêmes gestes, est retenu dans les cas mentionnés comme un ancrage à sa propre expérience, le recouvrement d’un point d’origine dans différents domaines, par contre Gilles Deleuze soutient que l’Éternel Retour ne sert qu’à révéler l’absence d’une origine, la vérification de son inconsistance (Gilles Deleuze, 1968, p. 164). Cela n'est pas sans faire penser aux théories de Harold Bloom qui postule que notre culture contemporaine n’a que la possibilité d’équivoquer, en copiant et en rendant pas reconnaissables les sources, aux fins de dépister, de se soustraire à l’anxiété due à l’influence des pères. (Harold Bloom, 1973).

Les arts figuratifs et la filmologie ont donné une grande contribution à cette réflexion, il suffit de penser à On connaît la chanson (1997) d’Alain Resnais, où chaque refrain ou morceau musical parle du personnage et se révèle très symbolique de la situation particulière qu’il est un train de vivre.

La plurivocalité d'Andreij Tarkovskij est un exemplum hors du commun de la thématique ici argumentée. Dans le film autobiographique Le miroir (Zerkalo, 1975) toute  réminiscence, soit symbolique, soit liée à des faits objectifs (témoignés à travers des documents audiovisuels d’archive, de la guerre civile espagnole à la Seconde guerre mondiale en URSS) est télescopée sur le présent de l’artiste. À un premier niveau interprétatif, toute réévocation a une place autonome dans le film, et cependant dans leur ensemble ces réminiscences composent l’extraordinaire tableau de la manière d’être et d’apercevoir de Tarkoskij de son monde individuel et de sa culture russe, sa véritable colonne vertébrale.

Cet appel concerne diverses disciplines. Les objectifs de cette rencontre de l’Observatoire sont : a) de réfléchir sur les différentes formes du récit à la première personne à travers le recours aux citations, évocations, interférences de la voix d’autrui, dans des œuvres écrites, orales, iconographiques ; b) de comprendre la fonction que ces stratégies assument dans la construction de l’image de la personne, de sa manière de se mettre en scène dramaturgiquement, ou en représentant monologiquement ou en mettant en acte divers processus performatifs.

Des propositions sur d’autres perspectives dans ce domaine seront les bienvenues.

 

- Mikhaïl BAKHTINE, La poétique de Dostoïevski, Paris, Points,  1998.

-Mikhaïl BAKHTINE, Esthétique et théorie du roman, (traduit du russe par Daria Olivier, préf. de Michel Aucouturier, Paris, Gallimard, 1978. (Mosca 1955).

- Beatrice BARBALATO, (dir.), Le carnaval verbal d’Ascanio Celestini. Traduire le théâtre de narration ? (dir.), Bruxelles, Peter Lang, 2011.

-B.BARBALATO «L’ipersegnicità nelle testimonianze autobiografiche», pp. 387-400, in Silvia Bonacchi (dir.), Introd. Anna Tylusińska-Kowalska, Le récit du moi: forme, strutture, modello del racconto autobiografico, in Kwartalnik neofilologiczny, Polska Akademia Nauk, Warzawa 29-30 April 2008. editor: Franciszek Grucza, publié en 2009.

-Antoine COMPAGNON, La seconde main, Paris, Seuil, 1979.

-Gilles DELEUZE, Différence et répétition, PUF 1968.

-Harold BLOOM, A Map of Misreading. New York, Oxford University Press, 1975

-H. BLOOM, The Anxiety of Influence: A Theory of Poetry. New York:, Oxford University Press, 1973.

-Søren KIERKEGAARD, La Répétition, Paris, Éditions Payot&Rivages, 2003. (Gjentagelsen, 1843).

-Ofelia GARCÍA, Wei LI, Translanguaging. Language, Bilingualism and Education, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014.

-Youri LOTMAN, La Sémiosphère, Presses universitaires de Limoges, 1999. “Pravo na biografiju”, 1984.

-Antonio PIROMALLI- Domenico SCARFOGLIO, Pier Paolo Pasolini, volgar’ eloquio, Napoli, Athena, 1976.

-Ben RAMPTON (2005) : Crossing, Manchester, St. Jerome, 2005.

-Cesare SEGRE, Intrecci di voci. La polifonia nella letteratura del Novecento Einaudi, Torino,1992.

A) L’échéance pour présenter une proposition est fixée au 28 février 2017. Les propositions comprendront deux cents mots maximum, avec la mention de deux textes de référence ainsi qu’un bref curriculum de maximum cent mots comportant éventuellement la mention de deux de ses propres publications (essais ou livres).

Le comité scientifique lira et sélectionnera toutes les propositions, qui doivent être envoyées via la page Conférence registration du site http://mediapoliseuropa.com/

Pour toute information :

beatrice.barbalato@gmail.com, irenemeliciani@gmail.com

 

B) La réponse définitive sur l’acceptation sera donnée avant le 15 mars 2017.

C) Pour connaître les matières des symposiums des années précédentes, les activités, les dispositions pratiques ainsi que l’équipe scientifique et organisatrice, visiter le site : http://mediapoliseuropa.com/

Pour ce qui concerne l’inscription au colloque, une fois acceptée la proposition :

Avant le 28 février 2017 : 100,00

Du  1er mars au !er mai,  2017 120,00

L’inscription ne sera  pas acceptée in loco.

Étudiants

Avant le 28 février 2017 : 60,00

Du  1er mars au 1er mai 2017 : 75,00

L’inscription in loco ne sera  pas acceptée

- L’association Mediapolis.Europa coopère à la publication de la revue Mnemosyne, o la costruzione del senso [http://pul.uclouvain.be/review/?collection_ID=63] (Presses universitaires de Louvain), qui a édité plusieurs contributions aux colloques antérieurs.

Cette publication est peer reviewed.

 https://dbh.nsd.uib.no/publiseringskanaler/erihplus/periodical/info?id=488665

Comitato scientifico

Beatrice Barbalato, Mediapolis.Europa

Fabio Cismondi, Euro Fusion

Antonio Castillo Gómez, Alcalá de Henares (Madrid)

Irene Meliciani, Mediapolis Europa

Albert Mingelgrün, Université libre de Bruxelles

Giulia Pelillo-Hestermeyer, Universität Heidelberg

Anna Tylusińska-Kowalska, Uniwersytet Warszawski

Organizzazione

Irene Meliciani, managing director Mediapolis.Europa