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La rhétorique filmée dans le cinéma 1927–1960 (Paris)

La rhétorique filmée dans le cinéma 1927–1960 (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Guillaume Cot)

(English below)

 

La rhétorique filmée dans le cinéma (1927 – 1960)

Etats-Unis, France, Allemagne

COLLOQUE INTERNATIONAL

Paris - 6 et 7 juin 2019

 

Les débats, discours, joutes oratoires et autres prises de parole publiques sont des moments clefs de la construction du récit filmique. Dans les films, les allocutions publiques font l’objet de diverses mises en scène présentant les mots comme force et forme de persuasion. Le cinéma parlant, comme le théâtre, donne à voir autant qu’à entendre la puissance du langage par des hommes qui en sont les dépositaires. À mettre en image les mots de celui qui argumente, les films retrouvent cet art ancien qu’est l’art de convaincre. Ils instituent des correspondances entre la dimension textuelle de la rhétorique et l’image qu’elle évoque. L’objet est donc double : une rhétorique filmée, c’est à la fois une rhétorique qu’on filme, image dans l’image et le film comme rhétorique.

Il s’agit de se demander, si par-delà les énoncés et les arguments filmés, les plaidoyers ne valent pas aussi bien pour l’acte même d’exposer dans le film une parole, selon une certaine mise en scène de l’elocutio. Nous interrogerons alors l’impact des usages et des effets issus d’une culture de l’éloquence, à la fois dans l’image de celui qui parle, et dans le trajet qui mène à ceux qui reçoivent cette parole.

Le croisement de l’analyse rhétorique - c’est-à-dire l’étude des éléments textuels et gestuels de déclamation, et leur mise en espace – et de l’analyse filmique permet d’interroger cinématographiquement & théâtralement le passage d’une prise de parole filmée à ce qui constituerait un acte de parole du film. Les pratiques et mémoires de gestes rhétoriques s’observent au prisme de différentes circulations. Il s’agira alors d’étudier celles qui se manifestent à la fois entre les différents arts (principalement le théâtre et cinéma), mais également entre les arts et les pratiques politiques et juridiques.

Il existe une longue et vaste tradition, théâtrale d’abord, cinématographique ensuite, de représentation de ces personnages-tribuns. Ainsi, dès 1911, Lucien Guitry incarne Le Tribun d’Émile Fabre. À la suite des expérimentations naturaliste du XIXème siècle, un théâtre à vocation populaire et patriotique se met en place, notamment dans les différents « théâtres du peuple » européens (Volkstheater à Vienne, Schiller Theater à Berlin, Théâtre du Peuple de Bussang). Cette tradition d’un théâtre du peuple, à la fois patriotique et réaliste, a pu influencer le théâtre et le cinéma américain1 et leur représentation de la rhétorique, tandis que, au même moment, la tournée de Stanislavski aux États-Unis inspirait un nouveau type de jeu chez les comédien-ne-s américain-e-s, notamment sous l’influence du Group Theatre.

Dans les films, les personnages-tribuns, devenus ‘héros-orateurs’2 ont très souvent fait l’objet de scènes de procès, qui est un genre où s’est illustré entre autre le cinéma américain, le cinéma français et le cinéma allemand. Les lieux de l’assemblée, du tribunal, de l’agora ou du forum ont permis d’analyser les images du délibératif, du judiciaire et de l’épidictique. L’élargissement de ces scènes et de ces gestes à celles d’autres sites, d’autres personnes et d’autres gestes diffuse et déplace la référence à la tribune, à comprendre comme «l’axe verbal qui est proposé par le discours rhétorique d’un orateur»3. À travers les allocutions de personnages variés, de registres ou de moments inattendus (Anybody’s Woman, Dorothy Azner ; Notre pain quotidien, King Vidor), la rhétorique reproduit des codes d’adresse alors même qu’elle s’extrait d’un cadre juridique. À déborder ainsi des genres qui lui sont traditionnellement attachés, la rhétorique filmée dynamiserait le rapport entre cinéma, théâtre et éloquence, depuis les débuts du parlant jusqu’à ce que le medium télévisuel n’ait en partie modifié les conditions d’exercice de la parole filmée.

Les formes que la rhétorique filmée met en mouvement sont à rapprocher de leurs histoires politiques et culturelles, des héritages et des influences. En d’autres termes, la construction esthétique d’un ‘orateur-héros’, rhéteur au sein d’une sphère inhabituelle, sert souvent un propos populaire. Etudier la mise en image de ces porte-paroles, qu’ils soient ou non des hommes issus du peuple, et que leurs discours soient ou non destinés au plus grand nombre, conduit inexorablement le film à renseigner l’environnement dans lequel s’inscrit la fiction.

Le colloque s’intéressera enfin aux ambiguïtés voire aux limites que pose l’analyse de la rhétorique filmée. Le caractère populaire de ces prises de parole décline en différents profils de tribuns l’expression de la démocratie. Les questions de responsabilités ou de partage transparaissent alors de manière directe (Juarez, Dieterle 1938 ; Young Mister Lincoln, Ford 1939 ; Mr. Smith goes to Washington, Capra 1939) et indirecte (Fury, Lang 1936 ; Madame Curie, LeRoy 1943) au bénéfice d’une attention ou d’une critique envers les principes démocratiques et des institutions (personnes morales et physiques) censées les incarner. Pourtant, la maîtrise des codes rhétoriques n’est réservée qu’à une minorité d’hommes. Faire voir la rhétorique, c’est rendre visible le performatif et l’influence des mots, selon des pratiques oratoires que seuls quelques tribuns détiennent et dont les effets varient sensiblement selon leurs usages. Ce constat n’est pas sans actualiser l’horizon de possibles questionnements : quelles seraient les nouvelles tribunes, celles qui configurent similairement la puissance d’une parole en image, issue de ce que nous tâchons de nommer la rhétorique filmée.

PISTES DE RECHERCHE

  • Héritages et influences : la rhétorique filmée est l’héritière d’une véritable culture de l’éloquence, qui dépasse le cadre purement artistique. S’imprégnant de techniques de jeux autant que de leur connaissance des tribuns de leur époque, les acteurs, avec l’aide des réalisateurs, construisent une pratique de l’art oratoire. L’existence même de cette pratique invite à sa description précise et à l’étude de ses origines, de ses influences comme de ses transformations.

Comment se manifeste l’elocutio au cinéma ? Y a-t-il une singularité des films classiques hollywoodiens dans les pratiques rhétoriques ? Quelles sont les origines des différentes postures, gestes, stratégies corporelles de tribuns ? D’où provient le jeu des acteurs classiques hollywoodien dans leurs pratiques tribunitiennes ? Quels échanges entre la rhétorique filmée et les tribuns professionnels de l’époque étudiée ? Les acteurs hollywoodiens sont-ils les dépositaires d’une mémoire gestuelle particulière ?

  • Les croisements inter-artistiques et intermédiaux : Le cinéma classique hollywoodien n’est pas un univers clos sur lui-même. Il bénéficie d’apports importants du théâtre, notamment français et allemand, mais aussi des arts picturaux et des pratiques radiophoniques. Ces influences artistiques ont un impact sur les scènes de tribuns.

En quoi la tribune serait-elle un espace théâtralisé ? Comment s’établissent les relations entre les tribuns du théâtre et ceux du cinéma ? Quelles formes d’héritages ? Existe-t-il des influences des arts picturaux ? Comment les tribunes sont-elles relayées ? Produisent-elles des phénomènes de mise en abyme ? Comment les discours sont-ils retransmis via d’autres médias ? Dès lors, que devient l’éloquence ?

  • La rhétorique filmée comme action performative et/ou politique : Il est difficile de ne pas voir dans le film mettant en scène des tribuns un usage du cinéma comme tribune. Cet usage pose le problème des objectifs de la rhétorique. Les usages de techniques de persuasion au cinéma n’impliquent-ils pas un rapport de manipulation au public ? Par ailleurs, de nombreux films proposant des scènes de tribune sont produits à une période où les pratiques persuasives sont autant associées aux délibérations démocratiques qu’aux discours de leaders despotiques. L’étude de la rhétorique filmée ne saurait se passer d’une étude en lien avec son contexte historique.

Comment situer le cadre et les scènes de tribune par rapport à l’ensemble du film ? Quels rôles jouent-ils dans l’organisation et le propos général ? Le film de tribune est-il au service de la démocratie, ou au contraire implique-t-il une ambiguïté dans le rôle de la rhétorique ? Ces films ont-ils tous une dimension politique ? Comment l’audience reçoit-elle ces moments de tribune ? Face à celui qui parle, quelle construction de celui qui écoute ? À qui s’adressent les discours ? Selon quelles techniques et modalités esthétiques l’adresse est-elle mise en scène ?

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Les propositions de communication (500 mots max.) ainsi qu’une brève biographie sont à adresser par e-mail aux co-organisateurs avant le 15 décembre 2018 : rhetoriquefilmee@gmail.com

Les communications peuvent être présentées en français ou en anglais.

 

Comité organisateur :

Mathias Lavin (MCF, P8)

Jennifer Verraes (MCF, P8)

Claire Demoulin (Doctorante EDESTA, P8)

Guillaume Cot (Doctorant EDESTA, P8)

 

Comité scientifique :

Christian Biet (PR, Paris-X)

Teresa Castro (MCF, Paris3)

Martin Goutte (MCF, Paris 3)

Christian Kirchmeier (MCF, Munich)

Martial Poirson (PR, Paris 8)

Guillaume Soulez (PR, Paris 3)

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Visual rhetoric in cinema (1927 – 1960)

U.S. , France, Germany

International Colloquium

Paris 8 – June, 6th and 7th 2019

 

Debates, speeches, verbal jousting and other forms of oral expression play an important role in structuring a film narrative. Just like theatre, talking films allow the spoken word to be seen or heard, which is all the more emphasized when the mise-en-scène uses a variety of methods to portray how words have the power and the means to convince. By creating visual representation of both the person delivering his arguments and of those who receive them, films rediscover the age-old art of persuasion. They establish links between textual rhetoric and the images it evokes, creating a double objective; visual rhetoric is both filmed rhetoric—images within images—and the rhetoric of the film itself.

Above and beyond the contents of filmed statements and arguments, we need to ask ourselves if perhaps such pleas are being used for the very act of expounding words in a film, of giving a speech according to a certain mise-en-scène of the elocution. This raises the following question: how does cultural eloquence have any impact on usage and effects, both in terms of the speaker’s visual representation and the path leading towards those who receive the words?

The intersection between rhetorical analysis (examining the textual and gestural traits of a speech and how they are placed) and film analysis, allows us to study the way in which filmed discourse becomes an act of speech in film, both cinematographically and theatrically. Practicing and remembering rhetorical gestures can be observed under different points of view. This involves studying the intersection of different art forms, mainly theatre and cinema, but also of the arts and political and judicial systems.

There is a long-established tradition of such oratory figures, appearing first in theatre before expanding into cinema. Indeed, as early as 1911, Lucien Guitry incarnated Le Tribun by Émile Fabre. In the wake of 19th century naturalist experiments, a populist and patriotic form of theatre emerged, particularly in the “citizen’s theatres” of Europe (Volkstheater in Vienna, Schiller Theater in Berlin, Théâtre du Peuple in Bussang). Traditional citizen’s theatres, both patriotic and realist, had a certain influence over rhetoric representation in theatres and American movies4 while, at the same time, Stanislavski’s tour in the USA was inspiring a new type of entertainment among American actors and actresses, partly influenced by Group Theatre.

In cinema, orators, who had become orator-heroes’5 were very often the subject of law-themed films, a genre for which American cinema distinguished itself. The setting of legislative assemblies, tribunals, agora or forums allows us to study images depicting deliberation, legal proceedings and epideictic oratory. Expanding such scenes and signs to other locations, other characters and other gestures is a way to distribute and displace the “tribune”, understood as “the verbal axis suggested by an orator’s rhetoric discourse”6. Through speeches delivered by a variety of characters, different registers and unexpected events (Anybody’s Woman, Dorothy Azner; Our Daily Bread, King Vidor), rhetoric reproduces certain codes of speech, even if they are removed from the legislative environment. By moving away from the more traditional genres it is usually associated with, visual rhetoric can inject vitality into the relationship between cinema, theatre and eloquence, from the birth of talking movies until television (and live addresses) changed in part the way rhetoric is conveyed and the spoken word is portrayed.

The connection between different forms of visual rhetoric and their political and cultural history, heritage and influence should be noted. In other words, an aesthetically designed orator-hero or a rhetorician in an unexpected context will often summon popular concerns and debates. Studying the way in which plebeian voices, attributed with mastering the codes of rhetoric, are portrayed in an everyday background, inexorably leads the film to provide us with information about the social and political environment in which the story evolves. The discussion will end by studying the ambiguous nature, or even the limits, of visual rhetoric. Democracy is voiced through the different speakers expressing the voice of the people. These films question the audience about their responsibilities, either directly (Juarez, Dieterle 1938; Young Mister Lincoln, Ford 1939; Mr. Smith Goes to Washington, Capra 1939) or indirectly (Fury, Lang 1936; Madame Curie, LeRoy 1943), by voicing praise or criticism of the democratic principles certain institutions are supposed to embody.

Although the codes of rhetoric contribute to appeal a growing audience and target popular patterns, they are paradoxically elitists since mastered by only a minority of men. To reveal rhetoric is to make visible the performance and the influence of words, thanks to certain oratorical practices possessed by just a few populist speakers, and whose effects and repercussions vary drastically depending on how they are delivered. This assessment undeniably raises one more question: what could constitute new platforms for public declaration, the kind that shapes the power of words into images in a similar way, born of what we attempt to call visual rhetoric?

SUGGESTED RESEARCH ROPOSALS

  • Heritage and influence: visual rhetoric derives from a true culture of eloquence which goes beyond purely artistic notions. Embracing techniques as well as their knowledge about orators of their times, and helped by directors, actors build their own art of public speaking. The very existence of this art calls for a detailed description and the study of its origins and influences.

How is elocutio illustrated in cinema? Are classical Hollywood films unique in the practice of rhetoric? Where do the different postures, gestures and corporal strategies adopted by orators originate from? Where do traditional Hollywood actors draw their inspiration from when making a speech? What are the shared effects of visual rhetoric and professional orators of the period under study? Are Hollywood actors custodians of a specific gestural memory?

  • Interactive crossroads between the arts and mediums: Traditional Hollywood cinema is not a completely closed world. Theatre has provided key input, especially French and German theatre, and so have pictorial arts, radio and television. Scenes featuring orators are impacted by these artistic influences.

What makes a courtroom a dramatized area? How is the relationship between stage and cinematographic orators established? How to identify forms of legacy? Do pictorial arts have any influence? How are speeches relayed? Do they produce mise en abyme phenomena? How are speeches relayed through other mediums? How is eloquence dealt with as a consequence?

  • Visual rhetoric as a performance and/or political stance: In a film featuring public speech, it is hard not to believe that cinema is being used as a platform. This raises the question of the reasons for rhetoric. Does using persuasion techniques in cinema imply a degree of audience manipulation? Moreover, many films featuring scenes of public speech are produced at times when persuasive practices are associated with democratic concerns and speeches delivered by tyrannical leaders. To study visual rhetoric requires that we examine the links to historic context.

How to position context and scenes of public speech within the film as a whole? What roles do they play in the sequence and general intention of the film? Is a film at the service of democracy or, on the contrary, does rhetoric imply ambiguity? Do all these films have a political dimension? How does the audience react to proclamations? When listening to an orator speak, how does the listener construe what he is saying? Who is the speech directed at? According to which techniques and aesthetic manners is the speech directed?

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Conference proposals (500 words max.) and a short biography should be sent to the organizers by email and are expected before December 15th, 2018.

rhetoriquefilmee@gmail.com

Papers may be submitted in English or in French.

 

Organizing committee :

Mathias Lavin (MCF, P8)

Jennifer Verraes (MCF, P8)

Claire Demoulin (Doctorante EDESTA, P8)

Guillaume Cot (Doctorant EDESTA, P8)

 

Scientific committee :

Christian Biet (PR, Paris-X)

Teresa Castro (MCF, Paris3)

Martin Goutte (MCF, Paris 3)

Christian Kirchmeier (MCF, Munich)

Martial Poirson (PR, Paris 8)

Guillaume Soulez (PR, Paris 3)

 

1 Marie C. Henderson, Theater in America, p. 67: « While the movies were profoundly affecting the livelihood and status of playwrights, by 1920, the artistic tide was again flowing strongly from Europe. No longer was it possible for producers to ignore the work of Ibsen, Shaw and the German and French realist playwrights ».

2 Nous poursuivons les réflexions de F.M. Nevins sur les héros de la justice, in : John Denvir (ed.), « Through the Great Depression on Horseback », Legal Reelism, University of Illinois Press, 1996, p. 45.

3 Guillaume Soulez, Quand le film nous parle : Rhétorique, Cinéma, Télévision, Paris, PUF, 2011. p. 143.

4 Marie C. Henderson, Theater in America, « While the movies were profoundly affecting the livelihood and status of playwrights, by 1920, the artistic tide was again flowing strongly from Europe. No longer was it possible for producers to ignore the work of Ibsen, Shaw and the German and French realist playwrights », p.67.

5 John Denvir, « Through the Great Depression on Horseback », Legal Reelism, University of Illinois Press, 1996, p. 45.

6 Guillaume Soulez, Quand le film nous parle : Rhétorique, Cinéma, Télévision, Paris, PUF, 2011. p. 143.