Acta fabula
ISSN 2115-8037

2016
Janvier 2016 (volume 17, numéro 1)
titre article
Héctor G. Castaño

La dette, les corps & la crise de l’individu

Samuel Weber, Inquiétantes singularités, traduction de Charles Coustille, Paris : Éditions Hermann, coll. « Le Bel Aujourd’hui », 2014, 340 p., EAN 9782705687915.

1Quelle place la pensée contemporaine réserve-t-elle au singulier ? Ou plutôt, quelle place peut-elle lui réserver, étant donné les contraintes idéologiques, économiques ou matérielles de notre présent ? Cette question résumerait peut-être le propos d’Inquiétantes singularités qui, loin de proposer une théorie rassurante de la singularité, cherche à aborder un problème que notre temps rend presque impensable. Cela explique le choix des fils conducteurs : la guerre contre la terreur, la crise économique, les transformations de la souveraineté, les images produites par les média, etc. Autant de « symptômes » d’un malaise qui invite à poser encore une fois la question de la singularité et des rapports qu’elle entretient avec la figure de l’individu, qui lui a longtemps fait de l’ombre.

2Le livre de Samuel Weber s’écrit à partir de sources très diverses, certaines très lointaines entre elles : les analyses de La Genèse se côtoient avec celles de Freud ou des discours économiques de nos jours. D’un texte à l’autre, le problème de la singularité se décline différemment et, comme le livre le montrera dans le chapitre « La singularité de la connaissance littéraire », il constitue d’abord un problème de lecture. Ou le problème de la lecture : celui qui apparaît dans le choix des textes, leur étude et surtout l’interprétation que toute lecture met en place.

3Pour cette raison, le motif du singulier nomme d’abord l’instance qui met en marche un travail de lecture attentif aux bordures critiques — externes et internes — de ce que S. Weber appelle « l’interprétation monothéiste-individualiste de la faute ». Si cette interprétation peut être considérée paradigmatique dans sa portée, c’est probablement dans la mesure où elle se confond avec ce que l’on a pu nommer « la métaphysique ». Pour cette raison :

toute alternative à l’interprétation monothéiste-individualiste dominante de la faute (à laquelle se conforme le bon citoyen) devra se construire sur des contradictions et des tensions internes plutôt qu’en faisant appel à une extériorité qui, en tant que telle, est déjà incluse dans la logique binaire et oppositionnelle du système politique mono-théologique et de ses institutions. (p. 209)

4Cette citation illustre la difficulté principale d’Inquiétantes singularités : il faudra aller à la rencontre de la singularité à l’intérieur d’une interprétation dominante. Celle-ci pourtant n’octroie aucune place à la singularité dans la topologie de ses oppositions binaires.

5Dans le cadre de cette interprétation monothéiste-individualiste, S. Weber privilégie un moment plutôt « moderne » où la réduction voire l’élimination du singulier devient une tâche systématique. Or la singularité est aussi fuyante qu’instable et, dans cette mesure, en elle s’opère la plus coriace des résistances, sous les formes les plus diverses : comme détournement, comme parasitage ou, justement, comme interprétation. Mais si les accents politiques d’une telle résistance semblent clairs, il faut avancer que la singularité ne se donne jamais comme telle. C’est pour aborder cette difficulté supplémentaire que le livre de S. Weber propose autant de détours et autant d’interprétations. Car le mode d’apparition de la singularité consiste à se donner pour se perdre immédiatement. Elle est dès lors si impuissante, elle semble tellement étrangère à la force, qu’on peut se demander si ce qu’elle produit est vraiment une forme de résistance.

6La difficulté à saisir une telle instance s’illustre dans le conflit entre l’individu et le singulier. Ces deux concepts nomment les deux pôles autour desquels s’articulent les principales approches du livre. Mais ces deux pôles ne sont pas simplement symétriques. L’individu incarne le désir d’accomplissement qui caractérise l’interprétation dominante depuis plusieurs siècles. De son côté, le singulier est une composante de l’individu qui serait toujours inatteignable, y compris par l’individu lui‑même. Il n’est donc ni simplement intérieur, ni simplement extérieur.

7Dans un premier moment, nous proposons de systématiser, de façon schématique et illustrative, et peut-être un peu réductrice, les différences entre le concept d’individu et celui de singulier développés dans Inquiétantes singularités. Le « tableau » qui en résulte permettra de mieux s’orienter dans la brève exposition thématique qui suivra, et qui essaiera de souligner les apports principaux du livre pour plusieurs chantiers de réflexion sur nos plus intimes inquiétudes contemporaines : le problème philosophique du temps comme problème de l’avenir l’économie et la crise ; l’action politique ; et finalement, le concept de corps et, avec lui, le vaste domaine de l’esthétique, avec une attention portée très particulièrement à la critique littéraire.

Le singulier n’est pas simplement l’individu (tableau récapitulatif)

8En schématisant le contraste entre le singulier et l’individu, que S. Weber développe avec soin tout au long de son texte, il sera possible de mieux s’orienter dans les enjeux et thématiques très variés que ce livre aborde. Chaque trait de la singularité est celui d’un débordement de l’individu, car ce dernier ne serait qu’une interprétation moderne du problème de la singularité :

9a) La singularité est divisible, tandis que l’individu se veut indivisible (p. 10‑11).
b)
La singularité est une forme de la différence, et plus concrètement de la différence avec soi. L’individu, lui, est une forme de l’identité : il se veut identique à soi (p. 46).
c)
Le singulier est irrépétible, mais sa structure le promet à la répétition (il est donc une forme de ce que Derrida a appelé l’itérabilité1, c’est-à-dire de la répétition qui comporte de l’altération ou de l’altérité) (p. 11 et p. 43). L’individu, par contre, ne peut qu’être ou ne pas être (p. 7).
d)
Irrépétible, la singularité est pourtant liée à ce qui la précède : dès lors, le trait caractéristique du singulier est sa relationnalité (p. 124) ; il est « lié à un retour toujours manqué » (p. 10). L’individu, de son côté, est conçu comme une entité à vocation autosuffisante et comme réduction de l’altérité.
e)
La singularité est inquiétante (p. 277-279), l’individu est rassurant (p. 91). Elle est inquiétante car elle n’a pas de lieu propre, ni de sens propre non plus : elle est vide de sens (p. 9).
f)
La singularité est une « finalité sans fin » : elle se lit à partir de ce que l’esthétique kantienne a ouvert (p. 87). La singularité permet, grâce à son caractère relationnel, un sentir en commun (qui n’est pas un sensus communis) : dès lors, le terrain d’expérience de la singularité n’est pas le calcul rationnel, mais plutôt l’affect éveillé par sa rencontre (p. 260).
g)
La singulier n’est pas le particulier : le particulier étant ce qui s’ordonne au général (p. 193). Dans cette mesure, ni l’État-nation ni le peuple ne constituent les formes juridiques ou morales de la singularité.
h)
Le « soi », à partir de Descartes, désigne l’homme de manière exemplaire (p. 194-195). Le soi ou le « self » sont donc des concepts qui s’opposent à la singularité, qui n’est pas le principe de quelque chose d’indivisible et autonome (p. 184).
i)
L’individu est un concept qui fait système avec ceux de genre et d’espèce : il est individu toujours par rapport à un genre, selon la logique de l’exemplarité propre au paradigme créationniste (p. 141 et p. 195). Le singulier, de son côté, ne relève ni d’une généralisation ni d’une particularisation.
j)
Puisque la notion d’individu est une interprétation de la singularité, celle-ci est inséparable de l’individu. Paradoxalement, le singulier est aussi ce qui se distingue radicalement de l’individu, et cela est ainsi précisément parce que la singularité se caractérise par sa séparabilité radicale et sa divisibilité irréductible (p. 229). L’individu n’est jamais simplement indivis, il est aussi singulier : ce ne sont pas des notions opposées. Il faut plutôt comprendre la notion moderne de l’individu comme une interprétation de la singularité qui s’enracine dans la tradition abrahamique (p. 184).
k)
L’expérience de la singularité est de l’ordre de la rencontre (p. 257), l’individu par contre appartient à l’ordre du visible (au sens aussi du visible idéal, de ce qui peut être rendu présent) ou du toucher cognitif (p. 260). Le singulier est ressenti, non pas perçu (p. 293).
l)
La rencontre de la singularité se fait, paradoxalement, dans la perte de la singularité (p. 260)2 : nommer le singulier, c’est le perdre (p. 293). L’expérience de la singularité est une expérience de la dépossession.
m)
Dès lors, on peut opposer une économie de la singularité comme économie de la perte, à une économie de l’individu comme économie du gain.

Une singularité à venir

10Ainsi décrite, la quête de la singularité pourrait bien paraître celle d’un impossible. Le livre de S. Weber montre que le concept d’individu est mortellement atteint, et néanmoins il semble aujourd’hui plus inébranlable que jamais. Face à lui, la singularité a‑t­elle un avenir quelconque ?

11Une analyse rapide des conditions qui s’offrent à nous pour tenter de déplacer le privilège de l’individu, pourrait mener très vite à une conclusion pessimiste. Il faut pourtant reconnaître dans la structure qui alimente ce pessimisme, la chance d’une évaluation nouvelle du rôle de la singularité. Cette structure est ce que Derrida, en empruntant ce terme à la biologie, a appelé « l’auto-immunité3é. Tout corps est en danger, aussi bien le corps du sujet que celui des États ou de n’importe quelle institution menacée par et dans sa propre finitude. L’auto-immunité désigne un mécanisme protection qui se dirige contre cela même qu’elle est censée protéger. Le résultat de la logique auto-immunitaire est la perte de cela même qui devrait rester immune.

12S. Weber indique que ce concept, que Michael Nass identifie à celui de « différance4 », « implique un certain pessimisme » (p. 29), mais il contient aussi la chance d’une transformation. Aussi bien le danger que la chance contenus dans le processus d’auto-immunité seraient l’« œuvre » de la singularité. En effet, c’est le passage de la singularité à la généralité (de l’individu, du particulier et de l’identification en général) qui déclenche le processus auto-immunitaire. Si le général ou l’identique à soi étaient donnés une fois pour toutes, aucune inquiétude ne pourrait les affecter. Au contraire, S. Weber montre que c’est dans une certaine inquiétude suscitant l’angoisse que le sujet se constitue, précisément pour se protéger. Le processus auto-immunitaire est une « machine »5 qui semble laisser peu d’issues. S. Weber accorde à Derrida la généralisation de cette logique à l’ensemble du vivant et au-delà, mais il invite à ne pas sombrer trop vite dans le pessimisme :

Si cette fonction auto-immunitaire est inévitable et omniprésente, il reste à distinguer ses différents effets et orientations. Ou bien elle insiste sur la préservation et la protection de ce qui ne peut tout simplement pas être protégé : la véritable identité à soi de l’institution ou de l’individu ; ou alors elle peut offrir l’opportunité de transformer cette identité à soi, non pas en la protégeant telle qu’elle était déjà, mais en l’ouvrant à la transformation, à l’hétérogénéité qu’elle a toujours contenue (mais qu’elle a aussi cherché à réduire, à dissimuler.) (p. 37)

13S. Weber dit juste et, pourtant, le problème ne fait que de se poser. Car il faut préciser de quelle manière la distinction des effets et des orientations est possible à l’égard d’une structure aussi « omniprésente ». La question la plus difficile est de distinguer l’auto-immunité de ses effets. Doit-on par exemple apprendre à reconnaître des variations au niveau de la vulnérabilité ? Peut-on affirmer que la vulnérabilité est aujourd’hui plus ou moins importante que dans le passé ? En somme, peut-on faire une histoire de l’auto-immunité et définir ses moments ou ses époques ?

14Dans un chapitre riche et dense d’Inquiétantes singularités, « La vie nue et la vie en général », S. Weber développe ces questions à propos d’une lecture d’Agamben6. En analysant les phénomènes concentrationnaires, S. Weber critique la réduction du problème de la vie à la « vie nue », c’est-à-dire à une pure identité à soi (p. 128) qui ne peut justement pas expliquer « le procédé de sélection par lequel certains groupes sont désignés comme les victimes des colons, et plus tard, de la machine à tuer nazie. » (p. 135). La réduction de la vie à la vie nue reste donc une démarche insuffisante, et Weber propose plutôt d’analyser la hiérarchie à l’intérieur de la vie sur laquelle se construisent les idéologies racistes et coloniales. En effet, la mise à mort de groupes entiers se justifie, dans une perspective eugéniste, comme la promotion d’une vie meilleure :

Même dans le racisme biologique des nazis, il semble qu’il y ait une hiérarchie de valeurs qui implique une échelle qualitative de la vie et déborde la notion de vie purement biologique. (p. 136)

15C’est l’évaluation et le souhait de garder l’indemnité d’une « vie en général » qui conduit aux entreprises d’élimination des formes de vie jugées hostiles ou inférieures. Le problème de la vie se situe dès lors dans l’horizon du salut, et la généralité de la vie est ce au nom de quoi on exerce la violence contre des vivants7 singuliers, qui ne sont que « des instanciations imparfaites de la « vie nue » ou naturelle — ce qui revient à dire de la vie en général, la vie prise dans sa généralité génératrice. On aura déjà compris que pour Weber il s’agit de questionner la valeur de la généralité en faveur de la singularité du vivant, et notamment parce que cette valeur s’enracine dans la notion d’une vie sacrée antérieure à la chute. Un discours eugéniste comme celui des nazis vise notamment à atteindre le salut (p. 111) au travers d’un sacrifice de la mort elle‑même et de la mort incarnée dans la vie déchue, c’est-à-dire de la vie en tant que intrinsèquement finie.

Par une telle extermination massive, organisée et exécutée délibérément et systématiquement, les auteurs des crimes pouvaient croire qu’ils protégeaient, par l’eugénisme, la vie en général des forces de la mort, tout en mobilisant  paradoxalement ces mêmes forces dans leur projet de protection. (p. 146)

16Ce processus, qui correspond à la logique auto-immunitaire qu’on vient d’esquisser, a ses sources dans une longue tradition. La pensée de la singularité, et donc de la finitude sans référence à la généralité de la vie, semble indispensable pour donner une chance à l’auto-transformation que S. Weber reconnaissait dans le processus auto-immunitaire lui-même.

17Ainsi peut-on essayer de réfléchir à partir de cette réflexion à la portée et à l’inévitabilité de la logique auto-immunitaire sans postuler pour autant un concept de « vie en général ». Et c’est justement en considérant le déplacement de ce concept en direction de ce que Derrida a appelé « la-vie-la-mort », qu’on se rend compte qu’on n’a pas affaire à deux domaines essentiellement distincts : la vie — et sa structure auto-immunitaire — d’un côté, et ses effets d’un autre. Comme Derrida le rappelait à propos de la différance, celle-ci ne se distingue pas de ses effets8. Distinguer « les effets et les orientations » de la logique auto-immunitaire, ce n’est donc pas distinguer entre une dimension immuable et une autre contingente. C’est plutôt faire la « critique » de ses effets tout en sachant qu’une telle critique ne prend pas appui sur un point extérieur, mais qu’elle est déjà impliquée dans ce mouvement de production d’effets. Si on comprend de cette manière l’appartenance à ce qu’on veut transformer, notre approche critique sera déjà en train de pratiquer une stratégie déterminée de prise de position — singulière —  à partir de laquelle une pensée de la singularité peut s’esquisser.

18Dans Inquiétantes singularités, « je » nomme une telle prise de position. En effet, S. Weber privilégie la figure moderne du sujet pour étudier une des scènes le plus intimes de l’inquiétude : celle qui se construit autour du « je » (il traduit par « je » le « Ich » de la topique freudienne). Le « je » n’est pas simplement le sujet ou l’individu. Il nomme, dans la construction moderne de la subjectivité, la place instable du singulier. Si la singularité a un avenir, celui-ci ne consistera pas en la restitution au sujet philosophique d’une digité perdue, mais plutôt en la continuation et l’intensification des apories qui le constituent, à l’endroit même où cela (nous) produit de l’angoisse.

19À ce propos, S. Weber suit les analyses de plusieurs textes de Freud9 pour montrer deux choses : que l’angoisse (comme expérience de « l’inquiétante singularité ») est intrinsèquement relationnelle, c’est-à-dire que sa fonction est d’empêcher la fermeture sur soi du sujet. Et par conséquent que le « je », lieu où l’angoisse à lieu, est le topos de la singularité. Dès lors, le « je » ne désigne pas une quelconque certitude inébranlable et encore moins le lieu du sujet souverain et maître de soi : S. Weber le conçoit au contraire comme une limite, une membrane ou une surface d’inscription qui permet la constitution hétérogène et différentielle du sujet (p. 55‑58). Conçu comme une telle instance relationnelle et non-souveraine, le « je » n’est plus un principe assurant le libre exercice de la volonté ni l’expression active de l’individu, mais plutôt le lieu où cette volonté et cette activité rencontrent une limite interne infranchissable.

20Car en effet la fonction souveraine retombe, dans cette topologie, sur le « sur-je » (traduction de « Über-Ich ») qui est l’instance qui offre une première réponse au sentiment de l’angoisse. Cette réponse est la protection par la projection qui consiste à localiser l’angoisse à l’extérieur du sujet comme un objet perceptible et identifiable. La projection propose donc un projet d’avenir, celui qui justement confirme la logique auto-immunitaire en essayant de limiter, voire de supprimer, l’effet angoissant. Le sur-je, mais aussi l’État ou, comme on va le voir, une certaine théologie de la dette, sont les « institutions » qui tentent de combler le désir de protection d’un « je » angoissé, dans une démarche qui pourtant s’avère suicidaire. On peut donc traduire cela en termes politiques : « La protection et la détention préventive, et peut-être la politique en général, cherchent à parer la menace destructrice d’un futur sans rédemption en le confinant dans le présent » (p. 145).

21Avant d’aborder cette idée, Il paraît opportun de comprendre la configuration économique d’une telle manœuvre de protection. Cela nous permettra de tisser ensemble le problème de l’angoisse avec la crise économique que traverse aujourd’hui l’Europe. L’économie, élément omniprésent dans les sociétés contemporaines et dans la prise de décisions politiques, n’est pas séparable d’une problématique d’ordre théologique. C’est notamment autour du concept de dette que S. Weber montre comment une pensée de la singularité peut mettre en « crise » la promesse de rédemption et de protection qui configure le discours dominant et la pratique du capitalisme contemporain.

Économie du singulier

22On peut commencer par interroger ce qui permet de passer de cette discussion de la philosophie et de la psychanalyse au domaine de l’économie, domaine qui semble constituer un champ autonome du savoir. Ce serait peut-être l’autonomie et la prétendue autosuffisance du discours économique dominant qu’on va mettre en question. Du même coup, S. Weber met en garde contre la croyance que la théorie s’exerce hors de toute forme d’échange : elle prend partie dans le jeu de forces qu’elle analyse.

23Dans sa lecture de la crise contemporaine, S. Weber suit deux fils conducteurs : celui de l’argent et celui de la dette.

24a) La question de l’argent se croise avec celle du vivant, que l’on a amorcée à propos de l’auto-immunité. Weber rend visible la communication entre ces deux domaines, dans son interprétation de la célèbre phrase de Benjamin Franklin, « le temps, c’est de l’argent »10. En effet, l’argent c’est, d’abord, un double du vivant. Il partage avec ce dernier ce qu’on pourrait appeler leur « itérabilité », c’est-à-dire une forme de reproductibilité ad infinitum qui néanmoins est structurellement liée à la finitude. L’argent, comme le vivant, est pris dans un processus de croissance et de reproduction qui sont possibles par le simple fait que tous les deux peuvent se perdre. La promesse d’immortalité qui constitue le concept de l’argent chez Franklin, c’est n’est que la possibilité de répéter la valeur de l’argent en lui ajoutant une croissance. La reproductibilité de l’argent s’offre comme une possibilité qui en droit ne semble pas limitable ; ce n’est que lorsqu’on interrompt sa croissance — en lui empêchant de « vivre », pour insister sur cette analogie — que l’augmentation de sa valeur est arrêtée. Le concept de l’argent s’inscrit dans une certaine tradition chrétienne du salut, dans la mesure où il s’ordonne à la promesse d’une dépassement de la finitude. Le texte de Franklin aborde notamment la question du crédit, dont Weber indique la filiation avec les problèmes de la créance, la croyance ou la foi. Et le crédit, dans la perspective capitaliste, est indissociable d’une économie de soi privée et individuelle : comme l’argent, qui vise à se reproduire infiniment, l’individu prétendu souverain et identique à soi, s’oriente vers le telos d’un agrandissement sans perte garanti, au-delà de sa finitude, par Dieu lui-même.

25b) Toutefois, en inversant la formule de Franklin, l’argent c’est aussi du temps, il est indissociable d’une finitude qui cherche à racheter la dette qui, dans la tradition abrahamique, est conséquent du pêché. Nous assistons ainsi à un double mouvement qui met en parallèle la promesse de la résurrection et la production terrienne du profit. Weber mentionne le sola fides de Luther, qui, en réduisant la capacité des bonnes œuvres à racheter de la dette, inscrit l’économie de l’individu dans l’économie virtuelle qui caractérise le capitalisme contemporain : c’est l’argent qui doit générer du profit, plutôt donc que la production et l’échange de biens. C’est une interprétation qui finalement mène au consumérisme : dépenser, c’est épargner (to save) et épargner, c’est être sauvé (to be saved) (p. 177). Dès lors, s’endetter rend plus facile le chemin vers le salut11 ; ce qu’on rachète, ce ne sont pas de biens, mais des dettes, des avoirs virtuels. C’est comme si l’on rachetait la dette infinie qui résulte du pêché originel.

26On voit venir le paradoxe. Cette interprétation de la dette comme dette infinie qu’il faut racheter a permis la création du concept de souveraineté comme instance immortelle (les deux corps du roi, par exemple) et, avec elle, l’institution de l’État comme dernier garant du crédit et de l’argent (en position de Dieu, donc). Mais aussi, elle a conduit à un ébranlement sans précédents de la souveraineté, qui perd de nos jours le contrôle de sa dette. La dette de l’État, donc du garant de la dette, devient elle-même un objet de spéculation dans les credit default swaps (CDS) et la souveraineté se trouve d’un coup en mains d’individus privés.

27Face à cette situation, la question qui se pose, ce n’est pas de rompre avec l’économie ou de tout miser sur l’aspect anéconomique de la singularité (sur son incommensurabilité, donc). S. Weber propose certains traits qui permettent de penser une économie du singulier en vue d’une autre pratique de la dette. Les êtres finis ne pouvant jamais racheter la dette infinie, il est donc nécessaire de ne plus chercher un analogue terrien de l’immortalité qui assurerait où garantirait un tel rachat. Au contraire, nous sommes obligés de réinscrire tous les termes impliqués dans ce circuit économique. Alors que Franklin mettait l’accent sur le caractère d’agrandissement infini de l’argent et du crédit, S. Weber, de son côté, insiste sur les conséquences de la dimension temporelle : l’agrandissement est une possibilité du vivant au même titre que sa perte. Ce que le temps inscrit dans tout identité à soi, et donc dans tout individu, c’est aussi sa perte et sa disparition.

28Il ne s’agit donc pas de finir avec la dette. Au contraire, il faut commencer par reconnaître qu’elle ne peut pas être rachetée et qu’il faut vivre avec elle. C’est ce qu’on appellerait, dans le débat qui aujourd’hui tient les fils de l’avenir de l’Europe, et notamment de ses pays du sud, ré-négocier la dette.

29Si la dette est non seulement infinie, mais aussi incommensurable — c’est-à-dire incalculable —, c’est parce qu’elle a son origine dans la singularité. Weber l’explique ainsi : l’individu, avant même d’être indivis (et donc calculable et éventuellement rachetable) est singulier. La dette à son égard est infinie parce que toute singularité est irréductiblement hétérogène : entre deux singularités, on ne trouve aucune valeur commune :

[…] l’individu n’est jamais simplement indivis, il est aussi et surtout singulier : unique, non pas au sens où il serait contenu en lui-même, mais dans la perspective où il est incommensurablement lié à ce qu’il n’est pas, à d’autres êtres, qu’ils soient humains, vivants ou inanimés, à d’autres temps et lieux. Cette incommensurabilité endette l’individu à l’égard d’une singularité irréductiblement hétérogène, qui vient d’ailleurs et va vers autre part, quand bien même il tenterait de se façonner un soi qui resterait essentiellement le même dans le temps et dans l’espace. (p. 184)

30L’alternative à la crise de la dette souveraine consisterait donc à développer une autre pratique de la dette qui ne soit pas régulée par les retours des profits ou le rachat de soi (p. 191). Cette alternative n’offre pas une perspective de salut, ni pour l’individu ni pour l’État, dans la mesure où ni l’un ni l’autre ne pourront jamais calculer l’intégralité de la dette et encore moins la rembourser.

31On aurait souhaité que Inquiétantes singularités développe un peu plus cette autre pratique de la dette et le rôle que la singularité y jouerait. Une très courte note de  bas de page évoque la possibilité d’une transformation assez radicale de la structure des rapports économiques :

On peut concevoir un échange de biens basé sur des besoins et de désirs singuliers. La base de cet échange serait alors la singularité incommensurable des choses plutôt qu’une équivalence générale (valeur monétaire, temps de travail requis pour leur production, etc.) (p. 166)

32L’incommensurable serait ainsi la mesure de toute « équivalence ». Mais s’agit-il encore d’un « échange » ? Qu’est-ce qu’un échange lorsque les termes échangeables ne sont en rien commensurables12 ? Ces questions restent ouvertes et peut-être vouées aussi à une certaine aporicité qu’il ne faudrait peut-être pas vouloir surmonter trop vite.

Politiques de la singularité

33La question de l’économie, qui a mis l’accent sur le problème de la finitude, nous permet d’aborder maintenant la dimension politique de cette pensée de la singularité. Si on tentait de résumer la position de Weber dans son orientation politique, ce serait sans doute la critique et la transformation du modèle politique de la protection qui est devenu dominant dans les pays occidentaux après le 11 septembre et le début de la « guerre contre la terreur ». Pour S. Weber, la politique de la protection se constitue autour d’une économie particulière de la terreur qui permet de réarmer une souveraineté en crise.

34Le problème de la protection, comme celui de la dette, s’inscrit dans une longue tradition. Le philosophe l’attaque de deux points de vue. D’un côté, il identifie une formulation du besoin de protection dans la doctrine paulienne de la rédemption par un homme : si la mort est venue par un homme, seul un homme peut nous sauver. C’est une idée reprise par Hobbes, au chapitre 28 du Léviathan13. Mais d’un autre côté, comme on l’a déjà indiqué plus haut, ce besoin de protection s’enracine dans l’expérience de l’angoisse qui conduit à la conscience de se protéger d’elle-même au travers d’un mécanisme de projection, c’est-à-dire en localisant à l’extérieur du sujet l’objet menaçant.

35L’institution qui illustre le mieux ce besoin de protection est la peine de mort qui, comme Derrida l’a montré14, est indispensable à toute souveraineté, même lorsqu’elle a été formellement abolie. La peine de mort est la garantie structurelle de la terreur qui permet à un État d’assujettir ses membres.

[Cette terreur] devient non seulement un moyen de défendre le corps politique, mais aussi de le reconstituer constamment, ou plutôt, de répéter son autoconstitution qui converge avec son autodissolution — telle une veilleuse qui, en s’allument, s’éteint constamment. C’est dans la lumière vacillante de la terreur que ce Dieu mortel poursuit sa mission toujours renouvelée de protection de soi, en attendant le salut qui viendra du ciel. (p. 23)

36La portée d’une considération politique de la singularité devrait toucher, comme c’est devenu clair à propos de la crise économique, à la souveraineté elle-même. Car celle-ci est un cas paradigmatique de la transformation du singulier en individu. C’est précisément le pouvoir de donner la mort qui se constitue comme une maîtrise souveraine de la vie. L’indivisibilité de l’individu souverain devrait lui permettre de contrôler la vie en maîtrisant le moment de la mort. Contre ce schéma largement fantasmatique, une politique de la singularité lui oppose non pas la vie ni la mort, mais la survie entendue au sens que Derrida donne à ce mot : comme ce qui permet de constater que le pouvoir souverain n’est jamais un et seul, mais qu’il est divisible et qu’il constitue un espace de négociation15.

37Contre l’interprétation qui fait du souverain un individu, un et indivisible, S. Weber propose une politique de la singularité. Faute de pouvoir la développer en détail, nous proposons de schématiser deux moments importants:

38a) S. Weber montre que la souveraineté se constitue à partir d’une certaine interprétation de la vie. Une autre politique — celle des singuliers — exige une autre concept de la vie qui mette au premier plan « l’expérience d’un abandon qui n’a rien à voir avec la souveraineté » (p. 49). Mais est-ce que le processus de l’auto-immunité, qu’on a reconnu comme une logique inévitable, ne risque pas de réintroduire un certain « effet » de souveraineté au sein de cette expérience de l’abandon ? Car, en effet, aucune expérience de la singularité ne peut échapper à la répétition qui conduit à sa perte immédiate, et donc à une forme d’angoisse. Et comment conjurer dès lors la réapparition d’une maîtrise souveraine, fût-elle plurielle et partagée ?

39b) La pensée de la singularité s’éloigne des conceptions sacrificielles du politique. Il ne s’agit pas de réduire l’hétérogénéité au nom d’une pure identité, mais au contraire de maintenir ouverte la déchirure provoquée par l’irruption de l’autre. Le lien qui unit le « je » au « sur-je » ne disparaît peut-être pas dans cette nouvelle politique, mais il cède sa place à d’autres relations possibles et provisoires (p. 72-73), qui permettent de garder un certain espoir dans la survie. Le modalité principale du lien politique devient ainsi la « rencontre » qui, comme l’échange basé sur l’incommensurable, « ne spéculerait pas sur le retour de son investissement » (p. 298). Mais cette rencontre ne peut avoir lieu que dans l’aporie, et celle-ci a souvent été proscrite. La politique de la singularité ne cherche donc pas à instaurer le mythe du nouveau départ. Elle se nourrit au contraire des contradictions et des tensions intérieures à la tradition et se pratique donc d’abord dans la résistance aux politiques réelles de protection en matière sécuritaire et financière (voir p. 320-321). Le domaine de l’esthétique, qui pourrait paraître au plus loin de ces questions, devrait être au contraire privilégié dans la mesure où il peut abriter des contradictions sans s’annuler. L’esthétique, qui ne doit bien sûr pas être comprise dans le sens d’une esthétisation de la politique, ne désigne pas ici la science du beau mais l’étude du domaine du sensible.

Des corps singuliers

40Nous ne pouvons pas développer en détail tous les enjeux d’une politique de la singularité en ce qui concerne le rôle de la « sensibilité ». S. Weber le fait notamment à propos de l’acte de lire dans le chapitre intitulé « La singularité de la connaissance littéraire » (p. 239-270). Pour le moment, la question de la sensibilité paraît nous conduire tout d’abord à celle du corps, comme lieu de l’aisthesis. Le corps constitue en effet un fil conducteur indispensable pour comprendre le problème de l’individu par rapport au singulier.

41Ainsi, le Léviathan se constitue en tant que corps prothétique à partir d’un processus de localisation (celui-ci étant un des moments de la projection). Pour qu’il puisse devenir un individu, selon la démarche souveraine la plus traditionnelle, ce corps doit prendre une place et s’assurer que cette place ne soit pas occupée par un autre. La localisation est un mouvement d’appropriation qui instaure un rapport à l’espace en termes de dedans et de dehors.

42Une pensée de la singularité peut transformer ce rapport. Elle le fait en reconnaissant d’abord que la localisation du corps dit « propre » — par exemple celui du Léviathan — est toujours virtuelle. La fermeture d’un État et la maîtrise des frontières sont des désirs de protection et d’individualisation qui en réalité ne s’accomplissent jamais (bien que les effets de cette virtualité soient souvent meurtriers). Ce rapport à l’espace est virtuel car l’étendue que l’individu interprète comme « propre » est toujours le siège d’une extériorité menaçante. Pour cette raison, S. Weber affirme que « chaque État existe dans un état d’urgence virtuel (virtual state of emergency) » (p. 21). Ce sentiment d’urgence relève dans ce corps prothétique du fait qu’il cherche à se constituer comme un corps immortel, ou qui transcende en tout cas la durée de vie des individus qui désormais sont ses membres.

43Or la singularité d’un corps — animal, social ou institutionnel — réside justement dans ce qui en lui n’est pas localisable. La pensée du singulier doit déplacer la compréhension du corps comme structure spatiale de l’individu — corps propre, territoire national, etc. — vers une compréhension du corps comme cela même qui permet faire l’expérience de la multiplicité. Pour le dire avec Jean-Luc Nancy, il s’agit de l’espacement du partes extra partes, et non de « l’épaisseur massive de la pars16 ». Ce qui fait la singularité d’un corps, ce ne serait donc pas l’espace qu’il occupe, mais le fait qu’il partage cet espace avec d’autres corps.

44Dans le modèle à la fois organiciste et instrumentaliste du Léviathan, le corps n’est que l’unité des mouvement des membres. Une pensée de la singularité doit mettre l’accent sur le fait que :

La désarticulation du corps en des membres singuliers et en des expériences non unifiables, traversant des lieux multiples en un seul et même instant, morcelle l’unique et l’ouvre à l’expérience d’événements qui sont aussi singuliers que finis. Ou plutôt indéfinis, car la singularité d’événements qui sont un mais jamais le même n’est pas entièrement définissable. (p. 49)

45Les membres singuliers ont donc la possibilité d’entretenir de relations différentes aux contextes singuliers. Sur eux tombe la responsabilité de la rencontre. Le concept de corps confirme ainsi sa position stratégique pour le déplacement de l’interprétation dominante du singulier comme individu.

46Ce corps singulier, fait à la fois de membres singuliers, produit une ouverture à quelque chose d’autre que la souveraineté, régnante jusqu’aujourd’hui dans le modèle prothétique du Léviathan ou dans la notion phénoménologique de « corps propre » ou « Leib » (que S. Weber n’aborde pas comme tel, au moins dans ce livre). Ce corps est le lieu de cette expérience de l’abandon qu’on a opposé au désir de protection. Deux pistes pour articuler une pensée de la singularité avec une réflexion sur le corps :

47a) La première insisterait sur le fait que le « je » de Freud est principalement un « je-corps » et un « je-surface ». Il opère comme une limite qui déjoue la simple opposition de l’intérieur et de l’extérieur, dans la mesure où il est « la surface sur laquelle les messages contradictoires et les impulsions du ça et du sur-je s’inscrivent et se heurtent les uns aux autres » (p. 56). Le corps singulier, comme limite et non comme individu massif, doit être considéré comme l’ouverture à la différence dans un champ de forces, et donc à l’opposé de la frontière étatique visant à délimiter l’espace à l’intérieur duquel le souverain détient le privilège de la force.

48b) La deuxième piste, que Inquiétantes singularités annonce mais ne développe pas en détail, serait peut-être celle de la différence sexuelle. Dans une lecture de la Genèse — texte qui, comme on l’a vu, constitue une des principales sources d’analyses du livre —, S. Weber semble indiquer que la séparation entre Adam et Ève ne relève pas d’une distinction entre individus appartenant à la même espèce, mais que justement elle constitue la limite du genre compris comme l’essence indivisible de chaque individu. La marque de la différence sexuelle semblerait indiquer sur ce point le lieu d’une singularité irréductible à toute interprétation en termes d’identité, rachat et « vie en général » :

Parce qu’il est sexué, l’homme générique n’est ni seul ni identique à lui-même, mais déjà pris dans une inquiétante altérité sexuée. L’unité du genre humain et brisée par la divisibilité du sexe. (p. 202)


***

49Pour finir, il serait intéressant de se référer aux conditions dans lesquelles une telle pensée de la singularité peut se développer. Outre ses dimensions économiques, politiques et esthétiques, la pensée de la singularité a une dimension « académique ». C’est dans le cadre des études littéraires que quelque chose de l’ordre de la « rencontre » se met en place, à travers justement la tâche de la lecture. Dans la lecture et l’interprétation, d’un poème par exemple, on ne fait que

ressortir les directions singulières qui avaient été omises ou exclues des précédentes interprétations dominantes, en même temps qu’elles dégageraient les facteurs ayant contribué à faire paraître naturelles ces omissions et exclusions. (p. 252)

50Toute lecture est une interprétation divisée. Elle porte sur l’ambiguïté des textes, et donc sur cela même qui les permet de rester ouverts. Ce que d’une lecture à l’autre reste « innommable » (terme que Samuel Weber repère dans un passage de la Critique de la faculté de juger de Kant) c’est justement le singulier. On ne peut dès lors le reconnaître d’une manière conceptuelle, et pour cette même raison il ne semble pas pouvoir faire l’objet d’un savoir. Le singulier est plutôt ressenti, et sa rencontre s’accompagne toujours de sa perte. Inquiétantes singularités analyse la manière dont cette logique se met en place chez Hölderlin comme le « mouvement contre-rythmique » à la base de la « césure » (p. 295‑296). Le poète va à la rencontre du conflit et de la contradiction, au lieu de les éviter. On énonce cela en concluant pour rappeler que, si une pensée de la singularité est possible aujourd’hui, elle doit se produire, à l’« intérieur » même de l’interprétation, comme une expérience de la division de soi.